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RELIGION. THÉORIE SOCIOLOGIQUE, CRITIQUE


de cultures avait déjà été mis en relief par G. Matthew dans son ouvrage Eaglehawk and cross, Londres, 1899. Fr. Græbner par ses travaux parus dans la Zeilschrift fur Ethnologie et le Globus (1905 et 1906) poussa plus loin l'étude des cycles culturels (voir plus loin, col. 2292 sq.) de l’Australie pour aboutir aux conclusions suivantes : « La civilisation la plus ancienne est la nigritienne, répandue autrefois sur tout le continent et identique à celle des Tasmaniens, race maintenant éteinte. Un second courant de civilisation, amené par les Papouas occidentaux, pénétra par le Nord-Ouest et le Nord, et se superposa à la civilisation précédente ou la refoula vers le Sud-Est, dont les contrées montagneuses en ont conservé le plus d'éléments ; celle-ci pénètre avec ses particularités jusqu'à l’Extrême-Ouest, mais s’arrête, dans ses traits essentiels, dans l’Australie centrale : à présent, elle occupe à peu près le tiers moyen de la côte orientale, et s’avance vers le centre, gagnant ainsi de l'étendue, sans toucher pourtant les parties septentrionale et méridionale de la côte. » P. W. Schmidt, L’origine de l’idée de Dieu, I re partie historico-critique, Paris, Picard, 1910, p. 138. Voir toute cette section intitulée : Facteurs ethniques de l'évolution sociale en Australie, p. 136-142. Le P. W. Schmidt adhéra pour l’essentiel aux conclusions de Grœbner auxquelles il donna encore plus de poids par ses recherches personnelles, soit dans Ursprung der Goltesidee, t. I, Miïnster-en-W., l re éd., 1912, soit dans Die Gliederung der australischen Sprachen (division des langues australiennes), Vienne, dans la revue Anthropos en 1912, puis en volume en 1919, couronné par l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres de Paris, prix Volney, soit dans la nouvelle édition de l’Origine de l’idée de Dieu (en allemand, depuis 1925). Il en résulte que « tout au rebours du sentiment de Durkheim, les tribus du Sud-Est représentent en Australie, le peuplement le plus ancien, tandis que celles du centre et tout particulièrement les Aranda (chers à Durkheim) sont les dernières venues ».

Le D r Verneau place les Négrilles avant les Australiens. L’homme, races et coutumes, Paris, 1931, p. 68. M. Paul Privat-Deschanel dit des Australiens : « Si l’existence journalière des indigènes ne diffère guère de celle des animaux, leur vie sociale, au contraire, est fort compliquée, et surtout dans les tribus les plus sauvages, ce qui semble indiquer que la société australienne est une société en décomposition… Les dialectes australiens sont très nombreux, par suite de l’isolement des tribus. Le langage est très riche, sauf en termes abstraits, qui manquent à peu près complètement. La complication de la grammaire tend à faire croire que la race australienne a été jadis plus civilisée ; elle connaît le duel et des formes honorifiques, distinctes des formes familières. » Géographie universelle publiée sous la direction de P. Vidal de La Blache et L. Gallois, t. x, p. 100 et 102. En somme il s’agit non pas d’une race primitive, mais d’une race vieillotte, fortement métissée, comme celle de leurs voisins du Nord, au-delà du détroit de Torrès, les Papous de la Nouvelle-Guinée. (Observation qui s’applique également au livre de M. Lévy-Bruhl sur la mythologie des Australiens et des Papous.) Le D r Georges Montaudon distingue plusieurs couches de civilisation en Australie : 1. Une culture vraiment primitive, ou cycle du boumerang, qui est représentée très fortement dans le Sud-Est, au Sud-Ouest et dans le Nord-Ouest et est encore dominante ou assez fortement représentée dans le reste de l’Australie, sauf dans le Nord des deux presqu'îles septentrionales, culture « monothéiste ». 2. Une culture précoce, primaire inférieure, totémiste sur la côte du Nord et au Centre où les Aranda ou Arunata « venus au reste du Nord, sont peut-être les meilleurs

représentants de cette culture ». 3. Une culture « moyenne », polythéiste, dans le reste du continent. Traité d’ethnologie culturelle, Paris, 1934, p. 61-66, 71, 99, 107.

