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RELIGION. THÉORIE SOCIOLOGIQUE, EXPOSÉ


plus clair, font à la magie et à l’animisme une place minime ; plus manifestement « primitifs », ils se révèlent moins « prélogiques » que nombre de peuplades moins arriérées. » « Je demande ingénument, écrit le R. P. Schumacher, M. A., actuellement en mission chez les Pygmées du Ruanda [Est-Africain], à quoi servaient les quelques amulettes que je voyais chezl’un ou l’autre. « Ce sont des porte-bonheur, me fut-il répondu. » Je crus le moment propice pour les sonder… Pour cela, je pris le parti des superstitions. « Il me semble, « leur dis-je, que les esprits exercent une influence né- « faste. » De suite, une discussion s’engage. « On ne peut t en douter, disent les uns, pourquoi tant de monde a-t- « il été fauché par la dernière épidémie ? Là, il y a une « intervention de forces majeures ! » — Un rire — « Es- « prit s ? Ah bah ! Les esprits, qu’ont-ils à voir là-dedans ? « Ce fut une maladie comme toutes les autres ! » Ils ne purent s’entendre, preuve manifeste qu’ici une croyance étrangère [empruntée aux Bantous, leurs voisins], se surajoute à leur foi primitive. » Semaine internationale d’ethnologie religieuse, 1926, p. 271-272. (Le passage avant la citation du P. Schumacher est du P. Pinard de La Boullaye, L'étude comparée des religions, t. ii, Les méthodes, 2e éd., Paris, 1929, p. 217.) « M. Lévy-Bruhl se permet de plus des simplifications et des généralisations étranges. « Partout, dit-il, « [nous soulignons| dans les sociétés inférieures, la « mort requiert une explication autre que les causes « naturelles. » Mentalité primitive, p. 20. Quelques témoignages autorisés suffiront à montrer l’exagération. « Chez les Basongos, d’après MM. E. Torday et T. -A. Joyce, « la mort est souvent attribuée à des pratiques « de sorcellerie ; il n’en est pas moins vrai que la mort « naturelle est parfaitement reconnue ». Notes ethnographiques sur les populations habitant le bassin du Kasai et du Kwango oriental, Bruxelles, 1922, p. 29. Chez la plupart des peuples du Sud-Ouest congolais, la mort naturelle est admise, quoique, sauf dans le cas de mort violente, elle soit souvent attribuée à une influence naturelle mauvaise, connue sous le nom de moloki. lbid., p. 289… Chez les Tofoké, « il existe « trois causes de mort reconnues, la maladie, la violence « et la magie… » lbid., p. 206. « Le nègre d’Angola, écrit J.-A. Correira, commence « par ne voir dans la mort rien de naturel. Excepté pour « les morts d’un grand âge dont il veut bien encore croire « que Dieu les a emportés. Il veut savoir qui a mangé « l'âme du défunt. » Ethnographie d’Angola, dans Anthropos, t. xx, 1925, p. 330. « La mort paraît naturelle chez le vieillard, rapporte, « au sujet des A-Babuas, le D r Védy, mais chez lui seu- « lement. Chez l’individu jeune, elle est toujours attri- « buée à la malveillance, soit d’un autre homme, soit « d’un esprit malfaisant… » Bulletin de la Société royale belge de géographie, t. xxviii, 1904, p. 267.

Un observateur de grand crédit, Sir W.-B. Spencer, écrit au sujet des Australiens du Nord : « Les natifs « n’ont pas l’idée de malaise ou de peine d’aucune sorte « qui soit dû à autre chose qu'à la magie malfaisante, « evil magie… » Ce serait bien la thèse de M. LévyBruhl, si l’auteur n’ajoutait aussitôt : « exception faite « pour ce qui est causé par un accident actuel qu’ils peu- « vent voir. » Et plus loin : « Toute chose qu’ils ne peuvent « comprendre, ils l’associent avec la magie malfaisante. » Native Tribes of the Northern Terrilory of Australia, Londres, 1914, p. 37. En somme, ces Australiens recourent à l’explication magique pour les cas qu’ils jugent anormaux ; ils distinguent donc ; dans une certaine mesure ils raisonnent correctement. » H. Pinard de La Boullaye, op. cit., t. ii, p. 217-218.

