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RELIQUES. L’AGE DES PERSÉCUTIONS


vie en témoignage de leur foi ; mais, dans ce cadre céleste, où il fait figurer pourtant l’agneau immolé, ce qu’il voit sous l’autel, « ce sont les âmes des tués pour le Verbe de Dieu » ; s’ils sont représentés vivants et parlants, avec des vêtements blancs, s’ils rappellent « leur sang versé par les persécuteurs sur la terre », ils n’ont plus de traces de sang sur leurs vêtements, ni de larmes dans leurs yeux ; du moins aucun hommage particulier n’est donné par saint Jean à ces vestiges de leur martyre. Pour l’ensemble des fidèles défunts « qui se sont endormis dans le Seigneur », Apoc, xi, 13, et d’où les martyrs ne sont pas exclus, il paraît bien plutôt donner la consigne divine de « les laisser se reposer de leurs labeurs. » Ibid.

Mais, dans le monde gréco-romain, le culte des apôtres et des martyrs n’est pas l’objet d’une si grande défiance. Si Paul et Barnabe, juifs d'éducation, rappellent les païens de Lystres au culte du seul Dieu vivant, Act., xiv, 14, et refusent pour eux des honneurs divins, trop semblables en tous cas à ceux que recevaient les héros du paganisme, saint Luc, au contraire, note avec éloges qu'à Éphèse « Dieu faisait des miracles extraordinaires par l’intermédiaire de Paul, au point qu’on appliquait sur les malades des linges ou des mouchoirs qui avaient touché son corps, et les maladies les quittaient et les esprits mauvais étaient chassés ». Act., xix, 12. Usage transitoire sans doute et même trop particulier pour qu’on y voie une anticipation du culte des reliques proprement dites, puisque l’apôtre saint Paul était encore vivant ; mais la notation qu’en fait l’auteur sacré dénonce la pensée de l'Église naissante et prépare toute la doctrine catholique sur le sujet : des objets ayant touché au corps de l’apôtre sont reconnus comme instruments de miracles de la part de Dieu, ils sont recueillis et honorés comme quelque chose de sa personne et vraisemblablement mis à part par les fidèles, comme souvenirs matériels de l’apôtre. L’auteur des Actes, d’ailleurs, dans la lin de ce même chapitre, met ses lecteurs en garde contre toute interprétation magique de ces miracles par les Juifs ou les païens d’Ephèse.

Mais, lorsque les premiers apôtres des Églises se furent éloignés ou furent morts dans les supplices, pense-t-on que leur souvenir fut aboli avec leur disparition ? Il faudrait, pour le croire, ne pas connaître la ferveur de ces chrétientés primitives : dans cette société religieuse naissante, plus que dans tout autre milieu fermé, l’attachement à la personne des premiers prédicateurs de la foi était tenace et quasi familial. De même que les gens de Nazareth conservèrent jusqu’au ne siècle, au rapport de l’apologiste Quadratus, des socs de charrue travaillés, disait-on, par Jésus, on gardait dans les Églises de Paul, de Pierre et de Jean, des mémentos de leur passage ; quand on ne pouvait se glorifier, comme à Éphèse, à Corinthe et à Home, de posséder une de leurs lettres ou leur tombeau, on s’attachait aux menus objets qui avaient été à leur usage. Ne sullisait-il pas, pour s’y sentir encouragés, de lire dans les écrits du Nouveau Testament telle confidence de Jésus que les évangiles de Marc, de Matthieu et de Jean nous ont conservée à l'éloge de Marie : « Elle a fait une bonne œuvre à mon égard : elle a d’avance embaumé mon corps pour la sépulture. En vérité, je vous le dis, partout où sera prêché cet Évangile, dans le monde entier, on racontera aussi en mémoire de cette femme ce qu’elle a fait. » Marc, xiv, 10-15 ; cf. Matth., xxvi, 9-12 ; Joa., xii, 7. Sans doute serait-il à présent difficile pour le théologien de documenter cette consigne apostolique, et ce n’est assurément pas dans la AiSoc/Y) ou dans la lettre de Barnabe, pour bien des raisons, qu’il peut espérer en trouver des traces. Qu’il compare seulement deux écrits distants d’une trentaine d’années : l'épître aux Hébreux, qui

en appelle mystiquement « à cette innombrable nuée de témoins » de l’Ancien Testament, qu’il faut rejoindre par la foi, et l'épître de Clément Bomain aux Corinthiens qui leur prescrit : « Fixons nos yeux sur nos deux apôtres : Pierre et Paul, qui ont subi le martyre pour la concorde. » La nuance nouvelle qui s’affirme dans la dernière est toute en faveur d’un culte concret pour les apôtres.