Durkheim voit une des preuves les plus convaincantes du caractère primitif de l’organisation sociale des indigènes de l’Australie dans leur organisation en clans. Or, actuellement les ethnologues ont abandonné la vieille idée de Morgan sur l’antériorité du clan relativement à la famille. « En Australie, comme ailleurs, la famille est essentielle et plus ancienne, le clan est un développement secondaire relativement peu important. Ce renversement de l’ordre de succession traditionnellement admis est l’une des conclusions les plus certaines de l’ethnologie moderne. » Ilobert Lowie, professeur d’anthropologie à l’université de Californie, Traité de sociologie primitive, trad. française, Paris, 1935, p. 162 (noter que les Anglo-Saxons appellent anthropologie, ce que nous nommons ethnologie). Voir du même, Traité d’anthropologie culturelle, Paris, 1936, c. xiv : le clan, p. 279 sq.

7. Quant au totémisme — qui n’est pas, nous venons de le voir, une institution primitive chez toutes les tribus australiennes — Durkheim en force notablement le sens et la portée. Il est d’abord ignoré de toute une série de peuples « qui sont ethnologiquement les plus anciens : les Pygmoïdes, les Pygmées asiatiques et Africains, les Australiens du Sud-Est, les Aïnos, les Esquimaux primitifs, les Koryakes, les Samoyèdes de l’Extrême-Nord, les Californiens du Centre-Nord, les Algonquins primitifs dans l’Amérique du Nord, les Fuégéens dans l’Extrème-Sud américain ». P. W. Schmidt, Origine et évolution de la religion, p. 165. Même comme phase plus récente de l'évolution et à l'époque même de sa floraison, le totémisme n’apparaît pas du tout sous la forme d’un régime universel et que tous les peuples auraient traversé. « Gnvbner a prouvé que le matriarcat ne relevait pas du totémisme. Frazer (dont le grand ouvrage : Totemism and Exogamy, 4 vol., Londres, 1900-1911, a le plus contribué à faire connaître le totémisme) a établi, et avec une rigueur croissante, que les trois grands peuples civilisateurs, les Indo-Européens, les Hamito-Sémitiques et les peuples altaïques anciens n’ont pas connu le totémisme originairement. Seules leurs migrations les ont amenés en contact avec lui, et ils ne lui ont fait que des emprunts limités et plutôt banals. » Ibid., p. 151-152.

D’ailleurs on se demande de plus en plus s’il y a un système totémique unique et si le totémisme a toujours une signification religieuse. « Pourquoi, écrit Lowie, ne pas renoncer à ce vain effort qui consiste à vouloir faire tenir dans une seule définition, ainsi qu’en un lit de Procuste, tout un système d’appellations, d’héraldique, de pratiques religieuses et magiques. Chacun de ces systèmes est à étudier séparément et, lorsque des similitudes se présentent, il faut aussi les analyser rationnellement. La variété de tous ces phénomènes ne doit pas être voilée par la notion captieuse de « valeur émotionnelle. » Traité de sociologie primitive, p. 149. Dans son Manuel d’anthropologie culturelle le même auteur nous dit : « Les dans des Iroquois Seneca étaient appelés Tortue, Ours, Loup, Faucon, etc., et l’on gravait des représentations de ces animaux sur les portes des maisons. Mais la chose n’avait pas plus d’importance que lorsque chez nous (aux États-Unis) le parti républicain prend pour emblème l'éléphant. » Par ailleurs, il y a des tabous totémiques interdisant aux gens d’un clan de manger de l’animal dont ils portent le nom. Et « bien que le culte véritable du totem soit rare, les Australiens célèbrent d’ordinaire en des lieux sacrés que sont supposés hanter leurs ancêtres totémiques des rites compliqués dont le but est d’accroître la force de l'énergie végétale ou animale en