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RELIGION. L’EXPÉRIENCE RELIGIEUSE, CRITIQUE


l’efficacité comme preuve, ne va-t-on pas ouvrir la voie à toutes les formes de l’imagination visionnaire et à toutes les pratiques de l’occultisme ? Il y a de par le monde tant de sujets naturellement délirants et qu’enchante leur délire ! M. W. James songeait récemment à cette objection et y répondait en des termes plus ingénieux, ce me semble, que rassurants." Qu’il se « produise, disait-il, de folles végétations de croyances « étranges et superstitieuses, eh bien, après ? Si l’on n’a « point beaucoup trop, l’on ne peut jamais avoir assez « de quoi que ce soit. Combien ne faut-il pas de livres « médiocres, de mauvaises œuvres d’art, de discours « ennuyeux, d’hommes et de femmes de dixième ordre « pour rendre possibles quelques spécimens exquis ! » N’insistons pas trop, si vous voulez bien, sur le rôle de la superstition comme ferment de la religion ; mais tirons de cette défense le demi-aveu d’une importante vérité : l’expérience religieuse, dès qu’elle prétend ne tirer sa force probante que d’un sentiment d’efficacité et de bienfaisance pratique, est inévitablement superstitieuse par essence et ne devient purement religieuse que par accident : qu’est-ce à dire, sinon que l’expérience religieuse, pour valoir, demande à être homologuée par la doctrine ? » Ibid., p. 134. « Concluons donc en constatant que le pragmatisme a renversé la hiérarchie des ternies. Veritas, vita et via ! Ce n’est pas à la vie de se faire son chemin en prenant pour guides les inspirations plus ou moins heureuses de quelques génies mystiques, élevées au rang de vérités, c’est à la vérité qu’il appartient de gouverner la vie, de l’engager et de la diriger dans sa voie. La vérité reste en droit, et absolument la première. « Ibid., p. 135.

4. Sans nier la réalité de faits de subconscience chez les individus normaux eux-mêmes, ni celle d’une subconscience organisée chez les individus anormaux (cf. J. de La Vaissière, S. J., Éléments de psychologie expérimentale, Ô L ' édition, Paris, 1921, p. 252-275, en particulier la conclusion, p. 275), on doit constater que W. James fait à la névropathie une place exagérée et lui attribue une valeur qu’elle n’a pas. « James ne dit pas un mot (ou le mot sera si court qu’il m’a échappé) sur saint Thomas d’Aquin, Bossuet ou François de Sales… Mais tous les hommes qui ont été déséquilibrés, qui ont une fêlure quelconque dans le cerveau, trouvent dans ce livre une royale hospitalité. » Emile Faguet, Revue latine, 1906. James peut répondre qu’il n’enquêtait pas sur le raisonnement religieux, mais sur l’expérience religieuse. Sans doute, « mais pourquoi a-t-il peu ou point pris les faits d’expérience religieuse parmi ceux qui les contrôlaient par la froide raison, puisque plusieurs de ces spéculatifs ont éprouvé des phénomènes rentrant dans les faits étudiés ? Pourquoi, lorsqu’il cite des sujets doués d’une haute puissance de jugement comme sainte Thérèse, ne mentionne-t-il pas les analyses données par les sujets de leurs phénomènes ? D’après l’objet même de l’enquête, James ne pouvait avoir comme sujets que des névropathes ou des individus exceptionnels : c’est une grave erreur d’avoir cité pêle-mêle des malades, des gens d’une moralité douteuse, des hommes de génie, des saints. » De La Vaissière, op. cit., p. 325-320. « Les névropathes en particulier, continue le P. de La Vaissière, sont-ils des témoins autorisés en matière de réalité, quand la névrose apouretïet caractéristique de troubler la fonction du réel ? » Et il renvoie à Pierre Janet, Les névroses, Paris, 1919, I re part., c. vi. Ce dernier observe au sujet des psychasthéniques que, pas plus chez ceux-ci que chez les hystériques, on ne constate de véritables modifications des organes sensoriels, mais seulement « des sentiments pathologiques à propos de l’appréciation des perceptions et des agitations qui s’y ajoutent », et il donne à ce sujet l’appréciation suivante : « Les principaux sentiments obser vés sont, comme on l’a vii, le sentiment d’absence de relief, d’obscurité, de lointain, d'étrange, de jamais vii, de faux, de rêve, d'éloignement, d’isolement, de mort. Quel est le sentiment auquel se rattachent tous les autres ? On a souvent dit que c'était le sentiment de nouveau et d'étrange, je crois plutôt que c’est le sentiment de non-réel, le sentiment d’absence de la réalité. C’est ce sentiment de l’irréel qui donne les impressions de rêve, de simulation, de jamais vii, de fantastique, c’est cette absence de réalité psychologique qui leur fait dire cpie les autres hommes sont des automates cl qu’eux-mêmes sont des morts. On pourrait dire qu’ils ont conservé toutes les fonctions de perception, mais qu’ils n’y ajoutent plus les sentiments de confiance, de certitude qui constituent dans notre esprit la notion de la réalité. Nous retrouvons à propos de la perception le même doute qui troublait la mémoire et l’intelligence. Ce doute est une sorte d’inachèvement de la perception, exactement comme le défaut de conscience personnelle que nous avons noté chez l’hystérique, c’est pourquoi les troubles de la perception présentés par le psychasthénique méritent d'être rapprochés îles dysesthésies et des anesthésies hystériques : ce sont, malgré les apparences, des phénomènes très voisins l’un de l’autre. » Op. cit., p. 197 198. Cf.II* part., C. ni. L'état mental hystérique, § 4. Le rétrécissement du champ de la conscience. C. iv. L'état mental psychasthénique, § 3. La perte de la fonction du réel, fait rattaché à un autre fait plus général, étudié au § 1 : l’abaissement de la tension psychologique.

