Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.2.djvu/330

Cette page n’a pas encore été corrigée
2073
2074
RÉFORME. DOCTRINES, L’EUCHARISTIE


mémoraison, un signe social. Il admet, comme Luther, que l’eucharistie nourrit la foi et que Dieu s’en sert « pour exhorter, exciter, consoler, en un mot, pour faire à peu près tout ce qu’il fait par la Parole ».

Mais sur le point essentiel, celui de la présence réelle, il n’en restait pas moins qu'Œcolampade se rangeait aux côtés de Zwingli. C’est pourquoi ce fut par la réfutation de son grand ouvrage que commença la fameuse Querelle sacramentaire. Nous n’avons pas à décrire ici les péripéties de cette lutte célèbre qui creusa entre les réformateurs le fossé le plus infranchissable.

La seule idée intéressante qui se fit jour, dans le long déroulement des arguments pour et contre la présence réelle, fut l’idée, bizarre du reste et d’une criante invraisemblance, que lança Luther pour expliquer la multilocation du corps du Christ. A l’entendre, c'était là une suite de la communication des idiomes. Il réfutait par là l’opinion, non moins bizarre de Zwingli, qui enchaînait si bien le Christ ressuscité « à la droite du Père », dans les cieux, qu’il ne lui permettait plus de descendre sur la terre.

Luther s’attaqua à cette objection de Zwingli surtout dans son ouvrage de 1527 : Que cette parole du Christ : Ceci est mon corps, tient toujours ferme, malgré les fanatiques. Vous prétendez, disait-il, en substance, que Jésus est à la droite de Dieu. C’est pour vous l'épée de Goliath. Que diriez-vous, si nous prenions l'épée de Goliath et si David s’en servait pour trancher la tête à votre opinion. Eh bien ! c’est ce que nous allons faire : la droite de Dieu n’est pas dans un lieu déterminé. Elle est partout. Jésus, qui est à sa droite est donc partout. Il est donc aussi dans le pain et le vin de l’autel ! Luther ne s’apercevait pas qu'à vouloir trop triompher, il rejoignait l’opinion même qu’il repoussait, car si Jésus n’est dans le pain et le vin que par cette ubiquité imaginaire, il n’y est ni plus ni moins qu’ailleurs et il n’est plus permis de parler de présence réelle dans le pain et le vin. Luther, on le sait, n’arriva pas à convaincre Zwingli, même au colloque de Marbourg (2-3 oct. 1529). La Fidei ratio présentée par Zwingli à Augsbourg, en 1530, disait ceci : « Huitièmement : je crois que dans la sainte eucharistie, c’est-à-dire dans la cène d’action de grâces, le vrai corps du Christ est présent pour la contemplation de la foi… Mais que le corps du Christ par son essence et réellement, c’est-à-dire le corps naturel lui-même, soit présent dans la cène, qu’il soit mâché par notre bouche et nos dents, ainsi que les papistes et certains autres — il veut dire les luthériens — qui regrettent les marmites égyptiennes, le prétendent, cela non seulement nous le nions, mais nous le proclamons une erreur clairement opposée à la Parole de Dieu. »

Doctrine eucharistique de Calvin.

Au cours de la

querelle sacramentaire, une opinion s'était fait jour, qui portait de grandes ressemblances avec celle que Calvin devait défendre plus tard. Elle émanait d’un réformateur peu connu, un Silésien nommé Gaspard de Schwenkfeld (1490-1561), que Luther devait faire expulser bientôt de son pays, pour son indocilité. Selon ce personnage, les mots Hoc est corpus meum doivent se traduire : « Mon corps est ceci : c’est-à-dire le pain de vos âmes. » Développant sa doctrine, il en viendrait bientôt à soutenir que la régénération s’opère uniquement par l’Esprit et nullement par des moyens extérieurs, que le rôle de l’Esprit en nous est de nous communiquer le Christ, dont le corps et l'âme, devenus, après l’ascension, identiques à la divinité, nous sont donnés en nourriture spirituelle, ce qui est symbolisé par la cène.

