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RÉDEMPTION. CHEZ LES PÈRES : ESSAIS DE THÉOLOGIE


Pourquoi voudrait-on opposer ce qui ne s’opposait pas ? En elle-même, la mystique de l’incarnation n’a rien qui soit de nature à compromettre le rôle proprement rédempteur de la croix. Tout au plus a-t-elle pu, chez les anciens comme encore chez quelques théologiens modernes, en former la toile de fond.

2° Thème des « droits » du démon. — Dans les perspectives de la révélation chrétienne, où la lutte entre le bien et le mal domine tout le drame de la vie humaine, il est normal que le salut se concrétise dans le fait de passer de potestate Salanæ ad Deum. Act., xxvi, 18. Un certain rapport avec le démon est, de ce chef, inhérent à l'œuvre du Rédempteur. Cf. Col., i, 13 ; Joa., xii, 31 ; xiv, 30 ; I Joa., iii, 8. Sur ce thème, où l’on devine, au demeurant, combien l’imagination pouvait aisément trouver son compte, une sotériologie plus ou moins oratoire allait se constituer, dans la bizarrerie de laquelle, à condition d’en brouiller et forcer à plaisir les contours, la critique adverse a trouvé son terrain d'élection. Il suffît, pour tout mettre au point, de distinguer, à la lumière des textes, les époques et les concepts. Voir Le dogme de la rédemption. Essai d'étude historique, p. 373-445.

1. Idées : Hachai ? — Rien n’est plus courant que d’imputer aux Pères de l’ancienne Église, en bloc et sans débat, la théorie mythique de la rançon. Mais, à l'épreuve, ce postulat se révèle à peu près dénué de tout fondement.

Il est clair qu’on doit tout d’abord exclure du dossier les textes où le terme « racheter » et autres de même famille ne dépassent pas la ligne de l’analogie scripturaire pour dire le fait de notre délivrance. Quant à l’idée grossière d’un rachat littéral à Satan dont le sang du Christ serait le prix, c’est à peine si l’on peut en surprendre la trace verbale dans Origène, In Malth., xvi, 8, P. G., t. xiii, col. 1307-1400 ; Grégoire de Nysse, Or. cat. magna, 22-24, P. G., t. xlv, col. 60-65 ; Basile, In Ps. xlvui, 3, P. G., t. xxix, col. 437 ; Ambroise, Epis !., lxxii, 8-9, P. L., t. xvi (édition de 1866), col. 1299-1300 ; Jérôme, In Eph., I (i, 7), P. L., t. xxvi (édition de 1866), col. 480-481. Or ce dernier n’est qu’un simple rapporteur. Quant aux autres, sauf peut-être saint Ambroise, l’analyse du contexte permet de ramener ces passages à de simples métaphores pour signifier les conditions onéreuses dans lesquelles le Christ voulut nous sauver. Preuves dans Le dogme de la rédemption. Éludes critiques et documents, p. 146-240. Ici même, voir Origène, t. xi, col. 1543.

En tout cas, cette conception telle quelle est clairement écartée par Adamantius, De recta in Deum fide, I, P. G., t. xi, col. 1756-1757 ; Grégoire de Nazianze, Or., xlv, 22, P. G., t. xxxvi, col. 653 ; Jean Damascène, De orlh. fide, iii, 27, P. G., t. xciv, col. 1096. Alors même qu’elle ne se réduirait pas à une question de mots, la théorie de la rançon n’aurait donc, par rapport à l’ensemble de la tradition des premiers siècles, que la portée d’un phénomène accidentel. Le prétendu marché qu’on y ajoute parfois n’est qu’une imputation gratuite dont aucun texte ne garantit le bien fondé. Voir Le dogme de la rédemption chez saint Augustin, 3e éd., appendice x, p. 373-391. Il n’y a donc pas lieu de retenir à la charge de l’ancienne Église le dualisme dont si volontiers la critique adverse lui fait grief.

2. Idées : A bus de pouvoir et revanche. — Ce qui caractérise à cet égard la sotériologic patrlstique, c’est la théorie, très déterminée mais toute différente, de l’abus de pouvoir.

