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QUIÉTISME. LE MOLINOSISME


dit-il, plusieurs au xviie siècle : « Puisqu’ils [les guérinets] sont dénoncés et poursuivis comme quiétistes, il va de soi qu’on égrènera devant leur juge, et sans en oublier un seul point, la somme déjà clichée — et tout récemment dans l'édit de Séville — de toutes les abominations qu’on veut que les quiétistes se permettent. » P. 109.

L’histoire du quiétisme ne serait, d’après M. Bremond, qu’une suite de manœuvres calomniatrices de ce genre. « Pour une poignée de quiétistes authentiques — et encore ! — dit-il, l’histoire religieuse du xviie siècle nous présente des calomniateurs par centaines de mille et des millions de gobeurs, automatiquement prêts à croire tout ce qu’on leur raconte du prochain et surtout le pire. » P. 111. On reconnaîtra ici le ton parfois outrancicr de l'éminent écrivain.

Sur les guérinets voir les ouvrages cités, où l’on trouvera des références aux documents manuscrits utilisés se rapportant aux procès de Pierre Guérin et des autres chefs de la secte. — Le P. Godefroy de Paris, dans les Éludes Franciscaines, 1934, p. 541-558 ; 1935, p. 340-356 ; C01-G15, défend la position de Fagniez contre M. Bremond.

VI. Le molinosisme.

1° Erreurs graves qui l’ont immédiatement précédé en Italie. — Ce n’est pas dans la fameuse Guide spirituelle de Molinos qu’il faut chercher le molinosisme. La doctrine qui s’y trouve ne diffère guère de celle de Falconi et de Malaval, dont Molinos s'était inspiré du reste. Même enseignement sur la passivité de l’esprit dans l’oraison, mêmes considérations sur l’anéantissement et la perte de l'âme en Dieu, enseignement toutefois qui ne convient qu’aux âmes élevées par Dieu aux états passifs. Aussi beaucoup ne trouvèrent-ils, au premier abord, rien à reprocher au livre de Molinos, sinon la prétention de pousser trop indistinctement les fidèles aux oraisons passives.

Aussi bien faut-il chercher les erreurs de Molinos moins dans ses publications que dans son enseignement ésotérique. Ce faux mystique, né en Espagne en 1628, alla se fixer à Rome en 1663. Il déduisait de la Guide spirituelle des principes de direction étranges par lesquelles il prétendait justifier des pratiques immorales. Ces principes étaient enseignés dans des lettres de direction ou dans des entretiens privés. Ils furent révélés au procès. L’abbé Bossuet écrira de Rome à son oncle, le Il novembre 1697 : « Ce qui donna le coup à Molinos et fit découvrir le venin de son livre [La guide], qui jusque-là passait pour bon, fut sa conduite qu’on découvrit et son intention dans tout ce qu’il faisait. Bien d’habiles gens prétendent même qu’on aurait de la peine à trouver dans le livre de Molinos : De la guide, des propositions qu’on pût condamner indépendamment de ses autres écrits, de ses explications et de sa confession. Correspondance de Bossuet, t. viii, p. 339. Molinos fut condamné par le décret de l’Inquisition du 28 août 1687, par la sentence solennelle de condamnation du 3 septembre et par la bulle Cielestis Paslor du 19 novembre de la même année.

Où Molinos trouva-t-il les erreurs si monstrueuses qu’on l’accusa d’avoir enseignées en secret ? Peut-être la connaissance des doctrines quiétistes condamnées en Italie, de 1655 à 1687, donne-t-elle quelques lumières à ce sujet.

