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RÉDEMPTION. VALEUR : PROBLÈMES D'ÉCOLE


de tout bien et nous empêche d’imaginer que rien s’impose à lui sans son agrément. Saint Thomas luimême n’admet-il pas, Sum. th., Ia-IIæ, q. cxiv, a. 1, voir Mérite, t. x, col. 776 et 780, que nos œuvres les meilleures ne nous donnent, par rapport aux récompenses divines, qu’un droit secundum quid ? A plus forte raison le lien devient-il encore de moins en moins rigoureux quand il s’agit de mériter pour d’autres que pour soi.

La solution du présent problème est ensuite, dans chacune des écoles, fonction des prémisses de sa christologie, qui amènent l’une à soumettre et l’autre à soustraire l’humanité du Fils de Dieu au régime de ce droit commun.

2. Mesure du degré.

Quelle qu’en soit la source, jusqu'à quel point de perfection faut-il porter la valeur inhérente à l'œuvre du Christ ?

En vertu de l’adage : Actiones sunt suppositorum, l’union hypostatique, d’après les thomistes, demanderait qu’on la tienne pour infinie, comme la personne même qui en est l’auteur. Au contraire, en raison de la nature humaine d’où elle procède, elle ne saurait être, en soi, pour les scotistes, à quelques exceptions près, voir col. 1951, qu’un bonum finilum. La divinité du Verbe ne compterait que du dehors, mais assez pour permettre de lui attribuer une richesse pratiquement indéfinie : Tamen ex circumstanlia supposili et de congruo… habuil meritum Christi] quamdam ralionem extrinsecam quare Deus poluil acceptare illud in in finilum, scilicet extensive pro in/initis. Scot, Op. Oxon., In lll am Sent., dist. XIX, n. 7, édition de Lyon, t. vii, p. 417.

Plus encore que le précédent, tout ce problème est connexe à la théologie de l’incarnation. Or il y a diverses manières d’entendre, salva fide, l’union hypostatique, ainsi que, par le fait même, l’autonomie de l’homo assumplus et la dignité intrinsèque de ses actes. Il est normal que le cas particulier de ses mérites en subisse le contre-coup.

Quoi qu’on en dise plus d’une fois, la controverse n’est, d’ailleurs, pas davantage absolument tranchée par la présence des expressions infinilus thésaurus et in/inila Christi mérita dans une extravagante de Clément VI (1343), Denzinger-Bannwart, n. 552. En effet, au jugement d’un adversaire, Chr. Pesch. De Verbo inc., 4 c -5e édit., p. 256, suivi par P. Galticr, De inc. ac red., p. 414, outre qu’une bulle sur les indulgences ne saurait contenir une définition doctrinale, on n’y voit pas assez utrum illud « in/inilus » intelligendum sit simpliciter an secundum quid.

Une difficulté particulière, à mesure qu’ils sont plus rigides et plus exclusifs, attend ici les théoriciens de l’expiation pénale, qui se voient contraints de porter jusqu'à l’infini les souffrances du Rédempteur. La question a préoccupé de bonne heure les protestants. Voir J. -C. Veithusen, De in/initate salis/uctionis vicariæ Christi caute recleque œstimanda (1784), dans Com. theol., t. vi, 1799, p. 472-502, qui propose d’abandonner l’infinité matérielle pour s’en tenir à l’infinité d’ordre moral que la passion doit à la personne du Verbe. Solution générale qui laisse toute sa place à la recherche ultérieure au cours de laquelle thomistes et scotistes s'étaient depuis longtemps divisés.

3. Précision de la rigueur juridique.

Moins sûr devient encore le terrain quand on essaie de qualifier juridiquement l'œuvre du Christ. Relève-t-elle de la justice et, dans l’affirmative, cette justice doit-elle se prendre en toute sa rigueur ? Ce sont désormais les tenants des principes thomistes qui se partagent làdessus en groupes opposés.

