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RÉGINALD (ANTONIN :

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commencé à être vendu en librairie le 30 avril 1645. Le lendemain 1 er mai, la faculté de théologie réunie au couvent des augustins prononça une censure. Certes, cette censure se faisait avec le consentement du recteur, et en tous cas avec le sceau du secrétaire-bedeau et sans vice de forme. Cependant, à un autre point de vue, il y avait seulement que le P. Antonin Réginald, encore simple suppléant dans la chaire de professeur royal, avait réuni trois professeurs conventuels et un seul professeur royal et qu'à eux seuls ils portèrent la sentence qui devait encore envenimer le débat. Pour condamner un livre de 600 pages, il fallait l’avoir lu. Les jésuites et leurs partisans se sont étonnés de ce que les théologiens leurs adversaires aient pu lire le livre du P. Annat en quelques heures. En réalité, il n’y a rien d'étonnant à ce que des gens passionnés, passant la nuit à lire, sachant d’ailleurs à peu près ce qu’ils y trouveraient, aient « dévoré » le livre en si peu de temps. Le P. Réginald disait aussi qu’il avait déjà connu quelque chose de l’ouvrage par des « maculatures » d’imprimerie qui avaient servi à envelopper des paquets.

Le premier soin d’Antonin Réginald fut de faire publier sans délai la censure hostile aux jésuites. Il fit donc imprimer des afliches portant le texte de la censure et s’apprêta à les faire apposer sur les murs de la ville. On y lisait que le livre avait paru « sans aucune permission de l’Illustrissime archevêque de Toulouse et sans l’expresse approbation des docteurs-régents de la faculté de théologie ». Sans doute le P. Annat avait dédié son ouvrage à l’archevêque Charles deMontchal et ce dernier avait dû être pressenti pour donner son assentiment à une telle dédicace. Mais contrairement à une assertion de l’abbé A. Auguste, op. cit., p. 41, une dédicace ne saurait équivaloir à un imprimatur. Cependant l’archevêque de Toulouse, soucieux de la paix religieuse dans son diocèse, interdit qu’on placardât les affiches portant la censure des théologiens. Il en fit même remettre le paquet au recteur du collège des jésuites. Mais l’archevêque partait pour Paris sur ces entrefaites. Dès qu’il eut quitté la ville, le P. Réginald courut chez l’imprimeur, fit tirer de nouveaux exemplaires de l’affiche. On les colla partout, spécialement aux portes des personnes réputées favorables aux jésuites, aux portes des jésuites mêmes, à la porte aussi du couvent des jacobins. Là, deux religieux montèrent la garde pendant plusieurs jours, de crainte qu’on ne vînt lacérer les deux affiches apposées. Bien entendu, les jésuites goûtèrent peu le procédé. Le 17 mai ils se firent délivrer par le viguier de Toulouse : « un attestatoire en forme de notoriété », constatant « qu’en la faculté de théologie de l’université de Toulouse, on ne donne point liberté, ez questions de la grâce et connexes, de suivre la doctrine des jésuites ou répondre selon leurs principes, ains seulement selon les principes des thomistes ». Selon les termes de ce papier, les jésuites, en tant que théologiens, considéraient alors leur doctrine non pas comme conciliable avec la pensée de saint Thomas, mais comme nettement inconciliable, sinon opposée. Ils en avaient parfaitement le droit, surtout étant données les circonstances de temps et de personnes.

En ces circonstances, l’attitude de ces Pères a pu néanmoins paraître un peu étrange. Comme le fait remarquer sans bienveillance Échard, Scriptores ordinis prædicatorum, t. ii, p. 662, la censure portée en 1645 par l’université de Toulouse contre François Annat réservait expressément, ainsi qu’il devait se faire, le droit du Saint-Siège de décider autrement que l’université, puisque le Saint-Siège constituait naturellement la juridiction régulière d’appel, au cas où le P. Annat et ses supérieurs n’auraient pu accepter la censure universitaire. Mais les jésuites, qui avaient agité, ou plutôt laissé agiter par le P. Annat,

