Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.2.djvu/97

Cette page n’a pas encore été corrigée
1607
1608
RABAN MAUR. ACTION


tion. Mais au souci d'édification personnelle s’ajoute inévitablement le souci apostolique : l’ordre bénédictin, alors, embrasse tout l’ordre chrétien, il n’est pas spécialisé : Anschaire est moine et missionnaire ; Raban Maur est moine et apôtre intellectuel. D’autre part on ne conçoit pas, ni pour la piété, ni pour l’apostolat, une étude strictement limitée aux sciences sacrées. Ne serait-ce que pour comprendre la sainte Écriture, il faut une certaine initiation intellectuelle d’ordre général que donne l'étude de sciences auxiliaires, telles que la grammaire, l’histoire, etc. ; c’est la voie ouverte vers l’humanisme. Les textes nous montrent toutes ces préoccupations chez Raban Maur.

A ses correspondants qui lui demandent des commentaires sur les Livres saints, il a soin de marquer sa satisfaction de leur zèle pieux : à Samuel, évêque de Worms, à qui il envoie un commentaire sur saint Paul, il indique discrètement son impression personnelle : (Scripturarum divinarum) lectio semper mihi dulcis eral. P. L., t. exi, col. 1273. Il écrit, au 1. III de son De eccksiaslica disciplina : Lectio (Scripturarum) assidua purifical animant, timorem incutit gehennee, ad superna gaudia cor instigat legentis. Qui vult cum Deo semper esse, fréquenter débet orare et légère. Kam, cum oramus, ipsi cum Deo loquimur, cum vero legimus, Deus nobiscum loquilur… Sicul ex carnalibus escis alitur caro, ila ex divinis eloquiis inlerior homo nutritur ac pascitur. P. L., t. cxii, col. 1233. On trouve le même texte dans l’hom. xlviii, De studio sapientife et meditatione divinie legis. P. L., t. ex, col. 89. Envoyant à Louis le Germanique un commentaire sur les Machabées, il note la coïncidence liturgique : Nunc vero, lempus est illud, quo Romana Ecclesia constituil libros Machabœorum legi in ecclesia. P. L., t. cix, col. 1127. Ainsi pour lui, la prière contemplative suppose nécessairement une préparation intellectuelle.

L'édification personnelle compte pour beaucoup : à elle seule, elle serait un motif suffisant d'étudier ; mais à ce premier motif l’idée apostolique venant s’ajouter fait de l'étude un devoir impérieux pour les moines. Dans la disette intellectuelle de l'époque, les moines seuls, ou à peu près, sont en mesure de donner au clergé et au peuple la nourriture intellectuelle, la théologie, dont ils ont besoin. Raban Maur eut conscience que c'était là sa vocation particulière. A Haymon, évêque d’Halberstadt, son ami, il envoie son traité De universo, composé pour lui, et il lui présente ainsi son travail : Neque enim mihi ignotum est qualem infeslationem habeas, non solum a paganis qui fibi confines sunt, sed cliam a populorum turbis, quæ per insolenliam et improbilalem morum tuæ Patcrnitati non parvam molestiam ingerunt, et ob hoc, frequenti orationi atque assiduæ lectioni te viirare non permillunl. Hœc enim omnia mihi sollicite traclanli venil in menlem ut… ipse libi aliquod opusculum conderem. P. L., t. exi, col. 12. Dans la même lettre il déplore que les hommes d'Église soient beaucoup plus occupés des affaires séculières que du soin de leur ministère spirituel. De toute nécessité, ceux que l'évêque appelle à l’ordination devraient être suffisamment formés aux points de vue spirituel et intellectuel, Ut, cum ordinati /urrint et sacris ordinibus sublimati, magis populo bei prosint quam noceant. Ad Iïcginbaldum episcopum, De ecclesiastica disciplina, P. L., t. r.xii, col. 1102. Moine, Raban compose des homélies, ou plutôt des plans d’homélies à l’usage des prédicateurs ; il donne sur ce point d’excellents conseils dans le De clericorum inslitutione ; il y revient dans le De ecclesiastica disciplina, eu un long chapitre, d’ailleurs emprunté ; 'i saint Augustin : Quomodo rudes catechizandi sunt, et il s’en explique dans la préface à l'évêque Réginbald, son jeune ami :

