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RICHARD DE SAINT-VICTOR. DOCTRINE


Analyse du De Trinitate. — Les deux premiers livres traitent de l’unité divine ; les quatre derniers sont consacrés à l'étude de la trinité des personnes.

Prologue. — Le prologue de ce traité expose qu'étant appelé à voir Dieu, le chrétien doit se préparer à cette vision en se donnant de la peine pour saisir par la raison ce qu’il tient par la foi. Nitamur semper comprehendere ralione quod lenemus ex fide. Col. 889. Le chrétien ne doit donc pas se borner à tenir pour vraies les vérités révélées ; il doit essayer de les pénétrer par la réflexion, tout comme les philosophes se sont appliqués à bien comprendre le monde par le raisonnement. Ibid.

Livre I er. — Les premiers chapitres précisent le but que se propose l’auteur. L’homme parvient à la connaissance des êtres qui sont dans le temps par l’expérience des sens. Ce qui est en dehors du temps lui est accessible par le raisonnement et par la foi. L’objet de la foi est au-dessus de la raison, semble même parfois être contre elle. C’est pourquoi « une profonde et très subtile pénétration », projunda et subtilissima indagalio, col. 891, des données de la révélation est nécessaire. Toutefois cette pénétration des articles de la foi n’est possible qu'à celui qui croit fermement, selon la parole prophétique : nisi crediderilis, non intelligelis, 1s., vii, 9. Or, rien n’est plus certain que la réalité de la révélation qui a été démontrée par des miracles. Le De Trinitate ne se propose pas de procéder à l’examen spéculatif de tous les articles de la foi ; il se borne à ceux qui sont « éternels » et écarte « les mystères de notre rédemption qui ont été réalisés dans le temps p. Col. 890-892. Pour ces vérités éternelles, l’auteur ne veut pas se contenter de « raisons de probabilité » ; il a l’intention d’indiquer « les raisons nécessaires », « d’en dégager et d’en faire saisir le bien fondé » ; car aux êtres qui existent nécessairement… les preuves non de probabilité, mais nécessaires, de necessilate, ne sauraient faire défaut, bien que parfois elles puissent se dérober à notre recherche. Les êtres contingents sont connus par l’expérience des sens et non par le raisonnement, car ils peuvent ne pas être ; mais les êtres éternels… qui ne peuvent pas ne pas être… ne sauraient manquer de raisons nécessaires. Toutefois ce n’est pas l’affaire d’un chacun de les trouver et de les faire connaître ». Col. 892. L’auteur s’estime heureux s’il peut inciter quelques esprits à s’adonner à de semblables recherches.

Richard précise ensuite que le présent traité s’occupera « de l’unité substantielle et de la trinité des personnes en Dieu ». Il expose brièvement cet article de foi en des termes tirés du symbole Quicumque ; il ajoute « avoir lu et entendu fréquemment l’exposé de cette doctrine, mais ne pas en avoir lu les preuves rationnelles… ; les autorités abondent, mais non les arguments ». Col. 893. Ces prêchions données, l’auteur passe aux preuves de l’existence de Dieu. Il en donne trois. La première est tirée de l’existence d'êtres contingents ; la seconde, de l’existence de degrés dans les êtres ; la troisième, de l’existence de la puissance d'être, potentia essendi. Tous les êtres existants ou possibles, explique-t-il, sont ou de toute éternité et par euxmêmes, ou ni de toute éternité ni par eux-mêmes, ou de toute éternité mais non par eux-mêmes, ou par euxmêmes mais non de toute éternité. Il écarte cette dernière hypothèse qui suppose qu’un être non existant serait capable de se donner l’existence. Col. 893. Comme il est de bonne méthode de partir de ce qui est au-dessus de tout doute, pour aboutir par le raisonnement, en se servant de ce qui est connu par l’expérience des sens, à ce qu’on doit penser des êtres qui sont au-dessus de cette expérience, Richard prend comme point de départ les êtres qui, n'étant ni de toute éternité ni par eux-mêmes, sont soumis au changement. L’expérience -quotidienne nous montre que ces êtres, les plantes, les

