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RESTITUTION. CARACTÈRE ORLIGATOIRE


un délit formellement injuste. Celui-ci suppose une action injuste, qui ait été cause efficace et imputable et qui constitue une faute théologique.

a) Une action injuste. — Du fait que personne n’a le droit strict d’exiger qu’autrui travaille à son avantage, une simple omission ne suffit pas pour entraîner une obligation : une action positive, physique ou morale, qui de sa nature est ordonnée à causer un dommage et à léser la justice commutative est requise. Il ne s’agit pas ici de ce qui contreviendrait à la charité. Remarquons-le cependant ; en certaines circonstances s’abstenir d’agir équivaut à une action : un silence est parfois interprété comme une approbation ou une désapprobation et constitue ainsi un acte véritable. De même, la passivité entraînerait l’obligation de restituer, si celui qui n’a pas posé l’acte qui eût empêché un dommage, ou procuré un avantage sérieux, y était tenu par un contrat, un quasi-contrat ou par la loi.

Une action, qui n’aurait été que cause sine qua non de préjudice, ne suffirait pas non plus. Il en est de même de toute autre, qui, ni physiquement ni moralement, n’a eu d’efficience directe, mais a seulement été l’occasion qui a déterminé un autre à agir et à nuire. S. Alphonse, Theologia moralis, t. III, n. 536, 584, 632, 635. Toutefois, si la cause accidentelle revêtait le caractère d’une coopération, il n’en serait pas de même. Voir plus loin col. 2480.

Lorsque l’effet suit occasionnellement, mais que l’action a été posée avec l’intention de nuire, il est assez difficile de savoir si le mal commis donne lieu à restitution. Les moralistes hésitent. Le P. Vermeersch donne la solution suivante : disputatur probabiliter in utramque partem an injusla damnificatio habeatur. Alque ubi verus influxus fueril, id afflrmandum videtur. Theologiæ moralis principia, t. ii, n. 583. Wouters est défavorable à la restitution, étant donné qu’il n’y a pas eu de faute théologique ; il ajoute cependant : Id lamen non impedit quominus damnum eo sensu ponenli causa imputetur, quod ob damnum ilhid contra caritatem ofjendat. Manuale theologiæ moralis, t. î, n. 993.

En réalité, vu les circonstances, il est souvent impossible de dire si une action a été cause efficace ou seulement occasionnelle d’un préjudice causé à un tiers.

b) Une action qui soit cause efficace. — Pour que l’action posée donne lieu à restitution il est requis assez probablement que le dommage ait été voulu. En effet, on ne peut imputer à personne un acte involontaire. C’est l’opinion qu’expriment, avec quelques nuances : S. Alphonse, t. III, n. 628, 629, et Homo apostol., tract, x, n. 84, 85 ; de Lugo, Disputationes scolasticse et morales de justitia et jure, disp. XVIII, n. 86 ; Lacroix, Theologia moralis, t. III, part, ii, De reslilutione, n. 200 ; Sporer, Theologia moralis super Decalog., tractatus iv, c. ii, n. 139, cꝟ. 10e éd., Sporer et Bierbaum ; d' Annibale, Summula theologiæ moralis, part. II, t. III, n. 100 et 232 ; Aertnys-Damen, Theolog. mor., t. i, n. 767, q. 2.

Quand la cause destinée à porter un tort déterminé, est volontairement posée, l’agent est responsable ; il est tenu à la restitution, même si, dans la suite, il a fait tout ce dont il était capable pour en empêcher les effets. Si une action nocive, commencée involontairement, est susceptible d'être arrêtée dans son développement et ne l’est pas, son auteur est obligé de restituer, à moins qu’il ne risque de se porter à luimême un préjudice plus grand ou au moins égal et aussi grave que celui qui sera de fait subi par la tierce personne. Voir S. Alphonse, t. III, n. 564, y94 ; t. VI, n. 621.

