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RELIGION. LE MATÉRIALISME HISTORIQUE


Mais il est juste de reconnaître que Durkheim a eu le mérite de présenter la religion comme le fait social le plus important, d’avoir dissipé le rêve d’une religion tout intérieure d’un Auguste Sabatier, mis en relief la nécessité d’une tradition religieuse donnant à l’individu sa foi et son culte, placé à côté de l’expérience religieuse les institutions qui forment le corps indispensable de la religion et enfin affirmé, bien que pour des raisons insuffisantes, la pérennité du fait religieux.

V. LE MATÉRIALISME HISTORIQUE.

Exposé.


Il faut que nous en parlions, bien que cette doctrine n’ait ni valeur, ni crédit scientifiques, parce que dans les milieux primaires c’est la Science, avec un grand S, et que certains intellectuels bolchévistes militent encore pour cette vieillerie. (Voir A la lumière du Marxisme, Paris, 1936, par un groupe d’agrégés et de professeurs de l’enseignement supérieur, avec une introduction de H. Wallon, professeur à la Sorbonne : voir surtout Jean Baly, Le matérialisme historique, p. 285-308.) « Le terme a été créé par Engels pour désigner la doctrine de Karl Marx d’après laquelle les phénomènes économiques sont la base et la cause déterminante de toutes les réalités historiques et sociales. « La structure « économique de la société est la base réelle sur laquelle « s’élève l’édifice juridique et politique, et à laquelle « correspondent des formes déterminées de conscience « sociale… Le mode de production de la vie matérielle « conditionne l’ensemble de tous les processus de la « vie sociale, politique et spirituelle. » Karl Marx, Zur Kritik (1er politischen Œkonomie, préface, 1859. (Vocabulaire technique et critique de la philosophie, A. Lalande, 4° édition, Paris, 1932, au mot Matérialisme, p. 442.) On discute la question de savoir si, pour des fins de propagande, Karl Marx n’aurait pas outré sa doctrine

— ce qui serait peu flatteur pour sa probité intellectuelle — surtout en niant toute action en retour des formes de superstructure (droit, philosophie, religion) sur les réalités économiques, alors qu’en réalité, il croyait à une interaction de ces formes et de l’économie. La question a été longuement débattue à la Société française de philosophie entre G. Sorel et F. Rauh, qui soutenaient la dualité de la pensée de Marx, contre Halévy qui estimait que celui-ci n’aurait pas eu de doctrine ésotérique et aurait toujours aflirmé la dépendance entière et sans choc en retour des idéologies de superstructure relativement à l’économique. Bulletin de la Société française de philosophie, mai 1902. En fait c’est la seconde thèse qu’on exploite de nos jours et qui seule nous intéresse.

D’après Marx, depuis l’origine de l’humanité jusqu’à nos jours, la religion n’a été que le « voile » jeté sur la misère des exploités par les exploiteurs, souvent avec la connivence des exploités eux-mêmes cherchant une illusoire consolation. Le christianisme semble, à première vue, n’être inspiré que par les pures idées de grâce divine et de charité humaine. En réalité, il n’est que le retlet des conditions économiques des sociétés antiques et des sentiments que de telles conditions avaient imposés à la plèbe opprimée. Une obscure conscience de masse pénétra dans les multitudes réduites en esclavage, et ces multitudes glorifièrent leur humilité impuissante par leur foi dans un empereur des pauvres qui les émanciperait dans une autre vie. La preuve en est que le spiritualisme chrétien qui aurait exalté la dignité de la personne humaine n’a jamais libéré les hommes d’une servitude réelle.

Critique.

