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REGINALD (ANTONIO


des dominicains, Thomas Turco, de la présence du trop bouillant thomiste dans leurs murs. On lui fit réintégrer Toulouse. P. Mortier, Histoire des maîtres généraux de l’ordre des frères prêcheurs, t. vi, p. 62.

Mais, quelques mois plus tard, Réginald se rendait officiellement au chapitre général de Valence de 1647. Selon l’usage, il devait y soutenir des thèses théologiques au nom de la province dominicaine de Toulouse dont il faisait partie. Le maître général Thomas Turco se trouvait là. Il avait pour Réginald un double sentiment : d’une part, estime, parce qu’il était bon ouvrier des doctrines thomistes, d’autre part, mécontentement, parce que, dans sa polémique contre les jésuites, il avait manqué à la plus élémentaire courtoisie. Maître Turco voulut vraisemblablement et montrer à son subordonné qu’il ne fallait pas être trop extrémiste dans les thèses de théologie, et faire briller pourtant le théologien respectable, afin de lui conférer ce grade envié de « maître en théologie », qui n'était pas d’usage dans sa province de Toulouse, mais qui lui donnerait une sorte d’investiture officielle pour parler de théologie au nom de son ordre tout entier. Turco choisit donc deux des thèses proposées par Réginald, afin de servir de base de discussion : une thèse sur la présence réelle de tous les objets créés dans la vision béatifique, et surtout la thèse « sur la manière dont Dieu connaît les futurs par ses décrets ». En ce tempslà, on reprochait à certains thomistes d’employer les expressions de prémotion, voire de prédétermination physique. Ce dernier terme pouvait faire confondre thomisme et jansénisme. En discutant contre Réginald à propos de sa thèse sur la connaissance divine dans les décrets, Thomas Turco voulait bel et bien empêcher qu’on opposât trop directement aux opinions des jésuites une notion de décret prédéterminant, physiquement opérant, à la fois créateur et moyen du savoir divin. Le terme « prédétermination physique » ne se rencontre pas dans saint Thomas. Ne suffisait-il point pour sauvegarder les thèses traditionnelles thomistes de dire, avec la lettre des écrits du Maître, que Dieu connaît les futurs dans sa science ? Maître Turco disait donc à Réginald : « J’avoue que les prédéterminations physiques sont la doctrine de plusieurs thomistes. Mais, sur ce point, ils s'écartent de leur maître. Si tu me montres un texte de saint Thomas où il défend la prédétermination physique, je te crée maître en théologie, même contre les constitutions de ta province. » En cette difficile affaire, Réginald sut se comporter avec adresse. Il déclina le titre de maître en théologie et prouva, à l’aide de divers passages de saint Thomas, que la science par laquelle Dieu connaît ce qui est, n’est pas une simple science des possibles, mais une science de ce que Dieu crée, de ce qui implique la volonté de Dieu, ses décrets. Les mots prédétermination physique ne sont pas dans saint Thomas. Mais la doctrine est de lui.

L’affaire fit grand bruit. La malignité publique s’en empara, en effet, pour colporter le bruit calomnieux que le maître général des dominicains avait blâmé Réginald et réprouvé la thèse de la prédétermination physique. Cf. Percin, Monumenla conventus Tolosani F. F. prædicatorum, 1693, p. 170-171. Le P. Réginald fut très bien défendu en l’occurrence par ses frères en religion, notamment par un théologien, son confrère à Toulouse, Vincent Baron. Réginald protestait avec véhémence contre cette calomnie intéressée qui avait pour but de jeter la suspicion sur sa thèse très chère de la prédétermination physique. Par la solennité même de ses protestations, il rendait service au général de l’ordre, maître Turco, qui se trouvait finalement atteint dans son honneur de thomiste. Aussi, Thomas Turco songea-t-il à être agréable au P. Réginald. Dans une lettre du 30 août 1648, adressée à son assis tant, il demande si le P. Réginald n’irait pas volontiers enseigner la théologie aux jeunes dominicains de Paris, soit au couvent du noviciat, soit à celui de Saint-Honoré, « pourvu néanmoing, ajoutait le maître général, que les jésuites ne profitent de son absence de Toulouse et qu’il y ait quelqu’un en cette absence qui leur puisse faire teste et soigner aussy à l’imprimerie de l'œuvre de Pierre de Tarentaise ». Lettre au P. Jacques Barelier, Archives générales O. P., t. iv, Rome, p. 88, 110.