e) Une faute théologique. — Cette action efficace doit aussi être théologiquement coupable.

a. Insuffisance de la faute juridique. — Celle-ci est constituée par l’omission de la diligence extérieure exigée par la loi, un contrat ou une charge, pour éviter qu’un tort ne soit causé. Le délinquant est coupable devant la loi, mais ne l’est pas forcément au for intime et devant Dieu. La faute juridique doit être prouvée, et c’est pourquoi elle n’impose le devoir de restituer qu’après la sentence judiciaire. S. Alphonse, t. III, n. 554 ; t. I, n. 100, ou s’il y a eu un engagement formel et spécial par contrat.

D’après les dispositions du Code civil français la réparation incombe à celui qui, par sa faute, a occasionné un dommage, soit par son fait, soit par sa négligence ou son imprudence (art. 1382, 1383), soit par l’action de ceux qui lui sont confiés (art. 1384) ou des biens qui lui appartiennent. Suivant les cas, les lois civiles, qui obligent à réparer pour une défaillance d’ordre juridique, n’agissent qu’au for externe ou présument au contraire la faute théologique.

b. La faille théologique est requise pour que l’action coupable et efficace donne lieu à restitution. — Le péché théologique concerne la conscience. Quand il existe dans une action, la damnification est formellement injuste. Il est mortel ou véniel, cf. S. Thomas, Ila-II 16, q. lix, a. 4 ; q. lxvi, a. 6 ; S. Alphonse de Liguori, t. III, n. 700. Il suppose, de la part de l’agent, la volonté de nuire et une connaissance, au moins confuse, du préjudice à commettre. Lorsque celui-ci n’est nullement prévu, ni voulu, il ne saurait être imputé à l’agent, même si ce dernier, se livrait à ce moment à une œuvre illicite. La gravité du péché est en relation non seulement avec le dommage sciemment voulu, mais aussi avec le rapport qui existe entre celui qui est lésé et le damnificateur. Pour l’apprécier à sa juste valeur, il est indispensable de tenir compte du sentiment commun, de l’avis des hommes prudents et des circonstances de temps et de lieu. C’est pourquoi en bien des cas, il sera malaisé de se prononcer d’une manière catégorique.

1. Gravité de l’obligation.

L’obligation de la restitution est en fonction directe de la gravité de l’injustice qui a été commise. Elle est également grave ou légère.

a) Obligation quand le péché est mortel. — Étant donné que la restitution est communément considérée comme une peine, pour qu’il y ait obligation grave de rendre, il est requis qu’il y ait eu une faute théologique grave.

b) Obligation quand le péché contre la justice est véniel. — D’une manière générale, lorsqu’il y a tort léger et péché véniel, il faut tout restituer sous peine de commettre une faute vénielle. Apportons cependant quelques précisions exigées par la complexité des cas qui se présentent.

a. Si le péché est véniel en raison de la légèreté de lu matière, il est certain que la restitution s’imposesuô levi.

Mais une faute de cette nature engendre-t-elle parfois une obligation grave ? Le cas se produit quand chacun des nombreux dommages commis est infime et que l’ensemble est considérable. Si c’est la même personne qui a subi un dommage grave par suite de la répétition des fautes vénielles, quelle est l’obligation du délinquant qui a agi avec pleine connaissance et entier consentement ? L’obligation semble grave au premier abord, vu que les petits torts peuvent être unis entre eux moralement et constituer une matière grave. Mais, s’il fallait en croire certains moralistes, il n’existerait ici qu’une multiplicité d’obligations légères, car il n’y a eu que des péchés véniels. Cf. Wouters, n. 995, p. 649. Il nous paraît douteux que l'équité naturelle s’accommode parfaitement de cette solution.

Si plusieurs personnes ont supporté des préjudices légers qui, pris ensemble, forment une matière grave, bon nombre de théologiens déclarent que le devoir de