Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.2.djvu/390

Cette page n’a pas encore été corrigée
2193
2194
RELIGION. LE MAGISME, EXPOSÉ ET CRITIQUE


son ensemble que dans la réflexion sur les phénomènes du rêve, du sommeil et de la mort.

De plus l’animisme ne fleurit qu'à certains stades de culture, dans la civilisation matriarcale et les sociétés secrètes d’hommes [voir plus loin : Classification des religions, col. 2292 sq. ]. Alors il relègue à l’arrière plan la croyance à un Être suprême qui, dans les cycles plus primitifs, avait une plus large influence.

Il faut reconnaître d’ailleurs, dit le P. Schmidt, que Tylor n’a pas réuni en pure perte l'énorme masse de renseignements qui lui ont permis de décrire l’animisme dans un grand nombre de ses manifestations. Si celui-ci ne représente pas la première phase du développement religieux, il est certain qu’il a eu. qu’il a encore, une très grande influence à certaines époques et dans certains milieux, influence qui fut parfois heureuse en ce qui concerne l’idée d’esprit pur et la croyance à l’immatérialité de l'Être suprême. Voir plus loin col. 2292.

II. MAOÏSME ET PRÉAN1MIXMJS. 1° Exposé. —

Cette théorie s’est développée en réaction contre l’animisme de Tylor, mais en prenant diverses formes. Pour la comprendre il faut d’abord définir la magie. Nous en empruntons la définition au P. Bouvier, S. J. La notion de magie « est celle d’un pouvoir et d’un milieu en quelque manière surnaturel, qui est censé permettre à l’homme d’exercer, même à distance, par des moyens sans proportion apparente avec la fin à obtenir, une influence occulte, anormale, contraignante, infaillible. Ce qui est caractéristique en cela, ce n’est pas la nature personnelle ou impersonnelle des forces surnaturelles mises en œuvre ; ce n’est pas davantage la portée sociale ou antisociale du rite accompli, c’est plutôt l’esprit positif d’indépendance à l'égard de tout maître divin et de toute loi morale, avec lequel agit le sorcier, jaloux d'égaler enfin, sans mendier le secours de personne, sans contrainte imposée à ses passions, son pouvoir débile et ses plus démesurés vouloirs. » / re semaine d’elhnologie religieuse, tenue à Louvain en 1912, Compte rendu, Paris et Bruxelles, 1913, p. 138.

Deux doctrines se réfèrent à la magie, ainsi définie, pour expliquer l’origine de la religion, le magisme et le prémagisme. « Le magisme doit surtout sa diffusion à l'érudition et au talent de J.-G Frazer, The golden Lough (Le rameau d’or), 3e édit., Londres, 1911, 2 vol. Le magisme de Frazer fait pendant à l’animisme de Tylor. auquel il prétend s’opposer. Avant l'âge où, d’après l'école de Tylor, l’humanité naissante ne connaissait que des esprits, non encore promus au rang des dieux, les partisans du magisme rigide (ils sont en réalité peu nombreux) croient découvrir à travers les ténèbres de la préhistoire un âge plus primitif encore, celui de la magie pure ou non animist. L’animisme et a fortiori la religion, le culte de dépendance à l'égard des dieux, ne serait qu’un produit d'évolution assez tardif. La foi aux dieux serait sortie de la crise d'âme, par laquelle, après de longs siècles d’exercice, passèrent les sorciers, ^'apercevant enfin de l’inanité de leur art. « Le prémagisme est professé par la plupart des préanimistes de l'école évolutionniste, c’est-à-dire de ceux qui, dépassant l’animisme de Tylor sans tomber dans le radicalisme magique de Frazer, postulent, avant la religion et avant la magie pure, « un état social frèsimpar- « fait, où magie et religion sont encore confondues dans « quelque chose qui n’est à proprement parler, ni la « magie, ni la religion, et qui tient la place de l’une ou de « l’autre ». A. Loisy. A propos d’histoire des religions, p. 183. (Social dans cette description indique assez la nuance spéciale du prémagisme de M. Loisy.) C’est le système de MM. Hubert et Mauss, Esquisse d’une théorie générale de la magie, Année sociologique, t. vii, 1902 1903, Paris, 1904 ; B. B. Marrett, The thresholdoj Religion (Le seuil de la religion), Londres. 1909 ; Loisy. op. cit. » et La religion, 1917. (Voir Bouvier, Semaine d’ethnologie précitée, p. 139-140.).