Étant admis, ce qui semble imposé par le concept de satisfaction, qu’il y a vraiment lieu de faire intervenir ici la justice, il faudrait, pour aller plus loin, bien

établir, au préalable, les qualités requises pour une satisfaction ad striclos juris apices. Or elles sont diversement énumérées et, plus encore, diversement définies. Les principales, sur lesquelles tout le monde est à peu près d’accord, sont que l'œuvre satisfactoire soit ad allerum, ex bonis propriis et alias indebilis, ad sequalitatem : ce qui revient, en somme, à l’indépendance de celui qui l’offre et à son droit de la faire accepter par le destinataire sans aucune libéralité de la part de celui-ci.

Ces conditions, les deux premières surtout, paraissent irréalisables, non seulement à l'école proprement scotiste, mais à bien d’autres en dehors d’elle, tels que Vasquez, J. de Lugo, Lessius, voir B. Dôrholt, op. cit., p. 427, et, plus près de nous, L. Billot, De Verbo inc, 5e éd., p. 501-504. Par contre, tous les thomistes, depuis D. Soto, Capréolus et Gonet, voir par exemple Billuart, De inc, diss. XIX, a. vii, renforcés par des indépendants tels que Véga, Driedo, Suarez, dont une longue liste est dressée dans B. Dôrholt, p. 426, croient pouvoir les vérifier dans notre rédemption. Encore doivent-ils concéder que la justice rigoureuse dont ils se réclament prend ici un caractère spécial, du fait que le Christ, par son humanité, se range dans la catégorie des créatures et que Dieu ne peut être lié à son endroit, plus exactement à l'égard de lui-même, que pour l’avoir préalablement voulu. Ce qui fait dire à Chr. Pesch, De Verbo inc, 4e -5e éd., p. 260, équivalemment reproduit par P. Galticr, De inc. ac red., p. 417 : Disputatio magna ex parle est lis de verbo. Même position chez les franciscains de Quaracchi, dans les scholia de leur édition de saint Bonaventure, t. iii, p. 430.

Dans ces limites, le débat reste soumis à la sagacité de chacun, mais sans le moindre espoir d’aboutir à un résultat définitif. Peut-être, au demeurant, cette question « peu importante et sur laquelle tout a été dit », Éd. Hugon, Le mystère de la rédemption, p. 94, est-elle aussi une question mal posée. Elle porte sur la manière plus ou moins stricte dont peuvent s’appliquer à l'œuvre du Christ les conditions juridiques de la satisfaction. Mais ce concept lui-même n’est pas autre chose qu’une « analogie ». P. Synave, Saint Thomas d’Aquin : Vie de Jésus, t. iii, p. 259-260. A vouloir trop la presser, comment, dès lors, pourrait-elle ne pas défaillir ?

En tout cas, ce qu’il faut maintenir, c’est que le dogme catholique n’a pas de connexion essentielle avec ces sortes de problèmes et, par conséquent, ne saurait être compromis par l’incertitude ou la caducité des solutions qu’ils ont pu recevoir. Ces spéculations telles quelles, en effet, ne se sont jamais développées que sur le plan de la théologie et ne doivent pas en sortir. Bien donc ne serait plus contraire à toute méthode et à toute justice que de vouloir en imputer le déficit éventuel, ainsi que le fait J. Tunnel, Histoire des dogmes, t. i, p. 442-455, à la doctrine même de la satisfaction, qui en restait, pour tous ces théologiens, Vinconcussum quid et n’exige pas du tout ce genre de compléments, qu’elle ignora longtemps sans dommage et dont elle peut encore aujourd’hui fort bien se passer.

Ni la foi ni sans doute la théologie n’ont besoin de résoudre ou seulement de soulever ces questions de pure technique pour qu’il soit vrai de dire avec l’Apôtre, Boni., v, 20 : Ubi abundavit deliclum superabundavil gratia. Peut-être serait-il sage, en pareille matière, de renoncer à en savoir plus long.

Conclusion. — « Il faut, déclarait A. Loisy dans le programme impérieux qu’il croyait devoir intimer à la pensée catholique de notre temps, Autour d’un petit livre, Paris, 1903, p. xxviii-xxix, cf. ibid., p. xxiii, rassurer la foi sur la question de la rédemption et du