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RELIQUES. APRÈS LE TRIOMPHE DE L'ÉGLISE


Dans tout l’Orient au ve siècle, cette subdivision du corps des saints est devenue un fait ordinaire que chacun peut constater, et que les historiens de l'Église orientale admettent sans aucune réserve, puisqu’au demeurant leurs âmes sont bien vivantes. « Les âmes courageuses des triomphateurs, écrit Théodoret, se meuvent à l’aise dans le ciel, mêlées aux chœurs des [anges] incorporels ; pour leurs corps, ils ne sont plus cachés chacun dans son tombeau, mais des villes et des villages se les sont partagés… Oui, le corps est divisé, mais indivise reste la grâce ; et si petit et si menu qu’en soit le résidu, il détient la même vertu que le martyr non encore partagé. » Grœc. affection, curalio, c. viii, P. G., t. lxxxiii, col. 1012 A. Le même auteur regrette pourtant que sur « de si petites reliques, af/txpo-ràtuv Xei^âvcov » on ne puisse plus parfois mettre un nom. Théodoret, Epist., cxxx, édit. Schultze, t. iv, col. 1218.

2. En Occident.

Ces usages suspects ne furent pas tolérés dans l'Église romaine et son patriarcat d’Italie, du moins pendant les trois grands siècles qu’elle vécut à l’ombre de l’Empire. C’est qu’en effet, la loi romaine édictait des peines rigoureuses contre toute profanation d’un tombeau, et le Code Théodosien, t. IX, tit. xvii, maintint la prohibition « de troubler le repos d’un mort, ne fût-ce qu’en déplaçant son sarcophage, et la défense surtout de porter sur ses restes une main sacrilège ». La suite du texte s’applique aux translations et divisions de reliques, et les interdit aux chrétiens. Aussi c’est par le fait de circonstances exceptionnelles que s’expliquent les translations de reliques à Rome antérieures au viie siècle. On comprend bien, par exemple, celles des martyrs morts en exil, Pontien et Hippolyte, lepape Corneille. Mais les translations clandestines opérées par les novatiens sont appelées des vols par la Deposilio marlyrum de 354.

La plus ancienne translation de martyrs à l’intérieur de Rome est celle des saints Prime et Félicien, qui, en 648, furent transportés de la voie Nomentane à l'église Saint-Étienne-lc-Rond ; on connaît ensuite celle des saints Faustin et Béatrice en 682. « Quand on parle auparavant de reliques transférées, on entend des objets ayant touché aux ossements des martyrs ou de la poussière de leurs tombeaux. » L. Duchesne, Liber Pont., 1. 1, p. 321 et 334. Ainsi avaient dû faire le pape Damase (366-384) pour la dédicace de SaintLaurent in Damaso, Innocent I er (401-417) pour celle des saints Gervais et Protais, et le pape Simplicius (468-483) pour la basilique de Saint-André et de SaintÉtiennc dont nous venons de parler. Au vu » siècle, on ne compte guère que trois translations de corps saints à Rome ; mais, au vin 8, l’ancienne discipline se perdit : en 757, c’est une grande quantité de reliques que le pape Paul I er fit transporter pour consacrer l'église Saint-Sylvestre in capile, et Pascal I" (817-824) reprit le courant des translations que le pape Hadrien I er avait essayé d’entraver : il fit transporter dans l’intérieur de Rome 2 300 corps et les répartit dans les différentes basiliques, à la grande satisfaction despèlerins.

A Milan, au temps de saint Ambroise, la dédicace des églises s’accomplissait sans déposition de reliques, Mcrcati, Antiche rcliquie liturgice, p. 10, et ce n’est que pour complaire à ses ouailles cosmopolites qui lui demandaient : « Dédiez la basilique (des saints Gervais et Protais) comme à Rome ! » que le grand évêque leur répondit : « Je le ferai si je trouve des reliques. » Epist., xxi, P. L., t. xvi (1845), col. 1019. On sait comment làdessus en 386, il trouva les corps des saints martyrs, inaugurant ainsi dans la Haute-Italie l’usage romain qui exigeait des reliques dans tous les autels.