Elle n’est pas entièrement Inconnue des Grecs. Voir S. Jean Chr soslomo, / ; / Rom., hoin. XIII, 5, P. G., t.LX, col. 511 : Théodore ! (sous le nom de saint Cyrille), De Inc. Dom.. xi, P. G., t. i.xxv, col. 1433-1 136. Mais

elle est surtout propre au monde latin, où elle est esquissée par saint Hilaire, In Ps. lxviii, 8, P. L., t. ix, col. 475, et le Pseudo-Ambroise, In Col., ii, 15, P. L., t. xvii (édition de 1866), col. 455, puis organisée par saint Augustin, De lib. arb., III, x, 29-31, P. L., t. xxxii, col. 12X5-1287, et De Trin., XIII, xii, 16-19, P.L., t. xi.n, col. 1026-1 029. Voir Augustin, (Saint) 1. 1, col. 2371-2372 ; Le dogme de la rédemption chez saint Augustin, p. 101-154 ; Le dogme de la rédemption après saint Augustin, p. 32-44 et 91-103.

Ici le démon apparaît investi d’un certain « droit » sur les pécheurs, mais qui ne signifie pas autre chose que le pouvoir de les châtier qu’il tient de Dieu. En faisant mourir le Christ innocent, il s’est donc rendu coupable d’un attentat, qui lui valut d'être, à son tour, justement puni par la perte de ses captifs. La manifestation de cette justice rétributive ne relève d’ailleurs jamais que de la simple convenance ; mais, à ce titre, elle ne paraît pas indigne de Dieu et sert à motiver l’avènement de son Fils. Voir Le dogme de la rédemption chez saint Augustin, p. 77-100 ; Le dogme de la rédemption après saint Augustin, p. 22-32 et 82-90.

D’autres fois, cette préoccupation de la « justice » aboutit au système de la revanche. Vainqueur de l’homme, notre ennemi, grâce à l’incarnation, fut vaincu par un membre de la famille humaine et n’aurait pu l'être convenablement sans cela. Théorie dont saint Irénée posait déjà le principe, Cont. hær., III, xvin, 7, P. G., t. vii, col. 937, et qui, depuis lors, accompagne souvent la précédente. Ainsi dans Augustin, Enchir., 108, P. L., t. XL, col. 283 ; De Trin., XIII, xvii, 22-xviii, 23, P. L., t. xlii, col. 1032-1033.

Sous leur forme archaïque, ces sortes de « Cur Deus homo populaires » ne tendent qu'à mettre en évidence la sagesse du plan suivi par Dieu.

3. Images. — Maintes fois, la rhétorique aidant, ces diverses conceptions reçoivent la surcharge d’un vêtement Imaginatif qu’il faut savoir en discerner.

Tantôt la rédemption apparaît comme une œuvre de puissance, et l’on assiste alors à un combat singulier, dont les épisodes s’enchaînent depuis la scène de la tentation jusqu’au drame de la croix pour amener l'écrasement final du démon lors de la descente du Christ aux enfers. Voir S. Ambroise, In Ps. XL, 13, P. L., t. xiv (édition de 1866), col. 1124-1125 ; S. Jean Chrysostome, In Col., nom. vi, 3, P. G., t. lxii, col. 340341 ; Théodoret (sous le nom de saint Cyrille), De inc. Dom., 13-15, P. G., t. lxxv, col. 1437-1444 ; S. Césaire d’Arles, Hom. I de Pasch., P. L., t. lxvii, col. 1043.

Plus fréquemment l’attention se porte sur l’habileté qui préside à une économie où la nature humaine dissimule au démon la divinité du Sauveur pour mieux l’exciter à la lutte qui doit lui être fatale, et l’imagination d'évoquer alors les variétés les plus réalistes du piège rédempteur : hameçon, avec Grégoire de Nysse, Or. cal. magna, 24, P. G., t. xlv, col 65, ou Grégoire le Grand, qui le double du lacet, Moral., XXXIII, vi-xx, 12-37, P. L., t. lxxvi, col. 677-698 ; souricière, avec Augustin, Serin., cxxx, 2 ; cxxxiv, 6 ; cclxiii, 1, P. L., t. xxxviii, col. 726, 745, 1210. Au même genre appartient le poison qui oblige notre vainqueur à vomir ses prisonniers une fois qu’il s’est jeté sur l’appât que lui tendait le Christ. Ainsi dans Cyrille de Jérusalem, Cal., xii, 15, P. G., t. xxxiii, col. 741 ; Proclus, Orat., vi, 1 et xiii, 3, P. G., t. lxv, col. 721 et 792.

On peut discuter le goût dont procèdent ces diverses représentations, mais à condition de reconnaître que, ni en droil ni en fait, elles n’ont de lien avec le « droit » que la théologie patristique de la rédemption accorde à Satan, Conçues pour dramatiser la défaile de celui-ci, en faisant ressortir d’une manière pittoresque la responsabilité qui lui revient dans la catastrophe où il va