Un philosophe laïcisant, B. Jacob,

dans une conférence aux futures maîtresses des écoles normales, à Sèvres, faisait remarquer, en 1907, que sans doute « nos manières de vivre, nos besoins, nos intérêts déterminent en partie nos sentiments et nos idées ;

mais que nos idées et nos sentiments déterminent partiellement nos manières de vivre et nos intérêts mêmes ». Quant à la religion il disait : « Si les phénomènes économiques n’expliquent pas entièrement l’histoire politique des peuples, à plus forte raison ne peuvent-ils fournir une explication complète de leur histoire religieuse. Les religions, surtout les plus récentes et les plus hautes, ont leurs sources principales, non dans les modifications de l’industrie, mais dans l’exaltation de certaines facultés spirituelles chez un ensemble d’hommes. Aucun changement du régime de la production en Judée n’a fait jaillir de l’âme des prophètes hébreux les belles paroles qui glorifient aux dépens des rites et des pratiques de la Loi [ou plutôt d’une religion qui s’y bornerait] la droiture de l’âme et la pureté du cœur. Aucun procédé de fabrication ou d’échange n’a suscité la prédication de Jésus de Nazareth aux bords des lacs de Galilée, et nous pourrions savoir tout ce qui se passait dans une boutique juive du temps de Tibère sans posséder le secret du sermon sur la montagne. » B. Jacob, Devoirs, Paris. 1907, p. 362 et 367.

Quant au fait que le christianisme aurait d abord été exclusivement la religion des esclaves et des prolétaires, il est controuvé. « Les documents qui nous sont parvenus nous montrent la foi chrétienne accueillie, dès le début, par les ordres les plus divers de la société. Qu’elle semble s’introduire de préférence par les ports et les villes de commerce, cela ne doit pas surprendre, les éléments qu’on trouve là étant les plus mobiles dans tous les sens du mot. Bien d’étonnant non plus, si l’on remarque parmi les convertis un grand nombre de pauvres gens et d’esclaves, étant tout naturel que la sollicitude si nouvelle du christianisme à leur égard ait été mieux accueillie par eux et mieux remarquée. Mais le l’ait est que l’Évangile a été progressivement revu par toutes les classes et tous les milieux sans distinction. On ne saurait donc le considérer comme une suite du déséquilibre social. « Parmi les convertis de l’apôtre saint Paul se trouvent à la lois l’esclave Onésime et le maître de cel esclave, Philémon, avec qui Paul le réconcilie, puis un très haut personnage Sergius Paulus, un membre de l’Acropage d’Athènes, une marchande de pourpre précieuse, un médecin cultivé, saint Luc, les négociants juifs Aquilas et Priscille, des Juifs et des Grecs, des Romains et des provinciaux. Avant la fin du 1 er siècle, la persécution de Domitien frappe principalement parmi les personnages les plus illustres de Rome, Acilius Glabrion et la famille de Flavius Clemens, tous deux sénateurs et consulaires, dont les tombes des catacombes de Domitille prouvent encore de nos jours leur conversion au christianisme. Quelques années après, Pline écrivait à l’empereur Trajan, des rives de la Mer noire, qu’il avait trouvé des chrétiens dans toutes les classes sociales. Tertullien soulignait le même fait dans toute l’étendue de l’empire un siècle plus tard. » Essai d’une Somme catholique contre les Sans-Dieu, Paris, 1936, p. 320-321, chapitre rédigé par Pierre Deffrennes.

Les théories des marxistes sur l’alliance de i’Église et des forces d’exploitation sont aussi arbitraires que leur système sur l’origine du christianisme. « Ils mettent sur son compte (de la religion) les actions malfaisantes des exploiteurs capitalistes, tout aussi pétris de matérialisme qu’eux-mêmes et ferment les yeux sur les prescriptions de l’Église, ses commandements, sa doctrine, son histoire remplie de saints, de savants, d’artistes, de chefs qui ont mené les foules et se sont sacrifiés pour elles. Sans doute, la religion est la consolation des hommes dans les misères de la vie, mais elle est aussi la puissance spirituelle de l’histoire mondiale qui sur son programme a mis en tête l’organisation de la société selon la justice, la fraternité et l’amour universel. Tout comme le bolchévisme, la religion se pro-