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    1. RUSSIE##


RUSSIE. LE SCHISME DES STAROVIÈRES

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inférieurs et aient arrêtés à la ville frontière de Putivl, recevaient une aumône suivant leur rang et étaient renvoyés chez eux. Les patriarches, métropolites, archevêques et évêques, archimandrites et higoumènes et ceux qui savaient se tirer d’affaire arrivaient à Moscou où ils étaient les bienvenus, surtout sous le règne du pieux Alexis Mikhailoviè (1645-1676) dont la piété allait parfaitement d’accord avec de larges visées politiques sur tout l’Orient. Ces prélats affichaient assez volontiers un dédain hautain vis-à-vis des Russes qu’ils traitaient de grossiers, d’ignorants et d’incultes. A Moscou, un groupe, petit par le nombre, mais puissant à la cour, donnait raison aux prélats grecs et croyait qu’une réforme s’imposait. Le clergé inférieur, campagnard surtout, convaincu que Moscou était la troisième et dernière Rome depuis que les Grecs avaient perdu l’intégrité de la foi, se méfiait de ces visiteurs dont la conduite n’était pas toujours édifiante.

Depuis l’établissement définitif d’une imprimerie à Moscou (début du xviie siècle), les éditions des livres liturgiques s’étaient multipliées mais pas toujours avec l’uniformité requise ; les correcteurs avaient grande liberté (sauf pour le cas retentissant auquel nous avons fait allusion col. 279) dans le choix et l’impression des textes ; ils décidaient, par exemple, quels Russes pieux devaient être admis dans les diptyques ! Entre ces livres et ceux des visiteurs grecs, qui apportaient des euchologes imprimés à Venise ou ailleurs, les différences, quoique d’ordre secondaire, étaient nécessairement multiples. Nombreuses aussi les pratiques différentes qu’un trop long isolement par rapport à Constantinople ou un désir immodéré de pompe et de splendeur avait introduites en Russie. Tout un petit groupe, en Russie, désirait réformer l’orthodoxie moscovite en la rapprochant de la manière grecque. C’était la rendre plus œcuménique. Telle était en tous cas l’idée du tsar et de son confesseur. Nikon fut nommé patriarche (1652) précisément parce qu’il avait adopté les vues de son souverain et qu’il était homme à les mener à bout.

Quand Nikon eut abandonné le patriarcat ( nous avons traité de la question de Nikon dans un article séparé, t. xi, col. 646-655 ; on trouvera au même endroit une bibliographie suffisante sur l’illustre patriarche), et que la lutte entre le tsar Alexis Mikhailovic et lui s’accentua, Alexis crut bien faire en appelant à Moscou quelques-uns des anciens adversaires du patriarche déchu. Ainsi, le protopope Awacum qui, dans son exil de Sibérie, s’était fait une auréole de martyr, fut reçu à Moscou comme « un ange de Dieu » et logé… à l’imprimerie ! Sa prédication passionnée, le récit de ses terribles souffrances (enjolivé pourtant quelque peu), lui créa vite une très grande popularité. Il eut beaucoup de disciples, même dans la haute noblesse, et la femme du tsar passait pour lui être favorable. Parmi ses disciples les plus exaltés il faut compter les princesses Urusova et Morozova qui devaient acquérir une gloire impérissable dans la secte, pour la constante fermeté avec laquelle elles subirent les tourments pour leur conviction religieuse. Il faut d’ailleurs reconnaître que les starovières montrèrent souvent un courage magnifique. Parmi ces opposants moscovites, un des plus remarqués fut le protopope Nikita Pustosviat de Suzdal qui écrivit une longue réfutation du Skrizal ou recueil des réformes imposées par Nikon. Son écrit qui circula longtemps en manuscrit avant d’être saisi par la police défendait, entre autres doctrines, deux thèses qui valent d’être signalées : contre le Skrizal il maintenait la doctrine de l’immaculée conception avec des arguments quelque peu bizarres, nettement moscovites et tout à fait différents des arguments latinisants qu’on peut ire chez les théologiens kiéviens de cette époque. Il essaya aussi de démontrer que la transsubstantiation s’opérait, non pas par les paroles du Christ comme il l’avait cru lire dans le Skrizal, ni par l’épiclèse comme le prétendaient d’ordinaire les pravoslaves grecs, mais durant la proscomédie. C’était là, de fait, une opinion beaucoup plus répandue parmi les anciens Russes qu’on n’est porté à croire. Les premiers starovières, pour la plupart, y tenaient beaucoup. Ils n’étaient pas les seuls.