D’après certains tenants du prémagisme il n’y aurait rien de plus primitif que la notion sauvage de Mana, puissance mystérieuse impersonnelle répandue en toutes choses. Ce mot est emprunté aux Mélanésiens, mais on trouve chez beaucoup d’autres peuples, sous d’autres noms, une idée toute semblable. Le Wakan des Sioux, le Boglija des Australiens, le Ngai des Masai, VOrenda des lroquois. le Manitou des Algonquins, le Mulunga des Bantous, etc., etc., c’est toujours ce fluide omniprésent et invisible, réservoir de toutes les forces mystiques.

Critique.

1. Le magisme. — « Frazer en une

phrase tranchante se porte garant de trois faits : a) L’absence presque totale en terre australienne d’une religion quelque peu développée ; b) le règne universel et incontesté, en ces mêmes régions, de la magie (non animiste) ; c) la primitivité « ethnique » des t’ibus océaniennes restées les plus fidèles à la magie. « Or, de ces trois affirmations, il n’en est aucune qui résiste à la critique : « a) Les travaux antérieurs de Lang, du P. Schmidt (voir plus loin, col. 2225 sq.) et de Mgr Le Boy…montrent assez qu’une religion et une religion assez haute, existait avant l’arrivée des missionnaires, existe encore en Australie, comme d’ailleurs dans toutes ou presque toutes les couches de civilisation, même les plus anciennes, même les plus rudimentaires. On en peut faire facilement la preuve. C’est peu contre les faits que l’affirmation en sens contraire, si solennelle soit-elle. donnée à M. Frazer. dans des lettres particulières, par le voyageur B. Spencer. Ce dernier est trop intéressé à ne pas contredire ses premières et trop hâtives déclarations. Libre à l’auteur du Golden Bough de s’en contenter. « b) Pour prouver l’universalité de la magie religieuse en Australie, trois témoignages suffisent à M. Frazer, ceux de Howitt, de Mathew et de Curr. Que ne les a-t-il lus dans le contexte qui les éclaire ? Si l’on a cette curiosité légitime, — nous l’avons eue, — on est étonné de la légèreté d’un critique, qui aurait pu trouver contre sa thèse, dans le reste du livre de Howitt et dans celui de M. J. Mathew, des témoignages beaucoup moins vagues et beaucoup plus nombreux encore que ceux qu’il retient. L’imprécision des passages découpés dans le vif par M. Frazer s'éclaire soudain. Et ce n’est pas dans le sens de sa thèse du Golden Bough. Quant à Curr, le seul de ces trois voyageurs qui incline vers la conclusion de M. Frazer, il en dit assez dans le reste de son livre, pour ne pas nous laisser ignorer qu’il a observé superficiellement. Son tort a été de ne pas se fier à l’avis, contraire au sien, qu’exprimaient devant lui des missionnaires, soit protestants, soit catholiques, plus habitués au pays et à la langue. « c) Ce n’est que grâce à un cercle vicieux trop évident, ce n’est qu’en vertu d’un pur postulat évolutionniste, (ignorance et grossièreté sont signes d’ancienneté ethnique pour un peuple 1) que M. Frazer a pu songer à soutenir, comme un fait avéré, la priorité de la race Aruntas sur les autres tribus australiennes. « Le P. Schmidt, lui, trouve plus difficile la détermination de l'âge d’un peuple. Appliquant avec patience au cas fameux des Aruntas ou Arandas la méthode historique « des cycles culturels », il examine dans un laborieux et savant mémoire, Grundlinien einer Vergleichung der Religionen und Mi/thologien des Austro nesischen Votker, Vienne, 1910, dont il nous est permis de contrôler les conclusions [Zeitschrift jiir Ethnologie, 1908, p. 806-901, — 1909, p. 328-337], non pas un élément isolé, mais tous les éléments à la fois de cette