il veut, dans son traité, dit-il, instruire d’abord le maître lui-même et, par lui, les simples auxquels celui-ci doit son enseignement. Dans le De clericorum inslitutione, que nous venons de citer, il a condensé en trois livres tout ce qu’un clerc doit savoir : Raban était à cette époque écolàtre de Fulda et travaillait pour Haistulfe, archevêque de Mayence ; plus tard, devenu archevêque à son tour, il sait qu’une de ses fonctions les plus importantes est l’enseignement, mais il n’a plus beaucoup de temps pour composer des choses nouvelles, il vit sur son acquis ; il reprend alors son De clericorum inslitutione et l’adresse, après quelques retouches et additions, à Thiotmar, qu’il a choisi pour le suppléer dans la charge d’instruire les prêtres : Quia mei cooperalorem in sacro minislerio le elegi, hortor ut, quod pro infirmitale corporis coram mullis exponere non possum, tu, qui junior œtale et validior es corpore, illis qui ad sacerdolium ordinati sunt, et ministerium sacerdotale agere debent, nolum facias et eis persuadeas, imo jubeas, ut diligenter discant quod in hoc opusculo conscriplum est. Liber de sacris ordinibus, P. L., t. cxii, col. 1165. En de telles dispositions, Raban ne pouvait se désintéresser de l’enseignement à donner en langue vulgaire. Pendant qu’il était abbé de Fulda, un groupe de six traducteurs mit en langue germanique le Diatessaron de Tatien, d’après un manuscrit latin ayant appartenu à saint Boniface. Laistner, Thought and Lcllers in Western Europe, A.D. 500-900, p. 322. Migne cite, d’après Lambecius, un fragment d’un glossaire latin-tudesque, attribué à Raban Maur : l’ouvrage entier comprendrait l’Ancien et le Nouveau Testament.

Dans cet ensemble de culture intellectuelle, les sciences profanes ont nécessairement leur place, ne serait-ce que comme préparation à l'étude de la théologie et de l'Écriture sainte. Raban s’en explique longuement au 1. III du De clericorum inslitutione, où il passe en revue le trivium et le quadrivium. Dans la préface du De unioerso, à Haymon d’Halberstadt, il lui rappelle les lectures qu’ils ont faites ensemble : Memor boni studii lui, sancte Pater, quod habuisli in puerili atque juvenili œtale, in lillerarum exercilio et sacrarum Scripturarum meditatione, quando mecuin legebas non solum divinos libros et sanctorum Patrum super eos expositiones, sed etiam hujus mundi sapientium de rerum naturis soieries inquisitiones, quas in liberalium arlium descriplione et cæterarum rerum investigatione composuerunt. P. L., t. exi, col. 11. Le scrupule si brillamment exposé par saint Jérôme à propos de l’utilisation des auteurs païens se présente aussi à l’esprit de Raban Maur, mais il ne s’y arrête guère : le chrétien, dit-il, ne doit pas, en se séparant de la société des païens, se faire scrupule de les piller pour mettre au service de l'Évangile ces richesses dont ils n’ont pas su se servir ; Dieu n’a-t-il pas donné aux I lébreux sur le point de quitter l’Egypte l’ordre d’emprunter aux Égyptiens tout ce qu’ils pourraient, avec l’arrière-pensée de s’approprier les objets ainsi empruntés. P. L., t. cvii, col. 404. La comparaison deviendra classique, à supposer qu’elle ne le soit pas encore. Il n’est pas sûr que Raban connût le grec, ce qui empêche de le qualifier, à strictement parler d' « humaniste » ; quoi qu’il en soit, il eut le grand mérite de comprendre et de faire comprendre qu’il ne peut exister de véritable culture théologique et scripturaire sans une culture « profane » proportionnée.

3. Valeur.

- Pour apprécier d’une manière équitable l'œuvre de Raban Maur, il importe de ne pas oublier le but qu’il se proposait et qui en explique à la fois l’intérêt et les lacunes. De cette <ruvre on peut dire qu’elle est pratique, encyclopédique et traditionnelle.