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1485 QUESNEL. JUSTIFICATION DES « RÉFLEXIONS MORALES » 1486

la grâce. Les trois autres (28 sept., 15 oct. et 4 nov. 1699) veulent montrer, par des exemples, que la doctrine des Réflexions morales est en opposition formelle avec celle des cinq propositions ; en réalité le Problème attaque Noailles uniquement parce que l’archevêque de Paris a défendu la doctrine de saint Augustin. Ces quatre Lettres furent rééditées sous le titre de Défense du mandement de M. l'éminentissime cardinal de Noailles, archevêque de Paris, portant approbation des Réflexions morales du P. Quesnel sur le Nouveau Testament, Paris, 1705. in-12. Dans l’Avertissement de cette réédition, on justifie Quesnel et l’on conclut que les deux écrits où l’on traite le P. Quesnel de séditieux et d’hérétique méritent le même sort que le Problème.

Quesnel avait préparé une réponse directe au Problème pour justifier le dogme, mais dans une lettre à Du Vaucel (4 avril 1699, Correspond., t. ii, p. 4(i) il écrit qu’il supprime sa réponse et qu’il substituera quelque chose « qui tire du Problème ecclésiastique les avantages qu’on en peut tirer, pour montrer que le jansénisme est un fantôme et que les rouliers [les jésuites] en veulent à saint Augustin ». Cette nouvelle parvint jusqu'à Noailles. et celui-ci manifesta le désir qu’il n’en fît rien paraître qu’après l’avoir communiqué : mais Quesnel répondit que cela l’embarrasserait fort, car, dit-il, si l’envoyais mon écrit à Paris, on y changerait, ajouterait, retrancherait ce qu’on jugerait à propos et on le ferait imprimer sous mon nom ; cela ne m’accommoderait pas ». Lettre à Du Vaucel, S mai 1700, ibid., p. 91.

Le Problème fut condamné par un arrêt du Parlement du 10 janvier 1699 et par un décret du Saint Office du 2 juillet 1700. Cependant, la situation de Noailles restait fort délicate et Mme de Maintenon. au dire de Languet de Gergy, dans ses Mémoires, lit des démarches auprès du cardinal pour qu’il retirât l’approbation qu’il avait donnée au livre de Quesnel. Pour la seconde fois, Bossuet vint au secours de son ami.

VIL Justification df.s Réflexions morales ». — Pour justifier pleinement Noailles, il aurait fallu montrer que le livre de Quesnel, approuvé par lui. ne contenait que la pure doctrine de saint Augustin sur la grâce et la prédestination ; nul n'était plus capable que Bossuet de fournir la preuve, lui qui avait déjà rédigé toute la partie dogmatique de l’instruction de Noailles sur l’Exposition de la foi. Noailles mettrait le travail de Bossuet en tête d’une nouvelle édition des Réflexions morales de Quesnel. L'évêque de Meaux accepta la proposition, mais son œuvre ne fut pas publiée à cette date.

Pourquoi ? Bossuet aurait refusé de publier son écrit parce que Quesnel n’aurait pas voulu faire les corrections demandées par celui-ci. Telle est la thèse des deux évêques de Luçon et de la Rochelle, dans leur mandement collectif de 1711, et la thèse du docteur Gaillande, dans ses Éclaircissements sur quelques points de théologie, Paris, 1712, in-12, p. 6-7 : Bossuet ne voulut pas qu’on se servît de V Avertissement qu’il avait fait, et condamna son écrit à ne paraître jamais au jour ; "ceci est certain et public ; on en a des témoignages assurés… » L’abbé de Saint -André, archidiacre de Meaux, dans une lettre de 1721 à l'évêque de Soissons, Languet de Gergy, reprend la même explication, et sa lettre a été publiée par Languet dans sa Cinquième instruction pastorale du 25 novembre 1722 ; l’abbé de Saint-André s’appuie sur des propositions de l’abbé Ledieu, jadis secrétaire de Bossuet ; enfin Lafitau, dans la Réfutation des Anecdotes, p. 92, écrit que Bossuet voulait mettre < six-vingts cartons, pour ôter autant d’erreurs capitales, qu’on ne pouvait, en aucune façon, excuser », et qui en faisait « un des plus pernicieux livres que l’hérésie ail produits.

