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QUESNEL. AVANT LA BULLE UN16EN1TUS


juger des motifs différents qui déterminèrent les théologiens à condamner ce grand nombre de propositions. » Il est facile de satisfaire cette curiosité. Tous les documents sont aux archives Vaticanes (Francia, l. i xxx-cxxxiv, beritture del papa Clémente XI) ; on y trouve les propositions dénoncées, les rapports des consulteurs, les notes des cardinaux, les censures et le jugement final du pape, écrit de sa propre main pour chacune des propositions. Les dépèches du cardinal de La’lrémoille témoignent de l’application infatigable du pape dans ce travail délicat, et l’on peut sourire quand on lit dans Saint-Simon que le pape ne lit que signer la bulle qui lui avait été proposée par Le Tellier. Les preuves écrites attestent la science et la conscience avec lesquelles fut préparé le jugement final, ainsi que le soin et le scrupule qui avaient réservé le îôle de la liberté humaine dans le problème de la grâce. Sur chaque proposition, on indique les qualifications données par chacun des neuf consulteurs, puis les sens dont la proposition paraît susceptible et les différents partis que les Pères ou les théologiens en ont lires et en tin les autorités et les raisons pour lesquelles ont été qualifiées de telle ou telle manière les propositions ; les cardinaux du Saint-Office, après la lecture du rapport des consulteurs, donnent chacun leur avis. On trouvera un exemple de ce travail pour les propositions 26 et 27 dans l’ouvrage de Vincent Thuillier (p. 118-150). Malgré tout, il est permis de dire que le pape céda aux instances du roi pour publier cette constitution. Cela ressort nettement du Mémoire que le P. Timothée de La Flèche reçut, de la part du pape, le 8 juin 1713 : « Je n’accorde cette constitution qu’avec beaucoup de peine, quelque nécessaire que je la croie pour détruire le jansénisme qui fait tant de mal dans son royaume, par la crainte que j’ai qu’elle ne soit pas reçue comme elle doit l’être de son clergé et de ses parlements, mais enfin, sur les assurances qu’il m’a souvent données de la faire recevoir sans opposition, je vaincrai mes répugnances. » Mémoires du P. Timothée, p. 71-72 de l’éd. du P. l’bald d’Alençon. Pour parer le coup, Noailles écrivit au pape une longue lettre, en juillet 1713, au moment où l’on achevait l’examen des propositions ; il attaque « le système de Molina, qui, bien que non condamné par la congrégation De auxiliis, n’a été d’abord qu’une opinion théologique, enseignée par les jésuites dans leurs écoles ; mais aujourd’hui les jésuites s’acharnent à faire condamner comme hérétiques, ou du moins comme fauteurs d’hérésie, les théologiens qui ne pensent pas comme eux… Les disciples de saint Augustin, les défenseurs de la doctrine de saint Thomas sont, pour eux, autant de jansénistes… Les évêques mêmes ne sont pas épargnés ni à couvert du soupçon d’hérésie s’ils ne sont ou ne paraissent être dans la disposition d’entrer dans leur passions, d’obéir à leurs ordres ou de souscrire à leur doctrine. Voilà, tus Saint-Père, quel est mon crime ; voilà pourquoi on m’accuse, sinon d’être hérétique, du moins de favoriser l’hérésie. » ("est une attaque directe : « Si j’avais abandonné la doctrine de saint Augustin et de saint Thomas sur la grâce de Jésus-Christ, si j’avais opprimé par violence, par autorité les théologiens catholiques qui la défendent, si j’avais employé contre eux la fraude et l’artifice, si j’avais dissimulé la morale corrompue que les disciples de Molina ont prise sous leur protection, si je m’étais abstenu de réfuter et de condamner la fausse spiritualité de quelques nouveaux mystiques et l’idée chimérique de leur pur amour, de la vie intérieure et de l’oraison de quiétude, si je n’avais pas condamné publiquement l’opiniâtreté de ceux qui ne cherchaient que les moyens d’anéantir et d’éluder les décrets de Votre Sainteté contre les superstitions chinoises ; enfin si, plus occupé de mener une vie

douce et commode que de mon devoir, je leur avais abandonné le gouvernement de mon diocèse, j’aurais sans doute été de leurs amis, et je serais dans leur esprit et dans leurs discours non seulement un prélat orthodoxe, mais encore une des grandes lumières de l’Église. » Cette lettre, écrite au pape lui-même, indique le ton des polémiques.