Dans le nord de l’Italie, on était moins riche et surtout moins renseigné sur les saints martyrisés et ensevelis à la hâte ou en cachette. L’invention des corps

des saints Gervais et Protais, puis celle de saint Nazairc, dont on ignorait les lieux de sépulture, fut un événement considérable dans la vie religieuse de l’Italie du Nord et des pays transalpins, plus dépourvus encore de martyrs. L'évêque de Milan vit soudain se tourner vers lui les regards de ses collègues dans l'épiscopat ; et, afin de satisfaire leurs pieuses convoitises, il se permit, comme on le faisait en Orient, de partager les rcl iques des saints Gervais et Protais entre un grand nombre de villes de l’Italie, de la Gaule et de l’Afrique. Saint Gaudence de Brescia en demanda, saint Martin de Tours en reçut, saint Victrice de Rouen également.

L’histoire de ces saints évêques nous instruit sur le culte des reliques dans les Églises italiennes et galloromaines du ive siècle. Nous y voyons que Gaudence. avant d'être évêque, avait parcouru la Palestine, la Syrie et la Cappadoce à la recherche des reliques des apôtres et des martyrs dont il dota son église de Brescia, consacrée sous le vocable de Concilium sanctorum. Serin., xvii, P. L., t. xx, col. 962. Saint Martin lutta bien contre les faux martyrs et les fausses reliques : mais il était heureux d’en recevoir d’authentiques. Quant à saint Victrice de Rouen († 409), il inaugura en termes enthousiastes, le culte fervent que devaient garder les Églises du Moyen Age pour les reliques des saints : « Voici qu’une grande partie de la milice céleste daigne visiter notre cité, de sorte que désormais il nous faudra habiter parmi des foules de saints. » De laude sanctorum, c. i, n. 2, P. L., t. xx, col. 443. Sainte Radegonde († 587) obtint de l’empereur Justin des reliques de la Vraie Croix et du patriarche de Jérusalem un doigt de la main de saint Mf-mmas.

3. Les* pignora sanctorum ». — Mais ces multiplications de reliques aux vie et viie siècles, en Gaule et dans la Haute-Italie, s’expliquent aussi par une nouvelle forme du culte des reliques : si en Orient on divise les corps saints, si à Rome on consent enfin à des translations, en Occident, en dehors des anciennes métropoles, on se contente de reliques représentatives, c’est-àdire d’objets mis en contact avec le tombeau du saint. On les désigna sous le nom de brandeum, bénéficia, palrocinia, pignora, sanctuaria. Tantôt ce fut de l’huile des lampes que l’on allumait devant le tombeau dans le sanctuarium, tantôt la mousse, la « manne » qui se produisait sur la pierre recouvrant le sarcophage, tantôt l’eau ou le baume qui s'échappait du tombeau et que l’on recueillait avec des linges, tantôt même la poussière des dalles du martijrium. D’autres fois ce furent des vêtements ou des étoffes que l’on avait déposés sur le tombeau. On apprécia particulièrement ceux de ces vêtements qui avaient été posés sur le tombeau de saint Pierre à Rome ; ce furent les palliola ele la confession de saint Pierre, qui sont devenues le pallium des archevêques, mais qui, jusqu’au vme siècle, furent des reliques à tout usage représentatives de saint Pierre. On a conserve les ilineraria des pèlerins de Rome en quête de ces reliques, et le trésor de Monza garde les étiquettes attachées aux lampes des martyrs, dont saint Grégoire avait fait cadeau à la reine Théodolinde. Pendant des siècles, et en somme jusqu'à Charlemagne, les catholiques d’Occident se contentèrent de ces reliques représentatives des martyrs, comme l’attestent une lettre du pape Hormisdas à l’empereur Justinien, Epist. lxxvii dans Thiel, Epist. roman, pont if., p. 873, et la réponse de saint Grégoire le Grand à l’impératrice Constantine, femme ele Maurice. Elle lui avait demandé le chef de saint Paul pour sa nouvelle église de Constantinople ; le pape s’excuse de ne pouvoir accéder à cette demande : « Des exemples récents montrent à quels dangers s’exposent ceux qui troubleraient les restes sacrés des saints apôtres et martyrs. Ainsi le tombeau de saint Laurent ayant été ouvert par mégarde, tous ceux qui avaient