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REDEMPTION. UNIVERSALITÉ


facultés spirituelles trouvent à la fois un stimulant et un secours ?

Mais il n’est pas d’âme loyale qui n’ait le sentiment de son insuffisance. Quel homme ici-bas peut se rendre le témoignage de n’avoir pas défailli dans la réparation du mal ou la pratique du bien ? Et qui voudrait se persuader que nos actions les meilleures sont adéquates à ce que Dieu est en droit d’attendre de nous ? Par la solidarité qui nous unit au Christ, la rédemption nous permet d’abriter ces inévitables misères derrière son infinie sainteté. De telle sorte que celle-ci, en même temps qu’elle valorise objectivement nos humbles mérites, a pour effet subjectif d’en révéler tout à la fois et d’en combler le déficit. C’est là sans nul doute, aussitôt qu’on accepte le Christ comme Rédempteur au sens de l’Église, que se vérifie pour la conscience inquiète du pécheur le résultat le plus précieux de sa médiation.

Est-il besoin d’observer que ces bienfaits de l’œuvre rédemptrice dans l’ordre de la vie religieuse s’ajoutent, sans les supprimer, à ceux que les psychologues les moins croyants s’accordent à lui reconnaître dans l’ordre purement moral ? Le Christ est toujours le maître dont les préceptes et les exemples font le guide par excellence de l’humanité sur les voies du redressement ou de la perfection.

Ces divers profits que le chrétien peut retirer de la rédemption n’en seraient pas moins bornés et précaires sans la foi à son rôle objectif dans le plan divin du surnaturel, qui leur donne seule plénitude et solidité.

Sujet.

En connexion avec d’autres problèmes,

on s’est parfois demandé quels sont les bénéficiaires de la rédemption. Voir B. Dôrholt, Die Lehre von der Genuglhuung Christi, p. 305-376. Débats pour une large part aujourd’hui périmés, qui n’en méritent pas moins quelques mots de rappel.

1. Universalité des hommes.

Par le fait de proclamer que le Fils de Dieu vint au monde propler nus et propler nostram salutem, le symbole indique où il faut avant tout chercher la sphère de son action. Mais, dans cet ordre, n’y aurait-il pas à la limiter ?

a) Question de principe. — Contre toutes les formes de particularisme, l’Église enseigne que l’œuvre rédemptrice ne comporte, en elle-même, aucune exception.

Déjà la controverse prédestinatienne du ix<e siècle soulevait, à titre complémentaire, la question de savoir si le Christ est ou non mort pour tous. "Noir Prédestination, t.xii, col. 2904-2905 et 291 7-291 X. Non sans une certaine confusion qui tenait à la divergence des écoles, ibid., col. 2920-2935, les conciles de l’époque, dont les plus saillants furent ceux de Quierzy (853) et de Vaience (855), tendaient à dire que la portée de l’œuvre rédemptrice ne connaît pas d’autres limites que celles que lui impose la résistance des pécheurs endurcis. Textes dans Denzinger-Bannwart, n. 319 et 323-324. Pour l’interprétation, cf. Augustinisme, t. i, col. 2528-2530. Telle est aussi la ligne tracée par le concile de Trente, sess. vi, c. ni, dans Denzinger-Bannwart, n. 795 : Etsi Me pro omnibus mortuus est, non omnes tamer. mortis ejus beneficium recipiunl, sed ii dumtaxat quibus meritum passionis ejus communicatur.

Avec Jansénius, Augustinus, III, iii, 21, l’universalité de la rédemption allait être nettement soumise à des restrictions, conformes à son système de la grâce, qui revenaient à la nier. Voir Jansénisme, t. viii, col. 398-399. L’Église jugea bon d’intervenir. D’où la 5e des fameuses propositions condamnées par Innocent X (1653), dans Denzinger-Bannwart, n. 1096 : Semipelayianum est dicerc Christum prn omnibus omnino hominibus morluum esse aut sanguinem (udissc. Elle est qualifiée de « téméraire, fausse et scanda leuse » dans son sens obvie, voire même d’ « hérétique » si l’on entendait qu’il s’agit de limiter l’œuvre du Christ aux seuls prédestinés. Pour le commentaire, voir Jansénisme, t. viii, col. 492-494. De même furent censurées plus tard les thèses plus cauteleuses qui restreignaient par prétention le bienfait de la mort du Sauveur aux « seuls fidèles », Denzinger-Bannwart, n. 1294, et à plus forte raison aux « élus », 32e proposition de Quesnel, ibid., n. 1382.