Tandis que la commission pontificale examinait les propositions dénoncées, les ouvrages pour et contre Quesnel se multipliaient. En septembre 1712 parut un écrit qui devait inquiéter Quesnel ; il avait pour titre : Éclaircissements sur quelques ouvrages de théologie, Paris, 1712, in- 12, et il avait pour auteur Noël Gailande, cpie les jansénistes regardent volontiers comme un ignorant et un fanatique, tout dévoué aux jésuites. Le docteur Gallande montrait que les Réflexions morales reproduisent les cinq propositions sous une forme plus subtile et il raconte que Bossuet refusa de publier son Avertissement parce qu’il avait préalablement exigé qu’on mît « sixvingts cartons », et qu’on ne voulut pas le faire. Quesnel répliqua par des Obser ludions sur le livre intitulé Éclaircissements et surtout par les Vains efforts des jésuites contre la justification des Réflexions sur le Nouveau Testament, où l’on examine plusieurs faits publiés sur ce sujet par MM. les éoêques de Luçon et de La Rochelle et par le sieur Gallande, s. 1., 1713, in-12. Quesnel déclare que le livre de Gallande n’est qu’une satire contre les Réflexions et contre leur auteur, contre l’approbateur et l’apologiste de cet ouvrage ; il proteste contre L’histoire des six-vingts car tons » et souligne les erreurs du docteur Fromageau, qui en 1694 avait extrait des Réflexions, cent quatre vingt-dix-neuf propositions censurables ; il indique enlin les quelques propositions insignifiant es don l Bossuet avait demandé la correction. L’écrit de Quesnel, d’après ses amis, ne lit que le desservir à Home.

Cependant, le Saint-Office travaillait très activement ; au mois d’août 1713, le bruit courut que la constitution paraîtrait bientôt ; il ne restait qu’à la rédiger. Aussi le cardinal de I.a’lrémoille écrivait au roi, le 2(1 août, qu’il axait remis au pape une sorte de mémento gallican, cpii contenait le résumé succinct « de ce que Sa Majesté souhaitait qu’on insérât dans la bulle et de ce qu’elle souhaitait qu’on n’y mît pas » ; il avait rappelé la promesse de communiquer la bulle avant de la publier. Dom Alexandre Albani, à qui cette note fut remise, promit, de la part du pape, qu’on prendrait comme modèles les bulles qui axaient été le mieux reçues en France, comme celle d’Innocent X et d’Alexandre VII, et qu’il n’y aurait aucune expression dont le clergé de France put se plaindre, mais qu’on ne pouvait envoyer en France le projet de la bulle. Le lendemain, le cardinal l’abroni confirma les paroles d’Albani et déclara que Sa Sainteté avait seulement promis de communiquer le projet de bulle au ministre du roi, qui, à Home, connaissait les intentions de Sa Majesté, comme cela avait été l’ait pour la bulle Vineam Domini. D’ailleurs, la bulle était faite pour toute la chrétienté et non point seulement pour la France ; il devait suffire au roi qu’il n’y eût rien contre les maximes du royaume. On ne pouvait plus ajourner la publication de la bulle, le pape axait déjà demandé des prières pour implorer l’assistance de Dieu ; la publication, suivant la coutume, devail suivre de près ces prières.

Ces nouvelles arrivèrent à Fontainebleau le 13 septembre et le jour même le roi adressa à La Trémoille une réponse dans laquelle on lisait que, » puisqu’on ne pouvait savoir si la bulle ne contenait pas des clauses contraires aux maximes du royaume, il ne prenait aucun engagement jusqu’à ce que toutes les expressions aient été bien examinées »..1II. élr., Rome, Correspond., t. dxxix, lettre du 13 sept. 1713.