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RÉALISME. LA PHILOSOPHIE DE L’INTUITION


profondement le nom de philosophie. Mais, pour réaliser ce beau rêve, il faut déterminer la méthode qui lui permettrait d’aboutir à ses certitudes propres. Or, en fait, expérimentalement, comment se révèle-t-on profondément psychologue ? Comment connaît-on la valeur des autres esprits ? N’est-ce point, manifestement, par des sortes de « flairs » spéciaux, par des « intuitions » ? Il fallait donc déclarer que la philosophie nouvelle et véritable serait l’ensemble des connaissances qu’entrevoit déjà le vulgaire dans ses « intuitions i. Cette méthode de savoir pourrait aller fort loin. N’atteindrait-elle pas, par de la le domaine du spirituel, le domaine du simplement vital ? Ne permettrait-elle pas de constituer cette biologie profonde, encore qu’expérimentale, que les physiologistes trop matériellement descriptifs présentaient sans pouvoir l’explorer par de la la physico-chimie de leurs constatations courtes ? « La sympathie et l’antipathie irréfléchies, écrit Bergson, qui sont souvent divinatrices, témoignent d’une interpénétration possible des consciences humaines. Il y aurait donc des phénomènes d’endosmose psychologique. L’intuition nous introduirait dans la conscience en général. Mais ne sympathisons-nous qu’avec des consciences ? Si tout être vivant naît, se développe et meurt, si la vie est une évolution et si la durée est ici une réalité, n’y a-t-il pas aussi une intuition du vital et par conséquent une métaphysique de la vie qui prolongera la science du vivant ? Certes, la science nous donnera de mieux en mieux la physico-chimie de la matière organisée, mais la cause profonde de l’organisation… ne l’atteindrons-nous pas en saisissant par la conscience l'élan de vie qui est en nous ? » P. 36. L’intuition nous fait également percevoir les temps, ces durées qui ne se ramènent pas à de l’espace matériel, mais qui survivent dans la mémoire psychique. Ne sont-ils pas des réalités profondément spirituelles et dont l’envers serait comme l'éventail, l'éparpillement des instants ? Tel serait le miracle de la connaissance philosophique par intuition, p. 37 : « Son domaine propre étant l’esprit, elle voudrait saisir dans les choses, même matérielles, leur participation à la spiritualité, nous dirions à la divinité… »

L’intuition bergsonienne serait-elle apte à s'élever au niveau de preuve intellectualiste de l’existence de Dieu ? Si bizarre que peut paraître d’abord cette question, elle n’est pas dénuée de tout fondement. L’intuition bergsonienne en effet prétend atteindre au fond des choses de l’esprit. Elle veut être la clarté la plus haute de l’intcllectualité. Si H. Bergson avait pu paraître en un temps l’ennemi de l’intellectualisme, c’est qu’on ne s’entendait pas sur les mots. Ce que l’on croyait une opposition de doctrine n'était qu’un quiproquo de vocabulaire, p. 97-98 : « Qu’est-ce que l’intelligence ? » se demande 1 5ergson. Et il se répond : « C’est la manière humaine de penser. Elle nous a été donnée comme l’instinct à l’abeille pour diriger notre conduite. La nature nous ayant destinés à utiliser et à maîtriser la matière, … le développement de l’intelligence s’elïectue donc dans la direction de la science et de la technicité… Un peut donner aux choses le nom qu’on veut et je ne vois pas grand inconvénient à ce. que la connaissance de l’esprit par l’esprit s’appelle encore intelligence, si l’on y tient. Mais il faudra spécifier alors qu’il y a deux fonctions intellectuelles inverses l’une de l’autre, car l’esprit ne pense l’esprit qu’en remontant la pente des habitudes contractées au contact de la matière et ces habitudes sont ce que l’on appelle couramment les tendances intellectuelles. Ne vaut il pas mieux alors désigner par un autre nom une fonction qui n’est pas ce qu’on appelle ordinairement Intelligence ? Nous disons que c’est l’intuition, » Il peut paraître au contraire très préférable d’appeler V intuition bergsonienne