En maintenant ainsi, de la manière la plus ferme, que le Christ est mort « pour tous », et cela sans exception, l’Église reste fidèle à la doctrine expresse de saint Paul. Rom., v, 18 ; lCor., xv, 22, II Cor., v, 15 ; ITim., n, 6 et iv, 10. Cf. Matth., xviii, 11 ; Joa., i, 29 et vi, 51. Quant à l’expression pro multis de Matth., xx, 28 et xxvi, 28, qu’exploitaient volontiers les jansénistes, il est admis par l’exégèse moderne que cet hébraïsme suggère seulement l’idée d’un grand nombre, cf. Rom., v, 15, sans rien de limitatif. Voir Lagrange, Évangile selon saint Marc, 4e éd., 1929, p. 283.

Aussi bien la tradition ecclésiastique n’a-t-elle jamais sérieusement varié sur le fond. Preuve dans Petau, Z)e inc. Verbi, xiii, 2-12. La position de l’évêque d’Hippone est indiquée à l’article Augustin (Saint), t. i, col. 2370.

Du point de vue théologique, l’universalité de la Providence divine dans l’ordre surnaturel, voir GRACE, t. vi, col. 1595-1604, entraîne comme conséquence nécessaire l’universelle destination de la mort du Christ, qui, dans l’économie présente, en est l’unique moyen. Et il va de soi que, si elle est applicable à tous les hommes, la rédemption l’est aussi par le fait même, voir Incarnation, t. vii, col. 1506, à tous leurs péchés.

Ce principe dogmatique se traduit : au for externe, par l’attitude pratique de l’Église devant le problème des races et des castes, ainsi que par son perpétuel effort d’apostolat ; au for interne, par le droit qu’elle revendique d’étendre d’une manière indéfinie l’exercice du pouvoir des clefs.

b) Question d’application. — Ne fallait-il pourtant pas mettre cette doctrine d’accord, non seulement avec les démentis réels ou possibles de l’expérience, mais avec la perspective redoutable, ne fût-elle que théorique, d’un enfer éternel pour les damnés ?

Cette antinomie apparente entre le fait et le droit fut résolue sans peine. Une fois liquidées les suites de la controverse prédestinatienne, dès la fin du xiie siècle, cf. A. Landgraf, Die Unterscheidung zivischen Hinreiclien und Zuwendung der Erlôsung in der Frùhscholastik, dans Scholaslik, t. ix, 1934, p. 202-228, l’École s’est ralliée à la formule : Christus redemit omnes quantum ad sufj}rienliam, non quantum ad e/licientiam. Voir Pierre de Poitiers, Sent., IV, 19, P. L., t. ccxi, col. 1207 ; Simon de Tournai. Disp.. XXIII, édit. "Warichez, p. 77. Distinction non moins reçue de tous au courant du xiiie, ainsi que l’antithèse qui la traduit. Voir S. Thomas d’Aquin, In ///uni Sent, dist. XIX. q. i, a. 3, sol. 1 ; S. Bonaventure, In 1 1 /""> Sent., dist. XIX, a. 1. q. ii, ad l 1°’» et q. 3. Cf. F. Stegmiiller, Die Lehre vom allgemeinen Heilswillen in der Scholaslik, Rome, 1929.

2. Cas des anges.

Faut-il étendre à l’ordre angélique le bienfait dont l’universalité des hommes est admise à jouir ? Question liée à celle de la grâce des anges, au sujet de laquelle on discute, voir Anges, t. i, col. 1238-1241, pour savoir s’il y a ou non lieu de l’annexer au domaine de la gralia Christi.

La solution est corrélative à l’opinion qu’on adopte sur le motif déterminant de l’incarnation. Aussi l’école thomiste est-elle pour la négative et ne veut tout au plus rattacher à l’œuvre du Christ que la gloire accidentelle des esprits bienheureux, tandis que l’école