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RELIGION (VERTU DE)


meut de la vie religieuse et morale. Elle met en l'âme la résolution d’accepter avec docilité et confiance les enseignements qu’il plaira à la divine majesté de communiquer à sa créature, la certitude confiante qu’elle pourra, malgré les difficultés, aspirer vers ce Dieu et aller à lui ; surtout elle lui donne à l’endroil de cette bonté paternelle l 'attitude d’un enfant à l'égard de son père. Et voici donc la religion au point de départ de la foi, de l’espérance, de la charité, de ces vertus dites théologales qui s’adressent directement à Dieu.

Elle est aussi, semble-t-il, à la racine des vertus qui règlent l’attitude morale de l’homme à l'égard de son prochain en qui il reconnaît un frère ; à l'égard de luimême enfin, puisqu’il doit respecter, soit en lui-même, soit dans les autres, l'œuvre de cette divinité devant laquelle la religion l’incline.

Ainsi l'étude du sentiment religieux et de la vertu de religion, qui en est l'épanouissement, pourrait très bien se concevoir comme formant l’introduction à une théologie morale surnaturelle. Le premier commandement de Dieu n’est-il pas : « Un seul Dieu tu adoreras et aimeras parfaitement » ? L’adoration, l 'amour ne sont-ils pas précisément les deux actes essentiels de la religion ?

2° En fait dans la Somme théologique, et pour des raisons historiques qu’il n’est pas très difficile de déduire, le traité de la religion, loin d’apparaître en tête de la théologie morale, intervient à une place qui ne laisse pas de surprendre d’abord.

La tradition scolaire en effet fournissait aux théologiens du xme siècle deux groupes tout faits de « vertus », groupes dont l’origine était tout à fait différente. Le premier : « foi, espérance, charité », ce qu’on appellera les vertus théologiques (nous disons aujourd’hui théologales), était fourni directement par l'Écriture (voir surtout I Cor., xiii, 13) ; c’est autour de ces trois chefs que saint Augustin avait systématisé lapratique chrétienne. Cf. Enchiridion sive de fide, spe et charitate. Les autres vertus morales dont l'Écriture procurait de copieuses énumérations avaient été systématisées, au contraire, en partant des cadres fournis par la philosophie grecque. Les quatre vertus d’Aristote, avec leurs divisions etsous-divisions multiples, avaient été étudiées avec beaucoup de soin par la philosophie hellénistique, puis par les Latins, Cicéron en particulier. A cette systématisation s'était rallié le très pratique évêque de Milan, saint Ambroise. Son exposé de la morale, dans le De oflîciis s'était fait autour des quatre vertus cardinales, justice, force, prudence, tempérance. La résurrection de l’aristotélisme au xme siècle n'était pas faite, bien entendu, pour mettre en échec ces idées, que les Sentences de Pierre Lombard avaient rendues classiques. Saint Thomas dans le plan tout nouveau de la Somme théologique leur fit grand accueil. Les « quatre vertus principales « n’avaient dans les Sentences qu’une distinction, t. III, dist. XXXIII ; elles occupent la majeure partie de la Ila-II » du Docteur angélique.

Or, Cicéron, à la suite de la philosophie hellénistique, avait rangé la « religion », parmi les sous-divisions de la « justice », avec la pî été (filiale), la reconnaissance, la vengeance, l’estime ou le respect, la vérité, toutes vertus où intervient en etîet l’idée d’un devoir à remplir à l'égard d’autrui, d’une dette à acquitter, sans qu’il y ait toujours égalité parfaite entre la dette elle même et ce que l’on donne comme contre-partie. Saint Thomas fit sienne cette idée, II*-II », q. i, xxx, a. unie, ad lum ; et c’est de la sorte que la II a -II®, traité des vertus particulières, après avoir fait une place dans les 46 premières questions aux vertus théologales, aborde avec la q. xi, vii, l'étude de la prudence, puis celle de la justice, que suivra celle de la force et de la tempérance. La justice a (fins (elle division de la Somme la part du lion, q. i.vn cxxil, c’est parmi ses « parties potentielles », comme dit l'École, c’est-à-dire parmi les vertus annexes, que figure la vertu de religion, à qui le Docteur angélique réserve une place considérable, q. lxxxi-c.

