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    1. RÉFORME DOCTRINES##


RÉFORME DOCTRINES, LA J USTTFf CATION

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De servo arbitrio que si Dieu lui ofïrait le libre arbitre, il le refuserait. Il aurait trop peur de ne pas savoir s’en servir, de ne pas pouvoir résister aux assauts du démon. Il préfère la sécurité à la liberté. Cette sécurité qu’il combattait encore dans les thèses sur les indulgences, en 1517, elle est en effet l’essence de sa doctrine actuellement. Et cette sécurité, il la tire de la foi.

En somme, il ne s’agit pas, chez Luther, d’une théologie, d’un système raisonné et logique, il ne s’agit que d’un drame subjectif, d’un romantime mystique, d’une autobiographie. Le moteur secret de tout son enseignement c’est le besoin de certitude et de sécurité.

Mais la grosse difficulté qu’il a rencontrée sur sa route a été le problème des œuvres. Quelle doctrine enseigner à ce sujet ? Du moment que Jésus a satisfait pour nous, que la Loi ne peut plus nous opposer ses blâmes et nous maintenir dans le désespoir, que la foi enfin nous a donné l’assurance du salut sans condition, pourquoi nous sentirions-nous encore liés par les obligations de la Loi ? Et pourtant, si nous ne sommes plus liés, que devient l’ordre public, la morale publique ? Luther n’a jamais pu sortir de ce dilemme. Il donne tantôt une explication, tantôt une autre. Parfois, il semble, à l’entendre, que la foi sauve en faisant accomplir des œuvres, en infusant aux œuvres une valeur acceptée par Dieu et qu’elle ait en elle-même une portée morale qui nous revêt devant Dieu d’une véritable dignité. Le plus souvent, Luther affirme que la foi sauve malgré les œuvres, en nous imputant les mérites de Jésus-Christ, en recouvrant les ignominies de notre cœur de la robe d’or de ses vertus divines. La première explication pourrait s’appeler morale, la seconde purement mystique. Entre les deux, Luther oscille suivant les circonstances, ou bien il les emploie toutes deux, comme s’il était indifférent à la distance qui les sépare, à la contradiction qui les oppose.

Le Sermon sur les œuvres, dédié, le 29 mars 1520, au duc Jean de Saxe, peut passer pour le type de l’explication morale du rôle de la foi : « La première et la plus haute œuvre, la plus noble de toutes, y déclare Luther, c’est la foi au Christ. » Mais, comme il a maintes fois dit que toutes nos œuvres sont des péchés mortels, ce n’est pas de sa part faire un grand éloge de la foi que d’en faire la première des œuvres. Luther ajoute donc que « les œuvres faites en dehors de la foi ne sont rien et sont mortes totalement ». Puis il déclare que la foi « rend seule toutes les autres œuvres bonnes, agréables à Dieu et dignes de Lui… » Dans la foi, poursuit-il, « toutes les œuvres sont égales, l’une vaut autant que l’autre, toute différence disparaît entre elles, qu’elles soient grandes, petites, courtes, longues, nombreuses ou en petit nombre… » W., t. vi, p. 106 sq.

Mais Luther est bien loin de parler toujours ainsi. La plupart du temps, il se rattache à la pensée qu’exprime le mot fameux de sa lettre du l pr août 1521 à Mélanchthon : « Dieu ne sauve pas les faux pécheurs. Sois donc pécheur et pèche hardiment, mais confie-toi et réjouis-toi plus hardiment encore dans le Christ, qui est vainqueur du péché, de la mort et du monde. Il faut pécher tant que nous gommes ainsi… Le péché ne nous arrachera pas à lui (au Christ) même si mille milliers de fois par jour nous commettons la fornication et l’homicide… « Luthers Briefwechsel, éd. Enders, I. iii, p. 2(17 sq.

