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1937 RÉDEMPTION. CHEZ LES PÈRES : ESSAIS DE THÉOLOGIE 1938

Plus encore que de montrer l'érudition scripturaire de leurs auteurs, ces sortes de justifications ont l’intérêt de faire saisir pour ainsi dire sur le vif la conscience ferme qu’ils avaient, en l’occurrence, de « garder un dépôt ».

2. Conclusions théologiques.

Il n’est pas rare, d’autre part, qu'à la simple assertion de la foi vint en même temps s’ajouter le prolongement de quelques déductions.

Forcément l'œuvre du Sauveur ne pouvait que gagner en précision au travail qui s’accomplissait alors autour de sa personne. D’autant que celle-là servait habituellement de subslralum pour fixer la notion correcte de celle-ci. Comment le Christ sauverait-il le genre humain s’il n’en faisait partie et à la fois ne le dépassait ? Argument classique contre le docétisme et l’apollinarisme d’une part, l’arianisme ou le nestorianisme de l’autre, aux termes duquel sa parfaite humanité et sa parfaite divinité s’imposaient comme conditions indispensables du salut.

Sur la doctrine même de la rédemption, un langage commençait à se constituer qui en décrivait le contenu. « C’est la mort du Christ qui est devenue en Occident le punctum saliens. Dès avant saint Augustin, elle est considérée un peu sous tous les aspects possibles : comme sacrifice, comme réconciliation, comme substitution pénale. Saint Ambroise lui découvre (?) un rapport avec le péché comme une dette. » Ad. 1 larnack, Dogmengeschichle, 4e édit., t. iii, p. 54. Or on a pu voir, col. 1935-6, que ces diverses catégories ne sont pas moins familières aux Pères grecs des iie et ine siècles. Elles restent, bien entendu, tout aussi courantes au ive, où, pour exprimer la substitution inhérente à la mort du Christ, sont usuels les termes àvu4°JX 0V > àvTtXuTpov, àvràXXaYU.7 ;, voir S. Athanase, De incarn. Verbi, 9, P. G., t. xxv, col. 111 ; S. Cyrille de Jérusalem, Cal., xiii, 2, P. G., t. xxxiii, col, 773 ; S. Grégoire de Nyssc, Cont. Eunom., v et xi, P. G., t. xlv, col. 693 et 860, tandis que la valeur du sacrifice de la croix est régulièrement spécifiée par les épithètes iXacr^ptoç, xaGapaioç ou autres semblables. Voir, par exemple, Eusèbe de Césarée, Dem. eu., i, 10, P. G., t. xxii, col. 88 ; S. Basile, In Ps. xlviii, 4, P. G., t. xxix, col. 441 ; S. Grégoire de Nazianze, Or., xxx, 20, P. G., t. xxxvi, col. 132.

Tout en restant une grâce, la médiation du Fils de Dieu ne laisse pas d’apparaître, à qui regarde la situation des pécheurs, avec un certain caractère de nécessité. « Qu’est-ce, en effet, lit-on déjà dans VÉpître à Diogncle, ix, 4, qui pouvait couvrir nos péchés sinon sa justice ? » Avec plus ou moins de rigueur, le même raisonnement est appliqué au mystère de sa mort. Voir S. Basile, In Ps. xlviii, 4, P. G., t. xxix, col. 440 ; S. Jean Chrysostome, In Hebr., hom., v, 1, P. G., t. lxiii, col. 47 ; S. Ambroise, In Ps. xlvii, 17, P. L., t. xiv (édition de 1866), col. 1208 ; In Luc., vi, 109, P. L., t. xv, col. 17*0 :  ! 's. -Ambroise, In I Cor., vii, 23, P. L., t. xvii, col. 233 ; Ps. -Jérôme, In II Cor., v, 15, P., L. t. xxx (édition de 1865), col. 819.

Mais, si cette intervention était jusqu'à un certain point nécessaire, il va de soi qu’elle fut largement suffisante. Cujus sanguinis pretium polerat abundare ad universa mundi lolius redimenda peccala, note saint Ambroise, In Ps. xlviii, 14, P. L., t. xiv, col. 1217. Ainsi encore, en Orient, saint Cyrille de Jérusalem, Cal., xiii, 33, P. G., t. xxxiii, col. 813. Équivalence traduite, à l’occasion, par les termes juridiques àv-rîppo7roç, spécial à saint Jean Chrysostome, In Hebr., hom, xvii, 2, P. G., t. lxiii, col. 129, ou àvrà^oç qui revient à satiété dans la polémique de saint Cyrille d’Alexandrie contre Nestorius. Voir en particulier In Johan., XI (xviii, 7-9), P. G., t. lxxiv, col. 585 ; De recta fide ad reginas, 7, P. G., t. lxxvi, col. 1208 ;

Epist., xxxi et l, P. G., t. lxxvii, col. 152 et 264. Cf. Cyrille d’Alexandrie (Sain 1), t. iii, col. 2515 ; Cyiulle de Jérusalem (Saint), ibid., col. 2550-2551.