Cette disposition générale a fini par s’imposer aux théologiens postérieurs. Suarez lui-même n’osera pas rompre cet équilibre qui ne laisse pas de nous apparaître aujourd’hui comme un peu artificiel. Il reconnaît, il est vrai, qu’en un certain sens la vertu de religion est à la racine des vertus théologales, aussi bien que des vertus morales surnaturelles. S’appropriant une remarque déjà faite par saint Thomas, Ila-II*, q. lxxxi, a. 8, selon laquelle la religion s’identifie avec la sainteté, il voit en elle le centre même de la vie morale surnaturelle. Mais il ne se reconnaît pas le droit de briser le cadre dans lequel ses prédécesseurs avaient traité de cette vertu. De virtute religionis, tract, i, t. III, c. ii. On remarquera néanmoins que cet auteur parle de la religion aussitôt après avoir traité des vertus théologales, et non point comme d’une vertu annexe de la justice.

3° Au fait la question n’est que d’importance secondaire, pourvu qu’il soit bien entendu que, dans la vie morale, la religion, prise dans son sens le plus compréhensif, est la source jaillissante d’où procèdent toutes les autres vertus. Reste ensuite la question de savoir — le problème mérite d'être posé — si la religion doit être rangée parmi les vertus théologales ou parmi les vertus morales.

La solution de ce problème de classification était imposée aux théologiens médiévaux parles diverses considérations historiques que nous avons dites. A l’art.."> de la question lxxxi, saint Thomas se donne quelque peine pour établir que la religion, encore qu’elle ail Dieu comme objet (ce qui est la définition même des vertus théologales) n’a pas Dieu comme objet au même titre que la foi, l’espérance ou la charité. Et Suarez n’est pas loin de dire qu’il y a bien quelque subtilité en cette argumentation. Ibid., t. III, c. ii, n. 1. Les modernes commentateurs de saint Thomas, le P. Mencssier, par exemple, dans l'édition de la Somme théologique de la Revue des jeunes, La religion, t. i, p. 313 sq., quand ils s’efforcent de justifier par la dialectique une division que l’histoire avait imposée, attachent peut-être plus d’importance qu’il ne convient à l’argumentation du Maître.

Cette argumentation la voici : « La religion rend à Dieu le culte qui lui est dû. Il y a donc en elle deux choses à considérer : ce qu’elle offre à Dieu, le culte, qui joue le rôle de matière et d’objet de la vertu ; d’autre part celui à qui nous le devons, Dieu. Destinataire du culte qu’on lui rend, Dieu n’est point pour autant atteint par nos actes d’hommage religieux, à la manière dont nos actes de foi, s’adressant a lui, l’atteignent (cette sorte d’adhésion qui nous fait dire que Dieu est objet de la foi, non seulement parce qu’il est lui-même ce que nous croyons, mais encore celui à qui nous donnons notre foi). Rendre à Dieu la dette de son culte, c’est simplement accomplir en respect de lui, certains actes qui l’honorent, telle l’offrande d’un sacrifice ou quelque autre geste analogue. Il est donc manifeste que Dieu n’est, relativement à la vertu de religion, ni objet, ni matière, mais simplement fin. Nous n’avons donc pas affaire ici à une vertu théologale ayant pour objet la fin dernière. La religion est une vertu morale, regardant ce qui s’ordonne à cette fin. » Traduct. Mencssier, op. cit., p. 38-39. En d’autres termes la religion a seulement pour objet les actes du culte, et c’est par ces actes du culte qu’elle atteint Dieu. Mais ne pourrait-on pas dire la même chose des trois vertus théologales ; elles n’atteignent Dieu que par les actes mêmes qu’elles font produire. Suarez a 1res bien senti la difficulté et, abordant la question par