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QUIÉTISME. LES GUÉRINETS


Doctrine des guérinets.

Hermant ne rapporte

pas cette doctrine ; il se contente de renvoyer aux Mémoires de Siri. Voici l’exposé de cette doctrine d’après le manuscrit de Saint-Sulpice : « Entre leurs erreurs, Ijs principales étaient celles-ci : que Dieu avait révélé à frère Antoine Bucquet une pratique de foi et de Die suréminenle inconnue jusqu’alors et inusitée à toute la chrétienté. Qu’avec cette méthode on pouvait s'élever en peu de temps à un degré de perfection et de gloire égal à celui où étaient parvenus les saints et même la sainte Vierge, qui n’avait été douée que d’une vertu commune, au lieu qu’en suivant cette pratique on arrivait à une union si sublime que toutes nos actions étaient déifiées. Que, quand on est parvenu à une union si relevée, il fallait laisser agir Dieu seul en nous, sans produire aucun acte de notre part. Que tous les anciens docteurs de l'Église n’avaient jamais su ce que c'était que dévotion. Que les saints n’avaient point eu cette connaissance sublime qui n'était communiquée aux hommes que depuis peu. Que saint Pierre était un bon homme et que saint Paul avait à peine oui parler de dévotion. Qu’il ne fallait point s’adresser auxprédicateurs ai aux religieux, ni s’appuyer sur leurs instructions parce que c'étaient autant d’aveugles qui conduisaient d’autres aveugles dans le précipice. Que les cloîtres étaient remplis de dérèglernsnts parce que l’esprit de la vraie dévotion, qui s’acquiert facilement par cette pratique, n’y était pas. Que toute la chrétienté était dans les ténèbres’de l’ignorance de la vraie pratique du Credo. Qu’il n’y avait ni prédicateur, ni religion, ni docteur qui eût l’esprit de la véritable dévotion. Que, pour acquérir, en suivant la méthode qu’ils enseignaient, cet esprit de piété et de religion, il était nécessaire de demeurer trois mois entiers sans penser à quoi que ce fût ; qu’il fallait vivre en Dieu par la foi nue et cesser d’opérer quand on voulait le servir et le laisser agir en nous, qu’ainsi, demeurant en sa présence elle suffisait seule pour nous délivrer de nos mauvaises habitudes. Que la contrition, l’humilité ni les autres vertus n'étaient nullement nécessaires, non plus que les pénitences. Que sans cela Dieu nous faisait part de ses grâces. Que la crainte de la divine justice et de l’enfer mettait les âmes à la torture et les empêchait d’arriver à la perfection [à laquelle conduisait] infailliblement la pratique qu’ils enseignaient. Qu’il n'étaitnullement à propos de penser au temps passé ni au futur, qu’on ne devait s’occuper que du présent. Que, quand nous péchions, nous ne devions point nous troubler, m lis dire seulement que nous faisions ce que nous pouvions. Que c'était chose inutile de regarder le crucifix et les images et même le corps du Sauveur lorsque le prêtre le montre à l’autel et qu’on devait au temps de l'élévation se cacher derrière un pilier. Qu’on pouvait sans aucun péché mentir à son confesseur pourvu qu’on mente pour un bien. Qu’on pouvait de même user de duplicité et dissimuler sa créance quand on parlait à des religieux ou à d’autres personnes qui n'étaient pas animées de cet esprit, et c'était pour cela qu’afin de se reconnaître les uns Les autres ils s’appelaient entre eux les intimes. Que l’esprit de Dieu ne se communiquait point aux docteurs. Qu’on devait ne désirer ni bien ni mal, non pas même la vertu, mais regarder toutes choses comme Indifférentes et se contenter de ce qu’il plaisait à Dieu de nous accorder, que saint Antoine, en s'écartant de cette règle, aurait eu tort de se plaindre de ses tribulations. Qu’il fallait faire tout ce que dictait la conscience et qu’on pouvait pratiquer dans l’amour de Dieu tout ce qu’on pratiquait dans l’amour du monde. Que Dieu n’aimait que lui-même. Que tous les gens d'Église étaient dans l’erreur lorsqu’ils séparaient [distin guaient] l’opération de Dieu de sa volonté. Que l’on n’avait pas besoin de mission pour enseignercette doctrine aux ignorants puisqu’il n'était nullement besoin de demander mission pour faire les œuvres de miséricorde. Que cette doctrine serait reçue de tout le monde avant que dix ans se fussent écoulés et qu’alors on ne se mettrait plus en peine ni de religieux, ni de prêtres, ni de curés, que cette règle nouvelle mettait l’homme au-dessus de tout, le rend lit content et le faisait vivre dans une parfaite liberté d’esprit. »

