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QUIÉTISME. FÉNELON


blement même dans notre diocèse, par un grand nombre de petits livres et écrits particuliers que la divine Providence a fait tomber entre nos mains : nous nous sommes sentis obligés à prévenir les suites d’un si grand mal. » Œuvres de Bossuet, t. xxvii, Versailles, 1817, p. 3. Il fallait donc enrayer ce mal et condamner de si pernicieuses erreurs.

Mme Guyon, lorsqu’elle vit son œuvre compromise, demanda elle-même, en juin 1094, à Mme de Maintenon d'être examinée sur ses écrits et sur ses mœurs par Bossuet, M. de Noailles, alors évêque de Chàlons, et M. Tronson, supérieur de Saint-Sulpice. Voir sa lettre dans Œuvres de Bossuet, t. xl, p. 80. Les trois examinateurs se réunirent à Issy et rédigèrent trentequatre articles sur l’oraison quiétiste pour la condamner. Mme Guyon les souscrivit et promit de ne plus enseigner ses erreurs. Elle fut accusée d’avoir manqué à sa promesse ; aussi fut-elle internée à Vincennes en 1C95, puis l’année suivante dans une communauté de Vaugirard, enfin à la Bastille en 1698. Elle en sortit en 1712 et mourut à Blois en 1717.

A Issy, Fénelon était en cause autant que Mme Guyon, qu’il défendait du reste : « Il est clair, comme le jour, dira-t-il, que j'étais le principal accusé. » Réponse à la Relation, n. xix. Il n'était pas admis aux conférences, mais il envoyait aux examinateurs des rapports où il exposait ses vues sur les points controversés.

L’entente se fit facilement pour condamner les principales erreurs quiétistes. Fénelon n’avait jamais partagé toutes les faussetés de la mystique guyonienne. Les articles d’Issy réprouvent : 1. la foi quiétiste ou cette vue confuse, générale et indistincte de Dieu qui supprime les actes de foi explicite aux trois personnes divines, aux attributs divins et à l’humanité du Christ : 2. l’inutilité des désirs et des demandes dans la prière, comme contraires au parfait repos en Dieu ; 3. l’acte universel, continuel et unique de contemplation qui renferme en lui tous les actes de religion et qui n’a pas besoin d'être réitéré, car, une fois fait, il subsiste toujours ; 4. la dépréciation de l’exercice des vertus, en particulier de la mortification, comme d’un exercice inférieur à l'état des parfaits ;.">. enfin la prétention de voir la perfection chrétienne uniauement dans les oraisons extraordinaires auxquelles, par suite, tout le monde indistinctement doit tendre.

L’accord entre les examinateurs et Fénelon se fit péniblement sur trois autres points de la mystique : l’amour pur, désintéressé ; l’oraison passive ; certaines épreuves des mystiques ou certaines purifications passives. Ces divergences expliquent les tâtonnements dans la rédaction des articles. « Le 14 février 1C95, le projet comprenait vingt-quatre propositions ; le 19 février, le nombre fut porté à trente, et le 8 mars à trente-trois. Le 10 mars, au moment de signer on ajouta la trentequatrième. » E. Levesque, Les conférences d’Issy sur les états d’oraison, dans Revue Bossuet, 1905, p. 194.

Au sujet de l’amour pur, Bossuet enseignait que l’idée de récompense céleste ne rend pas la charité intéressée, « puisque la récompense qu’elle désire n’est autre que celui qu’elle aime ». Fénelon, au contraire, pensait qu’il est de l’essence de la charité parfaite d'être un amour de Dieu pour lui-même, sans aucun rapport avec notre béatitude. Pour le contenter, on ajouta les art. xin et xxxiii, qui ont pour objet l’amour pur. Mais ils furent plutôt un compromis qu’un accord réel. La suite le montra du reste.