Ajoutons que M. Lévy-Bruhl adopte sur le mana ces généralisations arbitraires que nous avons critiquées plus haut, en parlant du prémagisme.

Enfin nous verrons plus loin le nombre croissant d’observations de plus en plus méthodiquement conduites qui prouvent l’existence de l’idée d'êtres suprêmes chez les plus primitifs d’entre les primitifs. Voir ci-dessous, col. 2223-2238. Ceci contredit ce que M. Lévy-Bruhl affirme si souvent de l’indistinction des forces mystiques. Or, longtemps silencieux à cet égard, ce n’est que dans la préface de son ouvrage sur Le surnaturel (1931) qu’il s’explique sur le sujet… par une pure et simple fin de non-recevoir. « Des recherches comme celles-ci évoquent inévitablement devant l’esprit de grands problèmes soulevés depuis longtemps, et aujourd’hui encore passionnément discutés : « Les primitifs ont-ils une religion ? Si oui, « laquelle ? Possèdent-ils l’idée d’un Dieu suprême ? « etc. » Elles semblent en effet côtoyer ces questions. Mais elles n’y entrent jamais. A vrai dire, elles ne sauraient le faire ; elles sont situées sur un autre plan. « On dira peut-être qu’en refusant de poser ces problèmes, et par conséquent d’en discuter les solutions, par là-même je rejette implicitement certaines d’entre elles plutôt que les autres, et que je les élimine ainsi par prétention. Il n’en est rien. Comment prendrais-je parti dans un débat auquel je reste étranger ? Ce n’est pas telle ou telle réponse à la question que j'écarte ; c’est la question même que je ne crois pas devoir traiter. Je ne pourrais le faire sans abandonner la conception de la mentalité primitive que je crois conforme aux faits, la méthode que je suis depuis le début de ces travaux et enfin les résultats qu’elle m’a permis d’obtenir. » P. ix. Mais ici il ne s’agit pas de problèmes, mais d’un fait, d’un fait dont l’ample démonstration par le P. Schmidt n’a pas pu échapper à M. LévyBruhl puisqu’il cite la revue Anlhropos dirigée par ce Père (à la p. 155 de son livre sur le Surnaturel), d’un fait qui a une importance particulière dans le cas présent, puisque tous les ouvrages de notre auteur vont à éliminer la notion des dieux et de Dieu et la notion même du surnaturel chez les primitifs et que ce fait c’est surtout l’existence de la foi à un Être suprême et non seulement à des divinités quelconques chez les populations les plus arriérées de l’humanité contemporaine. Le fait existe ou n’existe pas, tout le problème est là, il doit être résolu même au prix de l’abandon de la conception, de la méthode et des résultats obtenus par M. Lévy-Bruhl.

Pour l’une ou l’autre ou plusieurs des raisons que nous venons de développer, la thèse de M. Lévy-Bruhl a été vivement critiquée en Amérique par Boas, A. -A. Goldenweiser, A. -M. Tozzer, P. Radin et B. Malinowski — en Angleterre par G.-G.-J. Webb, E.-G. Bartlctt, L.-T. Hobhouse, W. Me Dougall — en Allemagne et Autriche par Fr. Græbner, W. Schmidt, J. Lindworsky, — en France par H. Berr, dans La synthèse en histoire, Paris, 1911, par R. Allier, Psychologie de la conversion, Paris, 1925 ; Les non-civilisés et nous, Paris, 1927 ; par O. Leroy, La raison primitive, 1927. (Voir les références pour les auteurs étrangers dans H. Pinard de La Boullaye, op. cit., t. ii, p. 222, note 1.)

IV. TBÉORIE SOCIOLOGIQUE D’EMILE DURKHEIM. —

Exposé.

Comme les tenants du magisme et du

prémagisme, comme M. Lévy-Bruhl aussi, É. Durkheim a vigoureusement réagi contre l’animisme de Tylor, mais d’un point de vue différent de celui de ces ethnologues. Pour ce penseur — nous disons penseur car son système a bien la généralité d’une métaphysique — la Société est l’explication de tout ce qui élève l’homme au-dessus de la pure animalité et particulièrement l’explication de la religion, élément capital et irremplaçable de sa vie supérieure. Sans doute Lévy-Bruhl se rattache par certains côtés à l'école sociologique, et il s’est adonne à l'étude des conceptions collectives, mais il s’est refusé à courir l’aventure d’une explica-