On mesure aisément la différence de ces tvx conceptions de la foi. Dans l’une, c’csl notre foi qui nous justifie parce que foules les « euvres qu’elle nous l’ait accomplir deviennent par elle agréables à Dieu et qu’il est bien entendu qu’elle ne nous faif accomplir que les « euvres conformes à la volonté de Dieu exprimée

dans la loi, dans l’autre, la foi n’est qu’un organe créé en nous, sans nous, par l’Esprit-Saint, pour appréhender la justice étrangère du Christ et nous la faire « imputer », encore que nos œuvres continuent à être mauvaises.

De ces deux conceptions, il semble que la première ait été à l’usage des profanes, mais ne représente pas ; la vraie pensée de Luther. Mélanchthon, qui avait d’abord éprouvé tant de consolations dans la doctrine de Luther, finit par être dévoré de doutes, au sujet de la suppression de la Loi, dans la doctrine de son maître. En 1530, selon les Propos de table, il posa nettement la question à Luther : « Estimez-vous, lui dit-il, que l’homme est justifié par une rénovation intérieure, comme Augustin paraît l’admettre ? Ou au contraire, par une imputation gratuite, extérieure à nous, et par la foi. c’est-à-dire par une ferme confiance qui naît de la Parole de Dieu ? » — « Je suis intimement persuadé, répondit Luther, et certain que c’est uniquement par une imputation gratuite que nous sommes justes auprès de Dieu. » — « Du moins, ne concédez-vous pas, reprit Mélanchthon, que, justifié avant tout par la foi, l’homme l’est secondairement par les œuvres ? Sans doute, pour que notre foi ouconfiance demeure certaine, Dieu ne requerra pas l’exécution parfaite de la Loi, mais la foi suppléera à ce qui manque aux œuvres de la Loi. Vous concédez une double justice, la justice de la foi et celle d’une bonne conscience, où néanmoins la foi vient suppléer à ce qui manque à l’accomplissement de la Loi. L’une et l’autre, vous les reconnaissez comme nécessaires devant Dieu. Mais cela, qu’est-ce autre chose que de dire que l’homme n’est pas justifié uniquement par la foi ? » — « J’estime, répondit Luther, que l’hemme devient, est et demeure juste uniquement par la miséricorde divine. Là seulement est la justice parfaite, qui rend l’homme saint et innocent et absorbe tout mal. » W., Tischreden, t. vi, n. 6727.

En somme, on peut ramener la pensée de Luther, au sujet de la justification, aux points suivants r 1. La Loi a pour fonction principale de révéler le péché originel avec tous ses fruits, de faire voir la profondeur de la déchéance de notre nature et sa radicale perversion. .. « Par là, l’homme est frappé de terreur, humilié, désespéré. Il cherche du secours et ne sait où en trouver. Il s’irrite, devient ennemi de Dieu et murmure contre Lui » (textuel, dans les Articles de Smalkalde r de 1538). — 2. A la Loi, s’oppose l’Évangile, c’est-à-dire la promesse, en vertu de laquelle Dieu nous assure de notre salut personnel, sans aucune œuvre de notre part, en nous justifiant par la foi seule. — 3. La foi consiste’à croire d’une certitude absolue que Jésus est mort pour chacun de nous, qu’il a satisfait à la justice divine pour toutes nos fautes, que nous n’avons plus rien à payer, que dès lors notre salut ne peut faire aucun doute, pourvu que nous croyions que nous sommes sauvés. — 4. La foi nous unit au Christ par uii mariage mystique. Il prend tous nos péchés et nous prenons toute sa justice. Nos fautes lui sont imputées et Dieu nous impute ses mérites. La justice acquise de la sorte est une sorte de mariage indissoluble, qui ne peut être rompu par aucune faute de’notre part, sauf le péché d’incrédulité. Aussi longtemps que nous croyons, noire mariage demeure avec tous ses. e’fïcls. (Celle doctrine, sous son allure mystique, est mu I nul exposée dans La liberté du chrétien). — 5. Tout cela cependant se produit en vertu de l’éternelle prédestination. Les croyants n’ont aucun mérite à croire. De toute éternité Dieu a élu ceux qui croiraient et réprouvé les autres, ce qui n’empêche pas que les. fautes des damnés soient de vraies fautes.

Que si, maintenant, on veut comprendre les raisons epii ont assuré à cette doctrine un si grand succès.