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RELIGION. ORIGINE DANS L’INCONSCIENT


choses des cerveaux sains (psycho-névroses) et celle des cerveaux invalides (cérébro-psychoses) et approuve, à sa manière, celle des théologiens entre extatiques vrais et faux. Sur la psychologie du mysticisme, dans Revue philosophique, t. lui, 1902, p. 162. M. J.-H. Leuba ne voit, dans les mystiques chrétiens, ni des scrupuleux, ni des abouliques, ni des impulsifs morbides, et ne rattache pas leurs états à l’hystérie bien que l’hystérie puisse s’y joindre. Rev. philosophique, t. liv, 1902, p. 27, p. 446."

M. H. Delacroix place, au-dessous des grands mystiques, des mystici minores et même des mystici min imi « que l’ignorance de leur entourage seule peut confondre avec les grands types du mysticisme … fitudes d’histoire et de psychologie du mysticisme, Paris, 1908. p. 357. 2° Le biologisme de J.-H. Leuba. — Bien qu’opposé à la théorie pathologique, Leuba n’en propose pas une meilleure sous le nom de théorie biologique.

Il ramène les tendances fondamentales des mystiques chrétiens aux besoins suivants : besoin de jouissance organique, besoin d’un apaisement de la pensée par unification ou réduction, besoin d’un soutien affectif (ou de se sentir aimé), besoin d’universalisation de l’action, « c’est-à-dire, en langage populaire, la détermination… de faire aux autres ce qu’on voudrait qu’ils nous fissent à nous-mêmes, ou, ce qui revient au même, de réaliser ce qui s’affirme en nous comme le bien ». Revue philosophique, t. liv. 1902, p. 35. Et Leuba fait remarquer qu'à l'état fort chez les mystiques, ces tendances se retrouvent à l'état faible chez toutes les âmes religieuses. Or ces besoins ne sont pas spécifiquement religieux et ne le deviennent que si leur satisfaction « est conçue comme dépendante d’une force de nature psychique et généralement personnelle ». Ibid., p. 486. Tout ce qu’il y a au fond de ces tendances c’est « une force créatrice non intentionnelle ». La psychologie des phénomènes religieux, trad. française de la seconde édition anglaise, Paris, 1e. H I, p. 332.

Ce « biologisme » se heurte à plusieurs difficultés : 1. Il ne tient pas compte de l'élément intellectuel d<' la religion, « de ce fait que toutes les religions paraissent avoir été, au début, des cosmologies en même temps que des théologies, affirmant ainsi un besoin de savoir et de comprendre qui n’a rien de proprement biologique ». H. Pinard dcLaBoullaye, op. cit., t.i, p. 462. Quant aux formes supérieures de la religion la part de la doctrine y est si évidente, qu’il n’est pas besoin d’insister sur ce point.

2. En second lieu, vraie ou fausse, la constatation à laquelle aboutit M. Leuba (qu’il n’y a pas de besoin leligieux en soi, per se) n’a pas la portée qu’il paraît lui attribuer. « Y a-t-il davantage un besoin moral ou un besoin esthétique en soi, sans analogie avec les tendances de l'être humain en d’autres domaines, par exemple avec le besoin d'équilibre vital ou de bienêtre ? Du point de vue phénoménal, en quoi se distingue l’amour naturel et légitime de l’amour contre nature et le bon goût du mauvais ? La similitude profonde des émotions morales entre elles et celle des émotions artistiques entre elles, quelle que soit la valeur éthique ou esthétique de l’objet qui leur donne occasion, empêche-t-elle qu’il y ait une loi morale absolue ou une règle de goût ? L’analogie des émotions morales avec les émotions artistiques empêche-telle que l’aspect moralité ne soit autre que l’aspect beauté? Il est au moins permis d’en douter. Ces ressemblances en etîet sont inévitables, parce qu’un être sensible sent toutes choses, bonnes ou mauvaises, hallucinatoires ou réelles, avec sa sensibilité. Le sentiment religieux, le sentiment moral et le sentiment artistique dénotent au moins une spécialisation de cette faculté. » Ibid., p. 462-463.