Cependant si Calvin a défendu dans la suite des idées semblables, c’est par une rencontre toute fortuite. Il ne semble pas y avoir eu d’influence directe de Schwenkfeld sur sa pensée personnelle.

Calvin avait été beaucoup troublé, dans sa jeunesse, par les dissentiments des réformateurs. Ces dissentiments avaient pris des allures de violence extrême. Calvin sentait bien que des inspirés de l’Esprit-Saint

— ce que les réformateurs prétendaient être — ne devaient pas se contredire d’une façon aussi flagrante. Il avouait dans la suite qu’il avait été longtemps arrêté par cette objection dans son désir de se joindre à eux. Luther n’avait-il pas dit, en un mot poignant : « En somme, eux ou nous, — il désignait Zwingli et ses amis

— il faut que nous soyons les ministres de Satan ! » La grande préocupation de Calvin sera donc de

trouver un moyen terme, une formule de conciliation où pourraient se rejoindre les membres disjoints de la prétendue Réforme. Il ne devait en fait qu’ajouter une opinion nouvelle à celle de ses devanciers. Lorsqu’on examine son enseignement, on est frappé de l’effort de syncrétisme qu’il représente. La première moitié de ses formules est nettement luthérienne, la seconde moitié, nettement zwinglienne. Sa grande originalité sera moins dans la doctrine que dans l’utilisation de l’eucharistie comme d’un moyen de gouvernement théocratique, dans l'État puritain rêvé par lui.

On trouve la doctrine eucharistique de Calvin soit dans le Catéchisme de Genève, soit dans l’Institution, soit surtout dans son Traité de la sainte cène, composé à Strasbourg, avec les encouragements de Bucer, en 1541.

Ce traité contient cinq parties : la fin, l’utilité, l’usage légitime de la cène, les erreurs diverses, les causes du conflit eucharistique entre les réformés.

1. La fin /l’eucharistie a été instituée pour nourrir les enfants que le baptême a donnés à Dieu. Elle est un signe visible ajouté à la Parole. Dans ce signe se trouvent rappelées les promesses du Christ. Voilà l’utilité du sacrement : il frappe les regards. Il donne une force nouvelle à la Parole. Il la confirme dans nos cœurs. En trois mots : l’eucharistie est une cène, parce qu’elle nourrit la foi, une eucharistie, parce que nous y remercions Dieu de ses bienfaits, un engagement public, parce que, en y participant, nous renouvelons notre profession publique de chrétiens.

2. Le fruit ou l’utilité de ce sacrement s’explique ainsi : du moment qu’il nous faut un aliment, c’est que nous ne pouvons nous suffire. En face de ce pain, nous devons nous rappeler notre impuissance totale, notre misère, notre corruption foncière, nous sentir accablés par le poids de nos fautes. C’est le premier acte de la préparation à la communion calviniste, l'équivalent de notre acte d’humilité, avec quelque chose de plus accablé, de plus désespéré. Et le second acte c’est l’acte de confiance en Jésus, qui nous est présenté dans ce pain. Arrivé à ce point de son exposé, Calvin voudrait nous faire croire qu’il enseigne vraiment la présence réelle de Jésus dans l’eucharistie. Et il est bien vrai qu’il l’enseigne en parole. Mais quand il faut en venir à l’explication du comment, il la nie. Il est luthérien dans l’affirmation de la thèse et zwinglien dans sa manière de la faire comprendre.

Dans la première édition de V Institution, il avait dit que Jésus, dans l’eucharistie, est donné vere et efficaciter. Il emploie toujours ces deux mots. « Nous confesserons, écrit-il, que de nier la vraie communication de Jésus-Christ nous être présentée en la cène, c’est rendre ce sacrement frivole et inutile, ce qui est un blasphème exécrable et indigne d'être écouté. »

Et il précise qu’il ne peut s’agir de participer seulement à la divinité de Jésus, mais aussi à son humanité. A la différence de Luther, il admet, après Bucer, Zwingli, Œcolampade, que le c. vi de saint Jean parle bien de l’eucharistie et il conclut des affirmations répétées de Jésus dans ce chapitre qu' « il convient que,