Nous trouvons vers 1657 les erreurs des « pélagins » en Lombardie. Un laïque milanais, Giacopo di Filippo. avait construit un oratoire à sainte Pélagie dans la vallée de Valcamonica, au diocèse de Brescia. Hommes et femmes s’y rassemblent pour s’adonner à l’oraison mentale. L’archiprêtre de Bisogno, Ricaldini, devint le chef de cette confrérie suspecte, dont les membres furent appelés pélagins. Ils furent dénoncés

au Saint-Office ; l'évêque de Brescia, Ottoboni, le futur Alexandre VIII, fut chargé de l’enquête. La sentence de condamnation fut rendue le 1 er mars 1657. Dudon, Michel Molinos, Paris, 1921, p. 45-46. Les erreurs des pélagins sont rapportées par le cardinal Brancate de Lauria, De oratione, Venise. 1687, opusc. ii, 4 (10 propositions) et parla rétractation de Ricaldini (Il propositions). Cf. Nicolo Terzago, évêque de Narni, Theolvgia historico-mystica. t. i, Venise, 1764, n. 5, p. 7, 8 ; de Guibert, op. cit., n. 438440.

Les pélagins semblent s'être inspirés de la doctrine des alumbrados d’Espagne, principalement pour ce qui concerne la nécessité de l’oraison et son efficacité. Sans l’oraison mentale, disent-ils, « personne ne peut être sauvé » : elle est « l’unique porte de salut ». En méconnaître la nécessité, c’est être « réprouvé et damné ». La prière vocale par rapport à la mentale est peu de chose, « c’est du son comparé à la farine ou de la paille comparée au grain ». Ne pas savoir faire l’oraison mentale, c’est être en dehors de la voie du salut. Aussi faut-il préférer l’oraison mentale à tous les devoirs d'état et désobéir sans hésiter aux. supérieurs ecclésiastiques ou autres qui voudraient troubler ceux qui méditent. Celui qui apprend aux autres à faire l’oraison mentale « n’a pas une autorité moindre que le souverain pontife ». Enfin ceux qui s’adonnent à l’oraison mentale sont impeccables, ou ne peuvent que très difficilement pécher. Nous allons voir où conduisirent de telles erreurs.

On comprend bien que l'Église en les réprouvant n’entend pas déprécier l’exercice de l’oraison mentale sagement compris, tel que le recommandent avec tant d’insistance les auteurs spirituels catholiques. Satan, se déguisant en ange de lumière, cherchait à perdre les âmes par une conception entièrement erronée de la nature de l’oraison mentale.

C’est ce qu'écrivait le cardinal Caraccioli au pape Innocent XI, le 30 janvier 1682 : « Si j’ai quelque sujet de me consoler, disait-il, et de rendre grâces à Dieu, en apprenant que beaucoup d'âmes confiées à mes soins s’appliquent au saint exercice de l’oraison mentale, source de toute bénédiction céleste, je ne dois pas moins m’afiligcr d’en voir d’autres s'égarer inconsidérément dans des voies dangereuses. Et le cardinal signale « l’usage fréquent de l’oraison passive » chez des gens qui n’y sont ni préparés ni appelés par Dieu. Ces partisans de l’oraison € de pure foi et de quiétude » mal comprise « rejettent entièrement la prière vocale et même la confession. » « Ils sont dans cette erreur de croire que toutes les pensées qui leur viennent dans le silence et dans le repos de l’oraison sont autant de lumières et d’inspirations de Dieu et qu'étant la lumière de Dieu elles ne sont sujettes à aucune loi. « Cf. de Guibert, op. cit., n. 112. Je cite la traduction de Bossuet, Actes de condamnation des quiétistes, Œuvres de Hossuet, t. xxvii, Versailles, 1817, p. 493 sq.

En octobre 1682. un projet d’instruction destine aux confesseurs fut rédigé. Il ne semble pas qu’il ait été publié. L’oraison de contemplation bien comprise y est déclarée légitime. Personne ne doit la condamner. Les contemplatifs, de leur côté, ne mépriseront pas ceux qui se livrent à la simple méditation. Contemplatifs et méditatifs se garderont bien de rejeter la prière vocale « instituée par le Christ ». Personne ne s’avisera de rejeter de propos délibéré, pendant ses oraisons, la pensée de l’humanité du Christ. Même le degré le plus élevé de la contemplation ne dispense pas de l’obéissance aux commandements de Dieu, ni de l’accomplissement des devoirs d'état. Enfin le projet signale l’opinion « impie » selon laquelle les contemplatifs ne seraient pas obligés de résister aux