3. Pour M. Leuba, l’extase n’est qu’une syncope incapable d’enrichir la vie de l’esprit. Il oublie l’affirmation réitérée des grands mystiques chrétiens que les phénomènes d’anesthésie ou de catalepsie n’accompagnent que les degrés inférieurs de l’ascension vers Dieu.

4. Enfin, quand M. Leuba professe qu’il n’est matérialiste « qu’en pensée, et non. du moins nous l’espérons, en action », quand i ! se proclame « idéaliste empirique » (Psychologie des phénomènes religieux, p. iv), quand il attend une religion « dont le centre de gravité serai ! l’humanité, conçue comme une force tendant à la création d’une société idéale » (op. cit., p. 395), quand il parle de la technique mystique qui a réalisé « dans des conditions de vérité quasi-matérielle la présence de la perfection suprême » et est « une des manifestations les plus éclatantes de la puissance créatrice qui est à l'œuvre dans l’humanité » (Psychologie du mysticisme religieux, trad. française par Lucien Herr, Paris, 1925, p. 446), sans doute il se réfère au fond à un panthéisme humaniste qui ne saurait nous satisfaire, mais il dépasse, et de beaucoup, le point de vue purement biologique.

Si on tient compte des déclarations de Leuba que nous venons de citer on ne peut pas dire qu’il tient la religion pour une pure illusion, mais, néanmoins, il l’estime illusoire et néfaste sous sa forme théiste. Dans un ouvrage récent, Gad or mon, 1934, il professe ne vouloir ni du Dieu du cœur, ni de celui de l’intelligence et fonde la religion uniquement sur la tendance de l’humanité à la bontéet à la beauté. C’est du panthéisme. Pour sa réfutation voir dans ce Dictionnaire l’article Panthéisme.

Le freudisme.

D’après Freud, la religion sérail « une sublimation de la libido… qu’il convient de rapprocher de l'élan vital de Bergson ou du vouloir-vivre

de Schopenhauer, mais en pénétrant ces concepts de l’idée de sexualité : c’est beaucoup plus que l’instinct génésique, ce n’est pas quelque chose d’hétérogène au sexuel. Il faut surtout ne pas lui donner a priori le caractère d’une tendance dépravée : chose difficile pour nous, Français, car, dans notre langue, les composés de ce mot évoquent précisément la tendance dépravée de l’instinct sexuel. « La notion de sublimation n’est pas chez Freud exempte d’ambiguïté. Selon une interprétation du freudisme, aussi courante chez ses adversaires que chez ses disciples, là où Freud dit libido sublimée, il faudrait traduire sexualité déguisée, mais raffinée. Freud se rangerait alors dans la lignée de ceux qui. étudiant le sentiment religieux chez les mystiques — et de fait c’est chez eux qu’il s’est analysé le plus explicitement — n’y ont vu que l'érotisme inconscient, sans doute plus délicat que l'érotisme grossier, mais au fond de même nature. Dans la recherche des plaisirs sexuels et dans celle des joies artistiques ou religieuses, le besoin à satisfaire resterait au fond le même, seuls les moyens employés différeraient. « Cette thèse est injustifiable. L’analyse des étals mystiques où abondent les métaphores tirées de l’amour humain ne lui apporte, malgré les apparences, aucun appui. On pourrait faire remarquer que ces métaphores ne sont pas absolument indispensables pour traduire l’expérience de l’amour mystique. On ne les rencontre pas chez saint Augustin. Il faut cependant reconnaître que plus tard, à partir de saint Bernard, dit Heiler (La prière, p. 302 sq.), elles deviennent prédominantes. Même lorsqu’on fait la part de la tradition littéraire (voir à ce sujet la thèse de G. Etchegoyen, L’amour divin. Essai sur les sources de sainte Thérèse), il reste qu’il y a là un fait à retenir. Mais il n’en ressort nullement que les mystiques soient des érotomanes plus délicats, plus raffinés et inconscients.