De plus « les conclusions de James sont en partie des tautologies formellement contenues dans les prémisses. Si les éléments rationnels sont systématiquement écartés, il est bien clair que la primauté dans l’ordre religieux appartiendra à l’inconscient et à l’irrationnel. » De La Vaissière, ibid., p. 326.

Lutin W. James fait de tous les initiateurs des névropathes : « En somme, on peut dire que tous les initiateurs sont sujets à de pareils phénomènes d’automatisme : ils ne seraient pas ce qu’ils sont s’ils n’avaient plus ou moins un tempérament de névropathe, c’est-àdire de soudaines illuminations et des impulsions obsédantes. » L’expérience religieuse, p. 403. Or Pierre Janet, un de ceux qui ont le mieux étudié l’automatisme psychologique, nous dit tout le contraire : » Quelles que soient les analogies dans les circonstances extérieures, la folie et le génie sont les deux termes extrêmes et opposés de tout le développement psychologique. Toute l’histoire de la folie, comme l’a soutenu Haillarger, et après lui beaucoup d’aliénistes, n’est que la description de l’automatisme psychologique livré à lui-même, et cet automatisme, dans toutes ses manifestations, dépend de la faiblesse de synthèse actuelle qui est la faiblesse morale elle-même, la misère psychologique. Le génie, au contraire, est une puissance de synthèse capable de former des idées entièrement nouvelles qu’aucune science antérieure n’avait pu prévoir, c’est le dernier degré de la puissance morale. Les hommes ordinaires oscillent entre ces deux extrêmes, d’autant plus déterminés et automates que leur force morale est plus faible. » L’automatisme psychologique, Paris, 1903, 4e éd., p. 478.

5. Enfin, sur la réalité avec laquelle le subliminal nous mettrait en rapport, ou bien W. James est très vague, ce qui se conçoit aisément, car le sentiment à quoi il réduit l’expérience religieuse et dont les accompagnements intellectuels sont secondaires ne saurait nous donner des précisions sur le plus grand moi, ou bien il donne des indications assez troublantes dans le sens d’un pluralisme. « Après tout, pourquoi le monde ne serait-il pas composé de plusieurs sphères de réalité se pénétrant les unes les autres ? Pour atteindre chacune d’elles, nous devrions nous munir d’une concep-