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RELIGION. LE MOT ET LA CHOSE


gion on y constate que l’âme y est intéressée dans toutes ses fonctions principales.

1° Il y a un sentiment religieux que Rudolf Otto a bien défini dans son caractère spécifique quand il a écrit : « Le contenu qualitatif du numineux (de numen). dont le mystérieux est la forme, est d’une part l’élément répulsif… le tremendum auquel se rattache la majeslas. D’autre part, c’est en même temps quelque chose qui exerce un attrait particulier, qui captive, fascine et forme avec l’élément répulsif du tremendum une étrange harmonie de contrastes. » Le Sacré, Ve édit. allemande, 1917, 18e de 1929 sur laquelle est faite la traduction française de 1929, p. 57.

2° Mais, à la suite de Schleiermacher, de Fries et de bien d’autres, Otto a eu le tort de minimiser, sinon de supprimer l’élément intellectuel de la religion. Il y a dans toute religion un corps de doctrine au moins ébauché et qui tend, tout au moins, à devenir obligatoire. D’ailleurs un sentiment pur, sans aucune détermination intellectuelle, est un non-sens psychologique. Les dogmes, reconnaît Emile Boutroux, sont un « élément intégral de toute religion réelle ». Science et religion, Paris, 1908, p. 384. « A s’isoler de l’intelligence (et de l’activité), dit le même philosophe, le sentiment ne se hausse pas, il s’étiole. » Ibid., p. 391.

3° Toute religion impose à l’homme un certain nombre de règles pratiques, règles qui ne sont pas simplement des injonctions de la société ou de la conscience individuelle, mais « des commandements de Dieu ». « Une certaine contemplation détachée et théorique, où l’esprit veut s’enrichir sans se livrer, ne garde, en s’appliquant aux choses divines, que l’écorce et l’orientation, non la substance, d’un acte religieux. Le philosophe qui spécule sur la divinité sans lui soumet tre, au moins virtuellement tout ce qu’il est. n’imprime pas plus à son application le caractère de la religion qu’un orfèvre, en soupesant un calice pour l’apprécier à son prix marchand, ne fait œuvre de croyant. > L. de Grandmaison, Christus, p. 8. Plus une religion se développe et s’épure, plus aussi ses exigences morales s’accentuent, et par là elle décèle un des éléments essentiels de la Religion.

4° Enfin toute religion se traduit par un culte, des rites. Ceci d’abord est un fait, facile à constater, et également c’est une nécessité à la fois psychologique et sociale. Un sentiment ardent, une croyance profonde tendent naturellement à se traduire extérieurement. Puis « la personne individuelle n’a pas seule une valeur religieuse. Une société est aussi une sorte de personne, susceptible de déployer des vertus propres : justice, harmonie, humanité, qui débordent le cadre de la vie individuelle ». É. Boutroux, Science et religion, p. 338. Or l’unanimité sociale en matière religieuse s’exprime et s’intensifie en même temps, par des rites pratiqués en commun. Sans doute les rites ne signiVient rien, et même sont opposés à la vraie religion, quand ils ne sont pas vivifiés par une âme de sentiments et de pensées, individuels et sociaux, mais les rites — et les dogmes — sont le corps de cette âme et « il n’y a de vie, en ce monde, que pour les âmes unies à des corps ». Boutroux, ibid., p. 339.

L analyse des éléments de la religion ne suffit pas à en donner une définition qui en caractérise tout le contenu et surtout tout l’esprit. On ne saurait mieux compléter la description précédente qu’en se référant à ce que le P. de Grandmaison y a ajouté : « Si l’on passe de cet inventaire, pour ainsi dire, matériel, à l’examen du sujet humain qui prie, adore, ou sacrifie, la religion se présente comme une des formes spontanées, et supérieures, des activités humaines essentielles — comme une vie. Cette vie intéresse tout l’homme, être raisonnable, moral et sensible ; elle impose à sa raison des croyances, à sa volonté des lois et des sanctions, à