en un gros ouvrage, la question « réservée » de la science moyenne, s'étaient mis par là en désaccord avec les décisions pontificales qui interdisaient de tels débats. Il faut d’ailleurs reconnaître que c’est Réginald qui les avait provoqués. Cependant Échard s'étonne de ce que la Compagnie ne sa soit pas adressée à la juridiction compétente, celle du Saint-Siège. De même que Réginald avait commis une nouvelle faute en faisant apposer des affiches cruelles, malgré la volonté de l’archevêque de Toulouse, les jésuites commirent de leur côté une action oblique. Au lieu de demander justice au pape pour le tort qui leur était porté, ils s’adressèrent au roi de France en son conseil, moins peutêtre pour échapper à Rome, que pour se prévaloir à Rome de l’appui du roi. C’est sans doute que dans les circonstances où l’on se trouvait, ils avaient pu deviner que le conseil du roi leur serait plutôt favorable. Mais, malgré tous les efforts qu’on pouvait faire pour calmer les belligérants, on ne pouvait pas espérer la paix sans quelques nouvelles et vives escarmouches. Toutes les universités du royaume se rangèrent du côté de Réginald et dé ses collègues toulousains. Cf. L. Vie, Antonin Réginald et la Scientia média, dans Bulletin de la Société archéologique du Midi, 1916, p. 318. Un mémoire des recteurs et professeurs des universités de Cahors, Orléans, Bordeaux, Reims, Cæn, suppliait le roi et son conseil. Il ne fallait pas donner raison aux jésuites qui voulaient faire casser la censure des théologiens de Toulouse. Les universitaires disaient que, si le roi se montrait bienveillant pour la cause du P. Annat, « pourrait estre tiré en conséquence pour toutes les universités de vostre royaume, dont les privilèges demeureroient anéantis, si les prétentions des dicts pères jésuites triomphaient ; en quoi les dicts suppliants ont un intérest commun avec la dicte université de Thoulouse et toutes les aultres ».

A l’assemblée du clergé de France, le mercredi 24 janvier 1646, après que l’archevêque de Toulouse, Montchal, eut prononcé des paroles d’apaisement, le chancelier de France donna plutôt raison aux professeurs toulousains. L’Inquisition cependant avait été alertée par le P. Annat, sans doute après que le conseil royal, à qui d’abord il avait demandé justice, eut fourni son appui pour renforcer la position du P. Annat devant les autorités romaines. La décision du SaintOffice, par décret du 16 mai 1646, ne fut d’ailleurs pas pleinement favorable à ce religieux. Elle n’approuvait l’ouvrage qu'à la condition qu’on fît subir une modification au frontispice.il fallait supprimer l'énumération des adversaires, où les thomistes étaient mêlés nommément à un hérétique. Les jésuites s’empressèrent de profiter de ce qui pouvait leur être favorable. Ils rééditèrent la Scientia média et firent disparaître de cette réédition le frontispice incriminé (Louis Vie, op. cit., p. 76. Selon le comte Bégouen, ibid., il ne s’agissait pas d’une réédition complète, mais simplement d’exemplaires où l’ancien frontispice avait été masqué par un carton). Cependant, la faculté de théologie de Toulouse demeurait très hostile au P. Annat. Le 21 novembre, elle estima insuffisants les changements opérés dans l'œuvre incriminée et prononça une seconde censure. Le 6 août 1647 le P. Réginald écrivit encore, au nom de tous les professeurs de la faculté de théologie de Toulouse, une lettre à celle de Louvain, « à l’occasion des faussetés et calomnies que les jésuites publiaient contre les Facultés de Louvain et de Douai. » Annales des soi-disants jésuites, t. IV, p. 1 79.

En 1646, pour se défendre contre le P. Annat, Réginald avait fait le voyage de Paris. Les dominicains parisiens ne furent pas enchantés de sa visite, parce qu’ils ne se souciaient pas de voir la dispute violente rebondir, clic/, eux, entre Réginald et ses adversaires jésuites. Ils prévinrent le maître général