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    1. RUSSIE##


RUSSIE. LE PATRIARCAT MOSCOVITE

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relise de ce voyage historique, et de l’archevêque d’Élasson, Arsène, qui était déjà venu mendier à Moscou, mais qui s’était établi à Léopol durant son voyage de retour et maintenant se trouvait enchanté de partir, cette fois pour y rester longtemps, dans l’Eldorado des prélats byzantins. Vingt-trois autres ecclésiastiques composaient la suite brillante du patriarche œcuménique.

A Moscou, on croyait toujours que Théolepte était encore patriarche et Jérémie faisait quelque peu mine d’intrus. On le garda révérencieusement à l’écart pour la semaine d’attente qui précédait d’ordinaire l’audience du tsar. Jérémie fut reçu le 21 juillet, l’uis. Boris Godunov. c’est toujours lui qui apparaît dans cette affaire, car le malheureux tsar Théodore n’était guère bon qu’à sourire et à sonner les cloches, vint l’interroger sur l’état du patriarcat byzantin. Une fois qu’il fut assuré que Jérémie était vraiment patriarche, il lui proposa d’instituer le patriarcat moscovite. Jérémie commença par refuser ; cette démarche, pensait-il, ne pouvait se faire sans le consentement du synode de Constantinople. L’affaire traîna donc tout le reste de cette année 1586. Les négociât ions

e prolongèrent, mais le malheureux patriarche n’était

guère en état de lutter contre ses bienfaiteurs, contre Godunov, en particulier, qui mettait une ténacité de Tartare à réaliser ses desseins. Les (liées étaient soigneusement gardés - c’est lliérothée qui nous en fait la confidence — avec les plus grands honneurs. Au bout de quelque temps, Jérémie parla de fonder un archevêché autocéphale « comme à Achrida ». Hiérothée protesta. Un concile était nécessaire à cet effet, et « nous ne sommes que trois », trois Grecs bien entendu car pour lliérothée, ce semble, les Moscovites n’existaient pas ! Ceux-ci. d’ailleurs, qui étaient devenus autocéphales presque un siècle et demi auparavant, à la barbe du patriarche œcuménique, n’étaient guère disposés à se contenter d’une telle solution, lui fin quelques subalternes — non parmi les dignitaires de la cour, mais parmi les officiers qui tenaient nos Grecs dans un emprisonnement honorifique — supérèrent à Jérémie de rester lui-même à Moscou, lliérothée se chargea bien de lui rappeler qu’il ne savait pas la langue du pays, qu’il était habitué a d’autres coutumes : Jérémie harcelé, fatigué, consentit. On accueillit cette décision avec enthousiasme. Mais comment écarter Job du siège de Moscou ? C’eût été commettre un adultère spirituel. On oubliait fort à propos cpje l’immense majorité des métropolites moscovites, depuis le concile de Florence, avaient été remplacés de leur vivant, souvent pour ele simples caprices des souverains. Job lui-même avait déjà été évêque de Kolomna (1581-1586), puis archevêque de Rostov (janvier-décembre 1586), avant de venir à Moscou prendre la place du métropolite Denys, chassé comme tant de ses prédécesseurs, pour des raisons demeurées obscures. Quoi qu’il en fût, Moscou était scandalisée à la pensée que Job pût être écarté du sie^e qu’il possédait alors. Il fallait tirer pourtant tout le parti qu’on pouvait de la concession patriarcale. On suggéra donc à Jérémie de rester, mais d’établir sa résidence dans l’ancienne capitale, à Vladimir-sur Kliazma, un endroit, disait le métropolite Hiérothée, qui était pire que Koukos ! Mais depuis qu’il avait commencé à céder, Jérémie était perdu. Il finit par se déclarer vaincu sur toute la ligne ; il promit de consacrer Job patriarche de Moscou et de toute la Russie, puis de repartir pour Constantinople.