son cœur des affections, à son corps des attitudes et des gestes. « Mais la plus superficielle des observations ne permet pas d’identifier simplement vie religieuse et vie humaine supérieure : celle-ci s’étend plus loin que celle-là. Même chez les peuples où la réflexion n’a pas encore opéré son travail de distinction et de différenciation, l’on trouve des données traditionnelles, des préceptes de conduite, des détails de cérémonial, sinon soustraits à l’empire de la religion, du moins distincts des actes proprement religieux. « Ces derniers sont caractérisés au premier coup d’œil, par le sérieux de qui les pose, les précautions parfois minutieuses que l’on prend pour en assurer l’accomplissement, la portée considérable qu’on leur attribue, les sentiments de vénération, de crainte, de respect qui se font jour à leur propos, l’atmosphère de mystère qui les entoure. Ces traits, et ceux qu’il serait aisé d’ajou ter se précisent, s’ordonnent et s’expliquent si l’on observe, d’une part, la visée de l’acte religieux, et, d’autre part son caractère de commerce personnel, intéressé, tirant à conséquence, avec un plus grand que soi. L’hommage religieux s’adresse à la Puissance, déterminée ou vague, anonyme ou désignée, conçue par l’homme comme ultime. Prière ou sacrifice, appel, élan, geste ou sentiment d’adoration et de respect, toutes les flèches montent en haut, visent le but suprême : le Père ou la Fin, le Ciel ou les Dieux, le Seigneur ou le Fort, le Témoin ou le Dieu « vivant et voyant. > Et toujours aussi l’homme a conscience en ceci de remplir un devoir de justice, d’acquitter une dette, d’engager ses intérêts majeurs. Il n’y a pas, en religion, d’attitude platonique, et moins encore de dilettantisme… « Il arrive sans doute qu’un élan authentiquement religieux à son origine, fléchisse ou s’égare. Au lieu de percer jusqu’au Premier être qui est son but, il s’arrête aux suppléances, plus proches de cette puissance, à ses images plus accessibles, voire à ses contrefaçons plus évidemment redoutables. Très souvent aussi l’homme se trompera en essayant de préciser l’objet de son culte : il fractionnera le Pouvoir souverain, l’attribuera successivement à plusieurs, ou à un seul manifestement inhabile à le posséder. Il le confondra avec les lieux où le dieu est censé se plaire, les objets où sa vertu réside, les représentations qu’on s’en fait, les noms qu’on lui donne. Presque jamais l’adorateur à ce stade inférieur (qui n’est pas nécessairement primitif), ne donnera à sa conception du divin la rigueur logique, les arêtes vives, la force d’exclusion qu’elle comporterait — toutes exigences dont est insoucieux autant qu’incapable un esprit non exercé. Mais pour cet homme, dans ses actes proprement religieux, la Puissance qu’il implore est suprême : au-delà, au-dessus, il n’en connaît, il n’en imagine point d’autre. « Nous dirons donc qu’il y a religion partout et seulement où se trouvera, implicite peut-être, mais certainement présent, et sortissant ses effets naturels de sérieux, de soumission, de crainte, le caractère transcendant de l’Être que vise la prière, le rite et le sacrifice. La religion se définira ainsi par l’ensemble des croyanjes, des sentiments, des règles et des rites, ind viduels ou collectifs, visant (ou imposés par) un Pouvoir que l’homme tient actuellement pour souverain, dont il dépend parconséquent, avec lequel il peut entrer (ou mieux : il est entré) en relations personnelles. Plus brièvement, la religion est la conversation de l’homme, individuel et social, avec son Dieu." Christus, p. 10.

Sans doute la conception déiste de la religion n’englobe pas tous les éléments que nous venons d’indiquer, mais son caractère artificiel a été démontré à l’article Déisme de ce Dictionnaire. Nous nous contenterons de citer ici un passage de M. Lévy-Bruhl : « La préten-