On voit la parenté de ces erreurs avec les précédentes, surtout avec celles des alumbrados. Étaientelles vraiment enseignées par les guérinets, comme on le prétend ?

Plusieurs auteurs modernes s’inscrivent en faux contre ce témoignage du « torrent des historiens » des guérinets : l’abbé J. Gorblet, Origines royennes de l’institut des filles de la Croix, Paris, 1869, extrait de L’art chrétien, oct. 1858 ; A. de Salinis, dans sa biographie de Mme de Villeneuve, celle-là même qui conseilla à M. Olier et à ses compagnons de fonder leur premier séminaire à Vaugirard (cf. A. de Salinis, op. cit., p. 384 sq), et Henri Bremond.

A l’origine de l’institut des filles de la Croix, Pierre Guérin et Claude Bucquet furent en relation avec les premières jeunes filles qui s’occupèrent des écoles de Saint-Georges de Roye et qui préludèrent à la fondation de l’institut. On appela même ces premières filles dévotes les guérinetles. Cf. A. de Salinis, op. cit., p. 265-293. On comprend que les historiens de Mme de Villeneuve se soient efforcés d’atténujr le plus possible les accusations portées contre les premiers directeurs des maîtresses d'école qui furent au berceau de l’institut.

Mais il y a de meilleures preuves de l’innocence des guérinets. Les historiens qui les ont accusés parlent, semble-t-il, en se référant à Vittorio Siri ; or nous avons de bonnes raisons de croire que ce personnage, dans le cas présent comm : dans d’autres semblables, a voulu mettre en relief le zèle du cardinal de Richelieu à prendre la défense de la foi. Toujours est-il — et c’est la meilleure justification des guérinets — qu’après l’examen de l’affaire par saint Vincent de Paul, Pierre Guérin et Claude Bucquet furent proclamés innocents et réintégrés dans leurs fonctions. « S’ils avaient été coupables de la centième partie de ce dont on les accusait, dit avec raison Corblet, on aurait obtenu contre eux une condamnation judiciaire. »

Enfin, ce qui corrobore cette conclusion, c’est le silence qui se fit sur les guérinets après la sentence de 1635. Si la prétendue secte avait enseigné les grossières erreurs qu’on lui reprochait, les troubles qu’elle aurait produits dans les esprits se seraient fait s util pendant au moins un demi-siècle. Or rien de semblable n’est attesté ; aussi cet obscur épisode des illuminés de Picardie est-il un fait à peu près négligeable de l’histoire du quiétisme. Celui-ci a d’autres racines autrement profondes et étendues. Les accusations formulées contre Pierre Guérin et ses disciples ne paraissent pas avoir influé sur le développement du quiétisme dans la deuxième partie du xviie siècle.

Cependant, M. Gustave Fagniez, Le P. Joseph et Richelieu, J577-1638, t. ii, Paris, 1894, p. 59, 66, n’accepte pas cette manière de voir. Il a repris la thèse des anciens historiens. Selon cel auteur, la secte des guérinets fut importante. Sun influence aurait été assez. considérable. M. Henri Bremond, Histoire du sentiment religieux, t. xi, c. iv, Les illuminés de Picardie, le réfute et accepte les vues de l’abbé Corblet et « lu P. de Salinis ; mais il essaie de tirer des conséquences inattendues de cette affaire des guérinets. Elle aurait été une cabale pseudo-quiétiste, comme il y en eut,