Le 17 janvier 1589, on réunit les ecclésiastiques moscovites qui furent enfin mis au courant de ce que le tsar, ou plutôt Godunov, avait tramé jusqu’alors. Le souverain les invita à donner leur opinion sur les moyens à prendre en vue d’établir le patriarcat, mais, prudemment, ils lui laissèrent le soin ele toute l’affaire. On pria donc Jérémie de rédiger le rituel de la cérémonie ; mais comme celui-ci ne proposait que le rituel byzantin, beaucoup trop simple pour la circonstance, on chargea le diak Scelkalov, secrétaire aux Affaires étrangères, de rédiger quelque chose de suffisamment solennel. On y prévoyait une élection, puis une nouvelle consécration de l’élu (ce sera la troisième fois que Job recevra la consécration épiscopale I). Jérémie accepta ce rituel. Enfin, le 23 janvier, on procéda à l’élection. On désigna trois noms, mais, évidemment, c’est Job qui sortit. On désigna aussi, d’après la même manière, les titulaires des métropoles nouvellement fondées de Novgorod et de Rostov. Le 20 janvier, Job fut solennellement consacré patriarche par Jérémie, d’après le rituel établi par Sôt’Ikalov. Le malheureux patriarche byzantin dut rester à Moscou jusqu’au mois de mai suivant, afin de signer l’acte synodal qui consacrerait cet événement. On y parla abondamment de la « troisième Rome ». On reconnut à Moscou le droit d’avoir un patriarche, élu par ses propres évêcjues. La nouvelle élevait être ensuite communiquée à Constantinople. Puis on établit une nouvelle distribution territoriale en métropoles, archevêchés, évèchés, qui ne sera mise que partiellement en pratique. Viennent enfin les signatures. Hiérothée de Monembasie. protestant jusqu’à la dernière minute, refusa longtemps d’apposer la sienne au bas de ces « lettres bulgares », mais quand on l’eut menacé de le jeter dans le fleuve, il finit par obtempérer. Son compatriote, Arsène d’Élasson. epui nous a laissé des récits dithyrambiques, en vers et en prose, sur ces événements ne semble pas avoir éprouvé tant de scrupules.

Jérémie put alors quitter la Russie. Il vint dans le grand-duché de Lithuanie, où il déposa le métropolite, en promut un nouveau, se choisissant en même temps un exarque qu’il exemptait de la juridiction métropolitaine, donna les plus amples pouvoirs aux confréries laïques, rendit en un mot la position des évêques orthodoxes tellement intenable que ceux-ci en vinrent à se rapprocher des évêques latins avec lesquels, au bout de quelques années, ils devaient finir par conclure l’union religieuse de Brest-Litovsk. Enfin, abondamment chargé d’aumônes, Jérémie revint à Constantinople après une absence qui avait duré deux ans.

Il réunit un synode (mai 1590). Il décrivit son voyage à Moscou, l’état merveilleux de l’orthodoxie russe, la munificence du tsar orthodoxe. Il rappela « lis crètement la pression qui avait élé exercée sur lui, ses résistances à accomplir la volonté du souverain : enfin, il raconta l’élection et la consécration de Job. Il demanda au concile d’approuver son action. On rédigea donc une lettre synodale signée par les trois patriarches (le siège d’Alexandrie était alors vacant), quarante-sept métropolites, cinquante archevêques et quelques employés de la chancellerie patriarcale. Après avoir multiplié les louanges à l’égard du potentat moscovite, on approuva l’érection du cinquième patriarcat (on voit que la fondation du patriarcat de la troisième Rome laissait intacte la conception de la Fentarchie) et l’on donna au titulaire ele Moscou le cinquième rang après Jérusalem. L’ancienne Rome était considérée comme entièrement et définitivement déchue. L’acte synodal fut porte a Moscou par l’archevêque ele Tirnovo, Denys Cantacuzène Paléologue, un rejeton des illustres familles qui avaient jadis gouverné Ryzance, mais le besogneux prélat devait laisser un bien mauvais souvenir en Lithuanie lors de son passage.

Moscou le recul à peine. Il est vrai qu’on y était terriblement déçu. On avait pourtant bien spécifié que le