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RELIGION. THÉORIE SOCIOLOGIQUE, EXPOSÉ


coud lieu, pour bien comprendre une institution, il est souvent bon de la suivre jusqu’à des phase » avancées de son évolution, c’est parfois quand elle est pleinement développée que sa signification véritable apparaît avec le plus de netteté ». P. 137-138.

La majeure partie de l’ouvrage de Durkheim (1. II et III) est consacrée à la description, fortement interprétée de la religion lolémique ; croyances (1. II) et culte (1. III).

Dans la vie collective des tribus australiennes, c’est le clan qui tient la place principale. Tous les membres du clan se considèrent comme parents, alors même qu’il n’y a pas de lien de consanguinité entre eux et du seul fait qu’ils sont désignés par un seul mot. Ce mot est le nom « d’une espèce déterminée de choses matérielles avec lesquelles il (le clan) croit soutenir des rapports très particuliers, … notamment des rapports de parenté ». P. 143. « Quant au nom de totem, c’est celui qu’emploient les Ojibway, tribu algonkine, pour désigner l’espèce de choses dont un clan porte le nom. » P. 144. Les objets qui servent de totems sont normalement des plantes ou des animaux, et normalement aussi le totem est l’espèce, non l’individu. Exceptionnellement il y a des totems-choses ou événements : pluie, grêle, lune, soleil, été, hiver, tonnerre, etc., et des totems-ancêtres. Il y a des totems de phratries (groupes de dans inférieurs aux tribus) et de classes matrimoniales (subdivisions de phratries, il faut se marier en dehors de sa classe, c’est le principe de l’exogamie). Les emblèmes des totems sont des dessins, des tatouages ou des objets sacrés, pièces de bois ou pierres polies avec gravure des totems, employés lors de certaines cérémonies (churinga, nartunja, warunga). Le caractère sacré du totem ressort du fait qu’il est interdit, sauf cas exceptionnels, de tuer et de manger l’animal totémique, de cueillir la plantetotem (quand il s’agit des membres du clan). Il y a aussi des interdits de contact (tabous). L’homme est apparenté au totem ; il en porte le nom, et dans ce milieu » l’identité du nom passe pour impliquer une identité de nature ». P. 190. Il y a des totems individuels et des totems de sexe. Tout se classe d’après les totems, et leurs rapports indiquent l’organisation de la tribu. Ce classement a été l’origine (religieuse) des catégories de la logique.

Il ne faut chercher l’origine du totémisme ni dans l’animisme, ni dans le naturisme réfutés plus haut, ni dans une religion antérieure quelconque, car il est lié, chez les Australiens, « à l’organisation sociale la plus primitive que nous connaissions et même, selon toute vraisemblance, qui soit concevable » (p. 267), ni dans un état de choses étranger à la religion (contre Frazer, seconde manière, et contre A. Lang) parce qu’il a un caractère religieux indéniable, mais en lui-même.

Ici M. Durkheim reprend l’idée du maria des préanimistes et de Frazer en insistant sur le caractère originairement impersonnel qu’il revêtirait. « Ce que nous retrouvons à l’origine et à la base, ce ne sont pas des objets ou des êtres déterminés et distincts, qui possèdent par eux-mêmes un caractère sacré, mais ce sont des pouvoirs indéfinis, des forces anonymes, plus ou moins nombreuses selon les sociétés, parfois même ramenées à l’unité, et dont l’impersonnalité est strictement comparable à celle des forces physiques dont les sciences de la nature étudient les manifestations. » P. 286. Or, — et ici Durkheim ajoute aux conceptions préanimistes une idée nouvelle, au moins sous la forme rigoureuse qu’il lui a donnée — le mana n’est autre que la traduction en termes sensibles de l’action que la société exerce sur l’individu. Cette action sociale éveille la sensation du sacré et du divin, parce que seule la société est revêtue d’autorité morale et que seule elle élève l’individu au-dessus de lui-même.

Les alternatives de la vie des tribus australiennes expliquent que chez elles les pensées et les sentiments collectifs prennent à certaines époques une intensité voisine de la frénésie. Tantôt le clan se disperse pour la provende, chasse et pêche. Tantôt il se réunit — et parfois avec d’autres dans — et alors on célèbre une fête religieuse ou un corrobori (fête accessible aux femmes et aux non-initiés). La fête met tout le monde dans un état d’exaltation extraordinaire. Telle la fête du l’eu chez les Warramunga. « Déjà, depuis la tombée de la nuit, toutes sortes de processions, de danses, de chants avaient eu lieu à la lumière des flambeaux ; aussi l’effervescence générale allait-elle croissant. A un moment donné, douze assistants prirent chacun en mains une sorte de grande torche enflammée et l’un d’eux, tenant la sienne comme une baïonnette, chargea un groupe d’indigènes. Les coups étaient parés au moyen de bâtons et de lances. Une mêlée générale s’engagea. Les hommes sautaient, se cabraient, poussaient des hurlements sauvages ; les torches brillaient, crépitaient en frappant les têtes et les corps, lançaient des étincelles dans toutes les directions. « La fumée, les « torches toutes flamboyantes, cette pluie d’étincelles, « cette masse d’hommes dansant et hurlant, tout cela, « disent Spencer et Gillen, formait une scène d’une sauvagerie dont il est impossible de donner une idée avec « les mots. » (Tribus du Xord de l’Australie, p. 391.) » On conçoit sans peine, continue Durkheim, que, parvenu à cet état d’exaltation, l’homme ne se connaisse plus. Se sentant dominé, entraîné par une sorte de pouvoir extérieur qui le fait penser et agir autrement qu’en temps normal, il a naturellement l’impression de n’être plus lui-même. Il lui semble être devenu un être nouveau : les décorations dont il s’affuble, les sortes de masques dont il se recouvre le visage figurent matériellement cette transformation intérieure, plus encore qu’ils ne contribuent à la déterminer. Et comme, au même moment, tous ses compagnons se sentent transfigurés de la même manière et traduisent leur sentiment par leurs cris, leurs gestes, leur attitude, tout se passe comme s’il était réellement transporté dans un monde spécial, entièrement différent de celui où il vit d’ordinaire, dans un milieu tout peuplé de forces exceptionnellement intenses qui l’envahissent et le métamorphosent. Comment des expériences comme celles-là, surtout quand elles se répètent chaque jour pendant des semaines, ne lui laisseraient-elles pas la conviction qu’il existe effectivement deux mondes hétérogènes et incomparables entre eux ? L’un est celui où il t raine languissamment sa vie quotidienne ; au contraire il ne peut pénétrer dans l’autre sans entrer aussitôt en rapport avec des puissances extraordinaires qui le galvanisent jusqu’à la frénésie. Le premier est le monde profane, le second, celui des choses sacrées. « C’est donc dans ces milieux sociaux effervescents et de cette effervescence même que paraît être née l’idée religieuse. Et ce qui tend à confirmer que telle en est bien l’origine, c’est que, en Australie, l’activité proprement religieuse est presque tout entière concentrée dans les moments où se tiennent ces assemblées. » P. 312-313. — « Puisque la force religieuse n’est autre chose que la force collective et anonyme du clan, et puisque celle-ci n’est représentable aux esprits que sous la forme du totem — |la réalité complexe du clan ne pouvant être saisie directement dans son unité concrète par des intelligences rudimentaires, tandis que le totem évoquant le clan est partout présent dans les fêtes claniques ] — l’emblème totémique est comme le corps visible du dieu. C’est donc de lui que paraissent émaner les actions, ou bienfaisantes ou redoutées, que le culte a pour objet de provoquer ou de prévenir, par suite c’est tout spécia-