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RELIGION. THÉORIE SOCIOLOGIQUE, EXPOSÉ


tion foncière de la mentalité humaine et de la religion par la considération exclusive, ou à peu près, de la Société. (Cf. ses échanges d’idées avec M. Mauss dans la séance de la Société française de philosophie sur l’Ame primitive, en 1929.)

C’est progressivement que Durkheim est arrivé à sa conception de la nature et de l’origine de la religion. En 1898 il puhlie, dans le second volume de l’Année sociologique, un mémoire intitulé : De la définition des phénomènes religieux, en même temps que ses disciples II. Hubert et M. Mauss y étudient la nature et lu [onction du sur ri /ire. En 1901, dans le t. v de la même publication, il fait paraître une Note sur le totémisme, et en 1902, dans le t. vi, un essai en collaboration avec Mauss sur quelques formes primitives de classification, contribution à l’étude des représentations collectives. De 1903 à 1906, il accueille encore quelques travaux de ses disciples sur les phénomènes religieux ou en connexion avec la religion, en particulier, dans le t. vii, celui de MM. Hubert et Mauss sur la magie (1903). Mais ce n’est qu’en 1912 que Durkheim donne ses vues définitives sur la religion, dans une vaste synthèse d’une dialectique vigoureuse sinon toujours convaincante : Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, 1912, 017 p.

Pour bien comprendre la position intellectuelle de l’auteur, il faut tenir compte d’un certain nombre d’idées directrices qu’il suppose acquises au cours de son exposé. Toute notre vie psychique est dominée par un certain nombre d’impératifs sociaux, moraux, rationnels et religieux. Et ces impératifs divers, qui nous imposent nombre de contraintes, ont tous leur origine dans les derniers énumérés : les obligations religieuses, dogmes et rites. Or ces impératifs ne proviennent pas de la conscience individuelle, qu’ils débordent infiniment dans le temps et l’espace, nous arrivant d’un lointainpasséetnoussurvivant et s’étendant à un grand nombre de nos semblables. Ce ne sont pas des « idées innées », car ils n’ont pas l’immutabilité de ces dernières et varient grandement suivant les temps et les lieux, et innéité suppose origine divine, c’est-à-dire un de ces éléments étrangers à la nature que la science expérimentale, dont la science des religions est une partie, doit ignorer. Il n’y a que la Société qui puisse expliquer les impératifs directeurs de notre vie la plus haute, parce que d’abord elle domine l’individu dans le temps et l’espace, qu’elle est dans la nature, qu’elle évolue suivant le temps et les lieux.

L’objet de la recherche en détermine la méthode. Les impératifs religieux étant des faits sociaux doivent être étudiés comme tels, c’est-à-dire comme des réalités sui generis, constituant des synthèses spécifiquement différentes des réactions des consciences individuelles qui leur servent de support : le groupe, la foule ne pensent pas comme l’individu. D’où cette règle de la méthode sociologique : « Toutes les fois qu’un fait social est directement expliqué par un phénomène psychique, on peut être assuré que l’explication est fausse. » Les règles de la méthode sociologique, Paris, 1895. Et pour ne pas traiter le fait social comme le l’ait psychique et l’observer en pur savant, il faut le manipuler comme une chose, « La première règle et la plus fondamentale est de considérer les faits sociaux ci un me des choses. » Ibid., p. 20. On étudiera donc leurs aspects extérieurs, rites, actions. Institutions, qui peuvent se prêter à des déterminations d’ordre objectif, voire même à des précisions statistiques en (’cariant toutes les » prénotions » et interprétations subjectives. Enfin, ’entre tous les faits sociaux, c’est au t ype rudimentaire qu’il convient de s’al t acher de préférence, car Il contient à l’étal simple tout ce qui doit se présenter plus laid avec des développements

qui rendent difficile l’observation. Grâce à lui on peut débrouiller les formes les plus évoluées qui ne sont que la complication, la différenciation du fait initial lui-même ». A. Bros, L’cllinologie religieuse, Paris, 1923, p. 258.

Ces postulats présupposés, Durkheim aborde dans son livre premier un certain nombre de questions préliminaires. Il croit nécessaire de commencer par une définition de la religion, « sans quoi nous nous exposerions, soit à appeler religion un système d’idées et de pratiques qui n’aurait rien de religieux, soit à passera côté de faits religieux sans en apercevoir la véritable nature ». P. 31. Il se refuse ensuite à définir la religion par le surnaturel et le mystérieux, comme l’ont fait 1 1. Spencer et Max Miiller, parce que l’idée de mystère, si souvent qu’on la rencontre dans les religions, a subi de fortes éclipses au cours de leur histoire, par exemple au XVIIe siècle, où s’accordaient sans peine foi et raison, et que les primitifs n’ayant pas l’idée d’un ordre de la nature ne sauraient avoir celle de réalités qui la dépasseraient, d’un véritable surnaturel. — L’idée de Dieu ne rentre pas non plus dans la définition de la religion, parce qu’il y a des religions athées, comme le bouddhisme et le jaïnisme primitifs et que, dans les religions mêmes qui s’adressent à des dieux, il y a des rites contraignant par eux-mêmes et étrangers comme tels à la divinité. I’. 40-49. En somme il n’y a que deux éléments essentiels communs à toutes les religions : la notion du sacré et le caractère collectif des croyances et des rites. « La division du monde en deux domaines, comprenant, l’un tout ce qui est sacré, l’autre tout ce qui est profane, tel est le trait distinctif de la pensée religieuse. » P. 50-51. Cette division n’est pas nécessairement de l’ordre hiérarchique, en ce sens que le sacré serait toujours supérieur au profane, mais elle est absolue. De plus, rites et croyances sont la chose du groupe et en font l’unité. On peut donc définir la religion comme il suit : « Une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Église, tous ceux qui y adhèrent. » P. 65. (Souligné dans le texte). Cette définition permet d’éliminer comme explication de l’origine de la religion et l’animisme (voir plus haut, col. 2190 les objections que Durkheim fait à l’animisme) et le naturisme (système de Max Mùller qui fait des dieux des personnifications des forces de la nature, les mots substantifiant les choses ; numina nomina et qui est de nos jours totalement abandonné), parce qu’ils ne tiennent point compte des notions de sacré, ni d’Église. De plus l’un et l’autre de ces systèmes font de la religion une vaste et pure et simple illusion, ce qui rend incompréhensible sa persistance.

C’est le totémisme qui est la religion élémentaire et qui explique l’origine même de toutes les croyances et de tous les rites, parce que le sacré n’y est autre que le social et que cette réduction est la seule manière de ne pas faire du sacré un concept exclusivement hallucinatoire. Durkheim annonce qu’il l’étudiera chez les Australiens, d’après les relations des explorateurs Baldwin Spencer et F. J. Gillen (The native Tribes of Central Australia, Londres, 1899 ; The norlhern Tribes of Central Australia, Londres, 1901), et du missionnaire allemand Karl Strehlow (Oranda et Loritia de l’Australie centrale, en allemand, en 1912, Strehlow vivait en Australie depuis 1892), parce que leur totémisme serait le plus primitif et le plus simple de tous. Il se réserve cependant de le comparer ici ou là. à celui des Indiens de l’Amérique du Nord, parce que, chez ces derniers, des lignes essent ici les de la structure sociale restent ce qu’elles sont en Australie, c’est toujours l’organisation à base de dans » (p. 136) et qu’ « en se-