Concile de 1666-1667. —

Parmi les prélats qui y siégèrent se trouvaient Païse Ligaridès, le métropolite Théodose de Serbie et, à partir de la fin de 1666, deux patriarches de l’Orient turc et de nombreux métropolites et archevêques. Aussi on l’appela le Grand concile de Moscou. La première session eut lieu en février 1666. Le concile proclama tout d’abord que les patriarches grecs, quoiqu’ils vécussent sous la domination turque, n’avaient pas perdu l’orthodoxie ; puis on accepta comme orthodoxes les livres liturgiques grecs ; enfin on approuva le synode de 1654. C’était approuver l’œuvre de Nikon. C’était aussi porter un coup pénible à la thèse classique de Moscou la troisième Rome.

A partir de la troisième session, les chefs du schisme starovière furent successivement convoqués devant le concile. L’évêque Alexandre de Viatka qui avait relevé toutes les variantes entre le missel du patriarche Philarète et celui de Nikon fut’éclairé » et lit « sincèrement pénitence ». Awacum, lui, fut condamné et dégradé. Nikita Pustosviat, l’auteur de l’écrit contre le Skrizal, fit pénitence et fut pardonné jusqu’à sa prochaine révolte (il mourra exécuté lui aussi !). Le diacre Théodore et le moine Lazare se révoltèrent et furent condamnés à avoir la langue coupée, ce qui ne les empêcha pas, miracle ou non, de continuer à prêcher le raskol.

Le concile en même temps avait chargé le métropolite de Gaza, Païse Ligaridès, d’écrire une réfutation de l’écrit de Nikita Pustosviat contre le Skrizal. Ce travail de Ligaridès ayant déplu, la même commission fut donnée à Siméon de Polock. Celui-ci écrivit alors sa Verge de direction dans laquelle, entre autres choses, il défendit l’immaculée conception de la vierge Marie. Sur la transsubstantiation, il soutenait l’opinion catholique, quoiqu’à la fin de son paragraphe il ait aussi ajouté quelques mots sur l’utilité de l’épiclèse. La Verge de direction fut approuvée par le concile, et fut réexaminée l’année suivante, publiée au nom de tous, et solennellement recommandée par le patriarche.

Car, dès le début de novembre 1 666, deux patriarches orientaux (Antioche et Alexandrie) vinrent à Moscou, convoqués par le tsar pour procéder à la déposition du patriarche Nikon et en même temps pour délibérer sur la réforme liturgique. En plus des deux patriarches déjà nommés, cinq métropolites représentaient le patriarcat de Constantinople ; pour Jérusalem, il y avait Païse Ligaridès, métropolite de Gaza, et l’archevêque du Sinaï ; en tout vingt-neuf hiérarques, sans compter, bien entendu, les archimandrites, higoumènes, etc. Réunion imposante en vérité. Jusqu’au 12 décembre, il y eut huit sessions, toutes ayant trait à la déposition du patriarche Nikon : puis, on suspendit le concile.

Le 26 février 1667, il se réunit à nouveau, cette fois avec le nouveau patriarche de Moscou, Joasaph. Nous n’avons pas le procès-verbal des séances ; mais les décisions finales ont été conservées. L’intérêt théologique du concile est presque nul 1 On réprouva certaines pratiques introduites par Nikon (il avait interdit, par exemple, de donner les derniers sacrements aux malfaiteurs condamnés à mort et il avait introduit des miroirs dans les sacristies et les sanctuaires pour mettre barbe et cheveux en ordre…). On approuva de nouveau les livres liturgiques des conciles précédents. Le missel de 1667 fut examiné et approuvé officiellement par tout le concile et confirmé comme prototype de