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REFORME. DOCTRINES, LE MARIAGE
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être le premier à les avoir dites, il veut invectiver ses adversaires, il veut faire croire qu’avant lui on tenait le mariage pour un état ignominieux. « Voyez-vous, dit-il dans le même sermon, comment notre bande papiste, les curés, les moines, les nonnes, en dépit de l’ordonnance et du précepte de Dieu, méprisent le mariage, l’interdisent et font profession d’observer une chasteté perpétuelle, trompant ainsi les simples par des paroles et une apparence mensongères. »

Il n’ignore pas que saint Paul a vanté la virginité. Mais il veut que le texte de saint Paul ait pour but de détourner de la virginité et non d’y pousser. L’apôtre en ferait un don si éminent qu’il faudrait un véritable miracle pour l’observer. L'Église n’a donc pu recommander le célibat religieux et l’imposer à ses prêtres que par un véritable mépris du mariage. Et Luther s’empare de ce fantôme d’hérésie, qu’il crée de toutes pièces, pour en accabler le papisme. Il écrira dans Wider Hans Worst (1541) : « Qui vous a commandé de faire cette innovation, de condamner, de calomnier et de réprouver l'état du mariage, comme impur et impropre au service de Dieu ?… Saint Paul a bien dit que vous viendriez, comme la prostituée du diable, qui tiendrait du diable cette doctrine du mariage, alors que vous vivez dans une chasteté d’hypocrisie, c’est-à-dire en toute espèce d’impureté. » W., t. li, p. 509 sq.

Cependant la ferveur de Luther pour le mariage ne l’a pas empêché de ravir au mariage ce caractère de sacrement que l'Église lui reconnaissait. Le Prélude de 1520 raye le mariage de la liste des sacrements. Luther ne trouve ici aucune promesse. Donc pas de sacrement. Le mot sacrumentum employé par saint Paul (Eph., v, 31) signifie mystère. D’autre part le mariage existait avant Jésus-Christ. Il ne peut donc être un sacrement. Il remonte à l’origine des hommes, lia été établi par le Créateur. Tous les empêchements créés par l'Église sont donc des abus. Ils ont été créés pour le plaisir de vendre des dispenses. Luther ne voulait plus admettre que les empêchements établis par la nature elle-même. Et il donnait, dans le Prélude, un exemple de la manière de se libérer de ces empêchements. Mais l’exemple fit si bien scandale parmi les protestants eux-mêmes que ce passage fut longtemps effacé des éditions protestantes : « Une femme, disaitil, a épousé un homme impropre au mariage. Elle ne veut pas établir l’impuissance de son mari, avec tous les témoignages et le fracas exigés par la loi. Elle veut cependant avoir des enfants et ne peut garder la continence, je lui conseillerais de demander la séparation à son mari, pour en épouser un autre, se contentant de sa conscience et de celle de son mari, comme témoins de l’impuissance de ce dernier. Si l’homme refuse, je conseillerais à la femme, avec le consentement de son mari, qui n’est pas en réalité son mari, mais un simple cohabitant, de s’unir conjugalement avec un autre, par exemple, le frère de son mari, d’une manière occulte, en sorte que les enfants soient attribués au père légal… Enfin, si le mari ne veut pas consentir à ce partage, je préférerais qu’avant de souffrir du désir charnel, ou de tomber dans l’adultère, la femme contractât mariage avec un autre, pour fuir ensuite dans un lieu inconnu et éloigné. » W., t. vi, p. 558.

Par là, insistait Luther, nous ne permettons pas le divorce, puisque le premier mariage était nul. Au reste il se déclarait très opposé au divorce. Il lui préférerait la bigamie. Mais il ne sait pas encore, à cette date, si le Christ la permet. Il déclare cependant que l'Évangile autorise le divorce dans le cas d’adultère. Saint Paul y joint le cas de l’infidèle qui ne veut pas cohabiter en paix. Luther serait enclin à considérer comme infidèle même le baptisé qui refuse de satis faire sa femme, et pencherait à lui appliquer le cas paulinien du divorce.