Bossuet et Fénelon ne s’entendaient pas non plus au sujet « de la contemplation ou oraison passive par état ». Selon Bossuet, dans la contemplation passive l'âme reste disposée à produire tous les actes des vertus : Fénelon disait au contraire que la contem plation consistait dans un acte unique, ordinairement d’amour, cet acte comprend tous les autres sans que l'âme ait à les produire distinctement. Divergence aussi relativement à l'état passif. Pour Bossuet, l’oraison passive était celle où l'âme est en extase et donc incapable d’agir ; Fénelon enseignait, lui, que l'âme est dans l'état passif lorsqu’elle est arrivée à l’amour pur et qu’elle est exempte dans ses actes « des inquiétudes et des empressements de l’amour-propre ». On ajouta donc les art. xii et xxxiv, qui ne firent pas cesser le malentendu, comme on le vit bien.

Restait la question des tentations et des épreuves des états passifs ». Dans les épreuves des purifications passives on le sait, l'âme éprouve des tentations violentes de blasphème, de désespoir, etc. Elle peut même avoir, dans un certain sens, la conviction qu’elle est réprouvée. Fénelon pensait que Dieu, en permettant ces épreuves, voulait détacher totalement l'âme de tout intérêt propre et la conduire définitivement à l’amour pur. Dans les Maximes des saints, il dira même que l'âme, ainsi éprouvée, peut faire le sacrifice absolu de son salut, ce que l'Église a condamné. Bossuet, on le devine, n’accepta jamais les vues de Fénelon. Sa pensée sur les épreuves des états passifs se trouve dans les art. xxxi et xxxii.

Les articles d’Issy sont dans les Œuvres de Bossuet, t. xxviii, Versailles, 1817 ; dans les Documenta…, du P. de Guibert, avec la traduction latine de Terzago, n. 491-497. Cf. P. Dudon, Le gnostique de Clément d’Alexandrie, opuscule inédit de Fénelon, Paris, 1930, p. 279-294.

2° L’a Explication des maximes des saints » de Fénelon. — D’après ce qui a été dit, l’accord entre Bossuet et Fénelon fut établi d’une manière bien précaire par les articles d’Issy. Cet accord apparent n’aurait pu subsister que grâce au silence. Mais ce silence devint impossible.

Bossuet prépara son Instruction sur les états d’oraison pour expliquer les articles d’Issy et pour réfuter les erreurs de Mme Guyon et des autres quiétistes. Fénelon fut froissé des attaques contre Mme Guyon que l’ouvrage pouvait contenir. De plus, il croyait, à tort ou à raison, que l’explication donnée par Bossuet des articles d’Issy n'était pas conforme à la véritable mystique. Pour toutes ces raisons, il se hâta de composer son Explication des maximes des saints et de la publier le 1 er février 1697, six semaines avant l’Instruction sur les étals d’oraison de l'évêque de Meaux. La conséquence fut la disgrâce de Fénelon, qui reçut, le 1 er août 1697, l’ordre de quitter la cour et de se retirer à Cambrai, dans son diocèse. Puis ce furent les discussions passionnées avec Bossuet qui aboutirent à la condamnation par Rome, le 12 mars 1699, du livre de Fénelon.

Il nous reste à exposer les erreurs de l’Explication des maximes des saints. Elles sont contenues dans les vingt-trois propositions extraites du livre et condamnées par le bref Cum alias d’Innocent XII, le 12 mars 1699. Cf. Chérel, Explication des maximes des saints, édition critique, Paris, 1911 ; Terzago, p. 166 sq., qui donne les censures des consulteurs pour chacune des propositions condamnées ; de Guibert, Documenta…, n. 499-504 ; Denz.-Bannw., n. 1327-1349.

Ce ne sont pas évidemment les grossières erreurs de Molinos, ni celles de Mme Guyon, ni même celles dis préquiétistes que contient l’ouvrage de Fénelon. Les inexactitudes du livre des Maximes des saints se rapportent à l’amour pur. Et souvent les inexactitudes sont plus dans l’expression que dans la pensée.

On peut ramener à quatre principales les erreurs condamnées : 1. Dans l'état habituel de pur amour, il n’y a plus de désir du salut éternel ; 2. dans les épreuves passives, l'âme peut faire le sacrifice absolu