III. La. tradition catholique a l'âge des persécutions. — 1° Tradition apostolique. — Le théologien conclura de ces incertitudes des saintes Écritures que le culte des reliques ressort plutôt de l’enseignement oral et d’une tradition apostolique exprimée ou en paroles ou en actes : c'était déjà la conclusion de saint Jean Damascène, De imaginibus, i, 23 ; ii, 10, P. G., t. xctv, col. 1256, 1302. Dès les premières origines, en effet, on voit l'Église l’accepter sans résistance, sans surprise, non pas à la dérobée et par tolérance pour les instincts païens de ses nouveaux fidèles, m lis comme une preuve de piété filiale des plus fervents chrétiens pour leurs ancêtres dans la foi, au point que plusieurs dames romaines qui ont échappé aux supplices, telles sainte Praxède et sainte Pudentienne, n’ont dû leur renom d’héroïsme, puis leur auréole de sainteté, qu'à leur vénération courageuse pour les corps des martyrs. Sans avoir à interpréter des textes obscurs, on peut être assuré que ces attitudes significatives marquent le sentiment commun des chrétiens des premiers temps. Sans doute, on pourrait supposer que l'Église se servait des reliques comme mémorial des martyrs et qu’elle ne les honorait point ; mais les reliques ne comportent pas, comme les saintes images, une distinction entre l’usage et le culte, le seul fait de conserver d’une manière particulièrement honorable les restes des martyrs dans les catacombes supposant déjà un culte exprès, encore qu’inexprimé.

Sans doute on doit regretter l’absence de documents contemporains concernant les reliques de la Passion et du Cénacle, et même les tombeaux des apôtres, dis perses aux quatre coins du monde ; on peut croire qu’ils ont été l’objet d’un culte, moitié humain, moitié religieux, mais d’un culte localisé aux pays de leur apostolat personnel et de leur sépulture. Et puis toutes les âmes n'étaient peut-être pas disposées à s’abandonner à un culte un peu trop extérieur, que la religion juive avait tenu en suspicion et que leurs propres aspirations mystiques laissaient de côté. Ainsi s’explique le silence de saint Ignace d’Autioche, qui passe à Éphèse pour aller à Rome : il désire « avoir part avec les Éphésiens chrétiens, qui ont toujours été d’accord avec les apôtres » ; il veut, par sa propre mort, « quand il entrera en possession de Dieu, suivre les traces de Paul, son symmyste, qui a été sanctifié, martyrisé et béatifié dignement », Eph., xi, 2 ; xii, 2 ; et malgré cela il ne dit mot ni du tombeau de saint Paul à Rome, ni de celui de saint Jean à Éphèse ! Ignace n’a pas la religion du pèlerin et ses yeux sont fermés aux choses extérieures. Cependant c’est sous la plume de ce mystique que l’usage - sinon la doctrine - des reliques des martyrs, va trouver sa première expression, furtive et vague. Mais il fallait pour qu’il en parlât, que cet usage fût déjà bien ancien et bien catholique : écrivant de la ville de Smyrne aux Romains avec le respect que l’on sait, il les supplie de ne pas chercher à le faire échapper au martyre : « Flattez plutôt les bêtes [du cirque], pour qu’elles me deviennent un tombeau, et qu’elles ne laissent rien de mon corps, pour que, une fois mort, je ne sois à charge à personne. » Rom., iv, 2. Si son corps est dévoré par les lions, « par tous ses membres, il deviendra une hostie à Dieu », un holo causte où rien ne sera perdu, tandis que, s’il en reste quelques débris, les fidèles de Rome penseront à leur donner la sépulture et quelque pieux personnage qui