Au fond de toute cette casuistique, se trouvait l’idée que le mariage est une nécessité physique. Lui qui se vantait d’avoir réhabilité le mariage, il n’hésitait pas à considérer l’usage du mariage comme souillé irrémédiablement par cette concupiscence qu’il identifiait au péché de nature. Il écrit, en effet, en 1521, dans le De uotis monasticis : « Le devoir matrimonial, d’après le psaume l, est un péché qui ne diffère en rien de l’adultère et de la prostitution, si l’on ne considère que l’ardeur sensible et le plaisir mauvais. Il n’est pas imputé aux époux, mais c’est par pure miséricorde et parce que, dans notre état présent, nous sommes incapables de l'éviter. » W., t. viii, p. 654. Et cette affirmation n’est pas isolée dans l’oeuvre écrite de Luther. Si les poètes avaient cherché à jeter un voile d’idéalisme sur le mariage, Luther ne cesse d’insister sur les aspects les plus inférieurs de la vie matrimoniale. Il ne recule pas devant les comparaisons les plus répugnantes. Brenz atteste que ce genre de descriptions précipitait dans le mariage des jeunes gens « à peine sortis du berceau » et qui n’avaient ni la gravité ni l’expérience nécessaires pour fonder un foyer. Brenz, Homiliæ XXII, cité par Dcnifle, Luther und Luthertum, t. i, p. 278.

On ne peut résumer la doctrine de Luther, au sujet du mariage, que dans les termes que voici : pour lui, le mariage est chose profane, relevant uniquement du pouvoir civil, au point de vue légal, et dans laquelle l'Église n’a rien à voir. Le mariage est une nécessité de nature, mais il est radicalement mauvais en soi, car il s’accompagne de désirs et de jouissances, dont il faut rougir comme d’une honte, mais que Dieu pardonne comme inévitables. Le mariage n’est qu’une poussée maladive et ignominieuse de la concupiscence. La famille est un hôpital. La femme est un être bizarre et inachevé. L’homme qui prend femme « doit savoir qu’il est le gardien d’un enfant ». V., t. xv, p. 420. Le divorce est permis dans les cinq cas suivants : adultère de l’un des conjoints, refus du devoir conjugal, refus de laisser le conjoint « vivre chrétiennement », c’est-à-dire dans la religion de Luther, inaptitude aux fins du mariage, abandon du domicile conjugal, soit par colère, soit par amour du vice.

On a vu plus haut que Luther se disait plus enclin à permettre la bigamie que le divorce. L'évolution des mœurs, au sein de sa propre Église, ne lui donna pas raison sur ce point. La « dispense », qu’il avait cru pouvoir accorder au landgrave Philippe de liesse, d’avoir deux femmes à la fois demeura un cas isolé et qui fit scandale, tandis que les cas de divorce se multiplièrent à l’infini.

Doctrine matrimoniale de Zwingli.

Si le langage de Zwingli est plus réservé que celui de Luther,

au sujet du mariage, sa doctrine ne diffère pas sensiblement de celle de son rival. Il nie, lui aussi, que le mariage soit un sacrement. Il retire à l'Église toute juridiction sur les causes matrimoniales et abandonne ces causes au pouvoir civil. Il considère le don de chasteté comme éminent, en théorie, mais comme monstrueux en pratique. Le célibat ecclésiastique avait toujours été son cauchemar. Il s’en était déchargé secrètement bien avant de rompre officiellement avec l'Église. Voici les trois thèses de la Dispute de Zurich (1523) concernant le mariage : « Tout ce que Dieu ne défend pas et permet se fait à bon droit. Cela nous prouve que le mariage convient à tous également. » Thèse28.- — « Ceux que l’on nomme vulgairement ecclésiastiques ou spirituels (geistlich) pèchent, si s'étant aperçus que Dieu leur a refusé la chasteté, ils ne prennent pas femme et ne se marient pas. » Thèse 29. — « Ceux qui font vœu de chasteté sont les esclaves