Autant de points sur lesquels, en traits épars, la théologie patristique préludait aux questions que l'École devait un jour se poser et aux réponses qu’elles devaient y recevoir.


IV. Tradition patristique : Essais de construction doctrinale. —

Bien que la sotériologie des Pères soit aussi peu systématisée que possible, quelques vues générales plus ou moins constantes et consistantes ne laissent pas de s’y faire jour, qui tendent à dessiner — et d’une certaine façon raisonner — l'économie chrétienne de la rédemption. Théories dont la critique de gauche exploite à l’envi l’indigence ou la diversité. Chacune doit être examinée à part et, sur le plan spéculatif où elle se meut, jugée tant d’après ses qualités propres qu’au regard du mystère qu’il s’agissait d'élucider.

Thème de la divinisation.

Liée à tout l’ensemble de nos destinées surnaturelles qu’elle a pour but

de rétablir, l'œuvre du Christ a, de ce chef, souvent pris place dans cette mystique platonisante de la divinisation dont saint Pierre s’inspirait déjà, il Petr., i,

4, pour les résumer. D’où ce que les historiens protestants, à la suite de Ritschl, appellent volontiers la « théorie physique » de la rédemption, qui caractérise surtout la pensée des Pères grecs.

1. Esquisse.

Partant de cette idée que l’essence du bonheur primitif de l’homme consistait en une participation au privilège divin de l’immortalité, ce qui amène logiquement à concentrer le malheur de notre déchéance dans le fait global de la mort, on arrive à définir l'élément principal du salut par l’oïxovouia qui nous délivre de celle-ci pour nous restituer cellelà. Le rôle prépondérant appartient, dès lors, au mystère de L’incarnation, grâce auquel le Logos divinise notre nature par son union hypostatique avec elle et détruit notre mort en nous associant à sa propre résurrection.

Tel est le schème spécialement développé par saint Athanase, voir t. i, col. 2169-2170, dans son Dr incarnatione Verbi, 3-8 et 41, P. G., I. xxv, col. 101-109 et 173-176, ainsi que par saint Grégoire de Nysse dans sa Grande catéchèse, 5-16, P. G., t. xlv, col. 211-.">2. Il a ses racines lointaines dans la doctrine du quatrième évangile, dont saint Iréuée tirait déjà parti, Cont. hær., V, i, 1, P. G., t. vu. col. 1121 ; cf. III, xviii, 1-3, col. 932-931, et se retrouve ensuite, sous une forme plus ou moins appuyée, tant chez les Grecs, comme Cyrille de Jérusalem, Cal., xii, 1-8, P. G., t. xxxiii, col. 728-735, ou Grégoire de Nazianze, Or., xxx, t ici 21. P. G., t. xxxvi, col. 1(19 et 132, que, SUrtOUl a l’occasion de la controverse nestorienne, chez les Latins. Voir

5. Léon le Grand, Serm., xxii, 5 et xxv, " », P. L., (. liv, col. 198 et 211 ; Epist., xxviii, 2, ibid., col. 759. Thème qui tout à la fois pouvait orchestrer la théologie de la divinisation humaine et servait à résoudre le problème rationnel du pourquoi de l’incarnation.

2. Portée.

Il y a là une ébauche déjà très poussée de notre dogmatique de l'étal surnaturel, mais qui ne saurait constituer une brèche dans la tradition sotériologique de l’Eglise que dans la mesure où elle présenterait un cara/tère exclusif. Or la mort du Christ y est expressément incorporée par Athanase, ainsi qu’on le verra bientôt ci-après, col. 1941, comme compensation de celle que Dieu se devait de nous infliger, et Crégoire de Nysse, dans le reste de ses ouvrages, ne manque pas de lui appliquer les catégories pauliniennes du sacrifice expiatoire. Voir Cont. Eunom., vi, xi, xii, P. G., t. xlv, col. 717, 729, 860 et 888-889. A plus forte raison en est-il de même chez les auteurs qui ne touchent à cet aspect du salut qu’en passant.