Mais l’abbé Ledieu, en plusieurs passages de ses Mémoires et de son Journal, insinue que Bossuet était prêt à défendre Quesnel, moyennant quelques corrections insignifiantes ; ce fut le libraire, qui ne voulut pas faire les corrections demandées. Dans les Vains efforts des jésuites contre la justification des Réflexions morales sur le Nouveau Testament, composée par feu Messire Jacques-Bénigne Bossuet, évêgue de Meaux, où l’on examine plusieurs faits publiés sur ce sujet, par MM. les évêques de Luçon et La Rochelle et par le sieur Gaillande, 1713, Quesnel s'élève contre le livre des Éclaircissements, qui n’est qu’une satire contre les Réflexions morales, contre l’auteur, l’approbateur et l’apologiste de cet ouvrage ». Bossuet, déclare-t-il, n’a point changé de sentiment et n’a point composé son livre par méprise : l’histoire des six-vingts cartons » n’est qu’une fable. Quesnel indique quelques corrections demandées par Bossuet et le projet de quelques autres corrections à faire, qui ne sont pas toutes de Bossuet : il s’agit de vingt-quatre cartons avec les réponses.

Quoi qu’il en soit, au moment même où Bossuet rédigeait son travail, les discussions étaient assez vives ; aussi Noailles renonça-t-il à publier une nouvelle édition des Réflexions pour son diocèse de Paris. et Bossuet garda son manuscrit, avec le titre, qu’il lui avait donné : Avertissement sur le livre des Réflexions murales ; il en communiqua quelques passages à l’abbé Boileau, et lui-même, d’après son secrétaire Ledieu, corrigea et revisa son manuscrit. Bibl. nat., ms. latin lî 680, p. 73. L’abbé Boileau, dans ses Lettres d’un théologien à un de ses amis, pour répondre au Problème, Anvers, 1700, in-12, dit que Bossuet. pendant plusieurs années, corrigea le manuscrit ; Noailles en cul un exemplaire entre les mains, d’après une lettre qu’il écrivit, le 7 novembre, à l'évêque de Carcassonne, pour démentir une affirmation de l'évêque d’Agen. Arch. nat.. Jansénisme. L. 21, minutes des lettres du cardinal. Lorsque Bossuet mourut, le 12 avril 170 1, diverses copies de V Avertissement étaient répandues, et en 1710 un libraire de Lille l’imprima sous un litre que Bossuet ne lui avait point donné : Justification des Réflexions morales sur le Nouveau Testament…, composée en 1699, contre le « Problème ecclésiastique » par Messire Jacques-Bénigne Bossuet, Lille, 1710, in-12. L’abbé Ledieu a avoué que ce titre lui est imputable parce qu’il avait écrit le mot Justification sur l’enveloppe qui contenait le manuscrit. Le libraire de Lille, Jean Brovello, avait reçu le manuscrit de Quesnel, et celui-ci le tenait de l’abbé Boileau, de l’archevêché, ou de Noailles, ou de Le Brun, ami de Bissy, évêque de Meaux et successeur de Bossuet, ou enfin de l’abbé Ledieu.

La publication lit alors d’autant plus de bruit que deux ans aant, le 13 juillet 1708, les Réflexions morales avaient été condamnées par un bref de Clément XI ; dès lors, l’ouvrage posthume de Bossuet ne pouvait que provoquer des discussions. L’ouvrage est-il authentique ? Pourquoi Bossuet ne l’a-t-il pas publié en 1699? Bossuet avait-il changé de sentiment ? Cette publication tardive, si favorable à Quesnel, est-elle une trahison ou n’est-elle que l’expression exacte du jansénisme caché de Bossuet ? Autant de questions auxquelles il est difficile de répondre d’une manière certaine. Il ne faut pas oublier, d’autre part, qu’au moment où Bossuet rédigea son travail, la question du quesnellisme était encore fort obscure : les poli' iniques, si violentes de 1700 à 1705, n’avaient pas éveillé l’attention et envenimé les disputes. Ce qu’il y a de sur, c’est que Bossuet n’aurait certainement pas publié son écrit en 1710 et surtout il ne lui aurait pas donné le titre provocateur qui lit sa réputation parmi les jansénistes.