Le P. Réginald préféra demeurer à Toulouse où il avait à combattre le bon combat. En cette même année 1648, il avait composé une pré/ace pour des éditions du Catéchisme du concile de Trente. La préface ne fut sans doute pas du goût de tout le monde, car son auteur prétendait y faire servir l’autorité du concile de Trente en faveur des thèses thomistes relatives à la grâce efficace. On racontait que le P. Réginald s'était fait le champion de toutes les thèses de son ordre, au point d’avoir attaqué un jour publiquement la croyance, alors de plus en plus reçue dans l'Église, de l’immaculée conception. A. Auguste, op. cit., p. 36. Comme, à la fin de 1649, avait paru à Toulouse une réimpression de l’ouvrage intitulé Opusculum de veritate conceptionis beatissimæ virginis Mariæ, hostile à l’immaculée conception et que l’archevêque condamna le 4 janvier 1650, la voix publique accusa le P. Réginald d’avoir été le fauteur de cette réédition inopportune. L’ouvrage, dont l’auteur avait été Pctrus de Vincentia, n'était lui-même qu’une reprise des anciens arguments de Vincent Bandelli. Mais, ce qui était supportable à la fin du Moyen Age ne l'était plus dans le développement des idées dogmatiques du début du règne de Louis XIV. On allait jusqu'à dire que Réginald n’avait réédité ce livre que par animosité contre des religieux qui n’appartenaient pas à son ordre. Échard, Scriptores ord. preed., t. i, p. 88, nie que Réginald ait été pour quelque chose en cette malheureuse affaire. Le retentissement en fut pourtant si fâcheux qu’il dut quitter Toulouse pour se réfugier pendant de longs mois en pleine campagne au prieuré de Prouille, annexe du monastère des dominicaines, et qui avait, à tort ou à raison, une réputation de jansénisme ou de thomisme « jansénisant ». A. Auguste, op. cit., p. 99. L’archevêque de Toulouse et surtout l'évêque de Grasse étaient favorables, au moins en secret, à la grande cause antijésuite pour laquelle le P. Réginald combattait avec une ardeur si téméraire. Ils n'étaient sans doute pas seuls dans l'épiscopat à être hostiles aux jésuites. Ils étaient surtout navrés du cas d’un certain Labadie qui, à Toulouse, s'était fait, de jésuite, janséniste puis protestant. L'évêque de Grasse rapprochant son cas de celui du P. Réginald, écrivait à l’archevêque de Toulouse : « Quels triomphes pour les bons Pères I Mais quels mauvais effets cela ne produira-t-il pas dans les esprits faibles et plus pieux que prudents, contre la bonne doctrine. C’est sans doute une grande tentation, et bienheureux qui n’y succombera point. La retraite du P. Réginald, en cette conjoncture, est assez fâcheuse, et il fallait résister davantage aux petites persécutions de la fraterie pour l’amour de la vérité, qui mérite que nous souffrions toutes choses. Il faudrait tâcher à le rajuster, si cela estoit possible et vous y pouvez beaucoup. » Aussi on conseillait à l’archevêque de passer l'éponge sur les méfaits supposés du P. Réginald relatifs au débat de l’immaculée conception. Ne fallait-il pas aider au contraire un défenseur des vraies doctrines thomistes contre les idées des jésuites concernant la science moyenne et la grâce suffisante ? A. Auguste, op. cit., p. 28-29.

Il semble que l’archevêque suivit ce conseil et que Réginald reparut bientôt à Toulouse. Absoudre ainsi le