du nom A' intelligence des qualités et des valeurs, au dessus de l’intelligence mathématique. En tout cas, entre le bergsonisme et l’intellectualisme, encore qu’il y ait bien des choses à préciser concernant l’intuition, voici qu’est à peu près comblé déjà un prétendu abîme. Si cette identité globale : « intuition vaut intelligence » est dorénavant retenue par le bergsonisme, on a donc, selon cette philosophie, la pleine connaissance intellectuelle d’une quantité de mouvements, de vies, d'êtres mouvants, vivants, diversement spirituels. Le réalisme qui en résulte devient pleinement ontologique, absolutiste, complet. Assurément. Et là-dessus encore H. Bergson prend la peine de se justifier avec minutie.

Sur la valeur absolue de la connaissance métaphysique et de la connaissance scientifique, H. Bergson est absolument formel. « Nous assignons donc, dit-il, à la métaphysique un objet limité, principalement l’esprit, et une méthode spéciale, avant tout l’intuition. Parla nous distinguons nettement la métaphysique de la science. Mais, par là aussi, nous leur attribuons une égale valeur. Nous voyons qu’elles peuvent l’une et l’autre toucher le fond de la réalité. Nous rejetons les thèses soutenues par les philosophes, acceptées par les savants, sur la relativité de la connaissance et l’impossibilité d’atteindre l’absolu. » P. 42. Et un peu plus loin : « Pour tout résumer, nous voulons une différence de méthode, nous n’admettons pas une différence de valeur, entre la métaphysique et la science. Moins modeste pour la science que l’ont été la plupart des savants, nous estimons qu’une science fondée sur l’expérience, telle que les modernes l’entendent, peut atteindre l’essence du réel. Sans doute, elle n’embrasse qu’une partie de la réalité, mais de cette réalité elle pourra un jour toucher le fond ; en tous cas, elle s’en rapproche indéfiniment. Elle remplit donc déjà une moitié du programme de l’ancienne métaphysique : métaphysique elle pourrait s’appeler si elle ne préférait garder le nom de science. Beste l’autre moitié. Celle-ci nous paraît revenir de droit à une métaphysique qui part également de l’expérience et qui est à même elle aussi d’atteindre l’absolu. Nous l’appellerions science, si la science ne préférait se limiter au reste de la réalité. La métaphysique n’est donc pas la supérieure de la science positive : elle ne vient pas, après la science, considérer le même objet pour en obtenir une connaissance plus haute. Supposer entre elles ce rapport, selon l’habitude à peu près constante des philosophes, est faire du tort à l’une et à l’autre, à la science que l’on condamne à la relativité, à la métaphysique qui ne sera plus qu’une connaissance hypothétique et vague, puisque la science aura nécessairement pris pour elle par avance tout ce qu’on peut savoir sur son objet de précis et de certain. Bien différente est la relation que nous établissons entre la métaphysique et la science. Nous voyons qu’elles sont ou qu’elles peuvent devenir également précises et certaines. L’une et l’autre portent sur la réalité même. Mais chacune n’en retient que la moitié, de sorte que l’on pourrait voir en elles, à volonté, deux subdivisions de la science ou deux départements de la métaphysique… » P. 52-53.

Ainsi tout, dans l’expérience, est ordre et être. Bien de ce qui ne se trouve ni dans la fine expérience intuitive, ni dans la lourde expérience géométrique de l’intelligence tournée vers la matière ne doit encombrer la métaphysique ou la science. P. 80-82. On ne doit jamais considérer que le vrai réel concret, fait de matières, d’esprits, et de vivants intermédiaires entre la matière et l’esprit. "Voilà qui donne au bergsonisme une autre consistance que ce pragmatisme qui ne connaissait d’autres valeurs que les succès apparents, à la manière du « commodisme » d’Henri i’oincaré. Comme les méthodes baconiennes de discriminations récipro-