animaux, les hommes, les produits de la nature comme ceux de l’industrie humaine n’existent qu’un certain temps : ils paraissent et disparaissent plus ou moins rapidement. « Mais en partant de l'être qui n’est pas de toute éternité ni par lui-même, le raisonnement parvient à l'être qui est par lui-même et qui, de ce fait, est de toute éternité, car si rien n'était de toute éternité, rien ne serait par quoi ce qui n’a pas son être par soi-même, ni ne peut l’avoir, aurait pu parvenir à l’existence. Il est donc prouvé que quelque être existe par lui-même et, par là, de toute éternité ; sinon il y aurait eu un temps où rien n'était et alors rien n’aurait jamais pu être, car ce qui aurait donné ou pu donner à soimême ou aux autres le commencement de l’existence n’aurait été d’aucune manière. C’est ainsi que, de ce que nous voyons, nous parvenons par le raisonnement à ce que nous ne voyons pas, de ce qui passe nous arrivons à ce qui est éternel ; du monde et des hommes, nous aboutissons à ce qui est au-dessus du monde et à Dieu. » Col. 894. Richard termine son argumentation en citant saint Paul aux Romains, i, 20.

Nous avons tenu à citer ce passage passablement rugueux, parce que, selon Clément Bàumker, nous avons ici le premier essai d’une preuve de l’existence de Dieu à posteriori, à l’aide du principe de causalité. Voir Bàumker, Witelo, p. 312 ; Grûnwald, Geschiehle der Gollesbeweise im Mitlelalter, thèse de Strasbourg, publiée à Munster-en-YV., en 1907, p. 81 sq. ; Ebner, Die Erkenntnislchre des Richards von Saint-Yiklor, thèse île.Munich, publiée à Muns ter-enW., en 1917, p. 74 sq.

Après avoir écarté l’opinion de ceux qui prétendent que l’existence d’un être éternel qui n’est pas par luimême est une impossibilité, « comme si la cause devait nécessairement précéder l’effet » et « comme si ce qui est d’un autre devait nécessairement lui être postérieur », le rayon du soh il procédant de celui-ci sans lui être postérieur, col. 895, Richard passe à la seconde preuve de l’existence de Dieu.

Ici encore, il veut partir d’une base absolument certaine. On ne peut douter, explique-t-il, que, dans la multitude des êtres, il n’en existe un qui soit le plus haut, summum, le plus grand et le meilleur de tous. Il est de même hors de doute que la nature rationnelle est supérieure à celle qui est dénuée de raison ; donc c’est une substance rationnelle qui doit avoir la première place parmi les Êtres. Comme cette substance ne peut avoir reçu d’un inférieur ce qui constitue son être, il s’en suit qu’elle ne peut l’avoir que d’elle-même. Il en est de même pour « la possession de la première place ». Cette substance étant par elle-inème, est nécessairement de toute éternité, assurant ainsi la possibilité de l’origine et de la succession des êtres sujets au changement. « C’est ainsi, termine Richard, que l'évidence des choses tombant sous l’expérience des sens prouve l’existence d’une substance existant par elle-même. » Col. 896.

Richard expose ensuite que tout ce qui est parvient a l’existence par le fait de la puissance d'être, potentia essendi, laquelle ne peut être que par elle-même et possède par elle-même tout ce qu’elle a. Toute essence, toute puissance et toute sagesse provenant d’elle, elle est la suprême essence, la suprême puissance et la suprême sagesse. Comme aucune sagesse ne saurait exister sans une substance rationnelle, il s’ensuit qu’il est une substance suprême, summa substanlia, identique à la puissance d'être et qui est l’origine de toutes choses. Col. 896. La suprême sagesse et la puissance suprême étant identiques à la substance suprême, sont nécessairement « l’une ce qu’est l’autre ». Col. 897.

Passant à la démonstration de l’unicité de la substance suprême, Richard explique que, si une substance est la puissance suprême, une autre substance ne sau-