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RÉALISME. LE BL0NDÉL18ME


idéaliste. En réalité, la philosophie relativement commune des deux penseurs touche au réalisme par ce qu’elle affirme au sujet d’une option et donc d’une certaine autonomie. L’option pour l’être divin, voilà ce qui chez le P. Laberthonnière caractérise peut-être le mieux la part de réalité autonome dans chaque créature : le pouvoir de se refuser ou de se donner. Réalisme chrétien et idéalisme grec, p. 87. M. Blondel dans La pensée, t. ii, p. 89-109, reprend cette thèse. L’un et l’autre de ces auteurs intéresseraient grandement les réalistes, en précisant en quoi consiste ce pouvoir d’option. Il ne suffit pas de dire avec le P. Laberthonnière, loc. cit. : « Chacun de nous reçoit de Dieu l’être et la vie par l’intermédiaire des autres êtres qui constituent le monde et dont le Christ fait partie. Et cependant notre autonomie est telle que chacun est mis à même de ratifier ce don. Nous ne pouvons pas ne pas être et ne pas vivre par Dieu et par les autres ; mais nous pouvons vouloir ne pas être et ne pas vivre par eux afin de ne pas avoir à être et à vivre pour eux. Il n’y a donc d’eux en nous, dans notre vie voulue et réfléchie, que ce que nous introduisons. En nous ils relèvent de nous. » Il ne suffit pas de dire ainsi qu’en adoptant Dieu ou en ne l’adoptant pas on peut se gagner soi-même ou se perdre soi-même. De telles considérations sont vraies dans l’a peu près du discours parénétique ; elles ne sont pas vraies en métaphysique, où, comme le demande saint Thomas, il faut parler formaliler et per se. Tout au moins faudrait-il expliquer comment un choix équivaut à un être. Il y a du danger, en ce sens, dans certaines expressions qu’on veut mettre à la mode et précisément en faveur d’un réalisme blondélien. Telle est l’expression équivoque : « le consentement à l’être », formule dont on a essayé d’user récemment, dans un excellent but en faveur de la philosophie de M. Blondel.

En son inspirateur premier, le P. Laberthonnière, cette philosophie avait déjà des formules malheureuses comme celle-ci, Réalisme chrétien et idéalisme grec, p. 88 : « Tandis qu’ontologiquement nous sommes et nous vivons par Dieu et par les autres, intellectuellement et moralement c’est par nous que Dieu et les autres existent et vivent en nous. » Cette assertion pourrait passer comme un à peu près d’orateur sacré. Peut-on la passer à un philosophe ? A la prendre dans sa lettre, elle signifierait que l’intelligence et la volonté ont valeur de créer Dieu en l’homme. Or, dans ce même système philosophique, elles n’auraient pas ce titre absolu à exister qui les ferait subsister indépendamment de Dieu. Selon le P. Laberthonnière, l’homme créerait Dieu au moins intellectuellement dans son cœur, mais Dieu n’a pas le droit de créer l’homme du moins ontologiquement à part de lui-même. En vérité MM. Laberthonnière et Blondel tiennent à édifier l’univers et son Dieu sur la faculté de se refuser à Dieu. Il paraît difficile de mieux préparer le chemin à une double hérésie qui unirait le pélagianisme le plus radical au panthéisme le plus naïf. Il faut se hâter de dire que ni le P. Laberthonnière, ni M. Maurice Blondel n’ont eu ces intentions hétérodoxes. Mais M. Blondel lui-même, en voulant estomper l’être de la créature devant l’être du Créateur, est-il, dans son excellente intention chrétienne, exempt, indemne de cette théorie de l’idéaliste Jean Piaget que l’on citait plus haut, col. 1 876 : « il y a trois et non deux termes entre lesquels le choix s’impose : la transcendance, le moi et en dernier lieu, la pensée avec ses normes impersonnelles. Or l’immanence revient à identifier Dieu non pas au moi psychologique, mais aux normes de la pensée. » Ces normes qui en Dieu font les choses, comme M. Blondel l’expliquera tout au long dans son livre L’être et les êtres, cette pensée « en dehors de la pensée pensante ou pensée », comme l’explique M. Blondel dès

le t. i, de son ouvrage La pensée, tout cela n’est-il pas un terrain d’entente profonde entre le réaliste Blondel et l’idéaliste Piaget ?

Voici comment un thomiste, le P. de Tonquédec, S. J., diagnostique le manque de réalisme radical de M. Blondel. Deux études sur « La pensée » de M. Maurice Blondel, 1936, p. 72-74. Confusion entre divers sens du mot absolu. < M. Blondel, écrit le P. de Tonquédec, s’indigne qu’on puisse accorder à quoi que ce soit « en dehors de Dieu » une valeur « absolue » : il nous rappelle que rien de créé, de fini ne mérite pareille épithète (La pensée, 1. 1, p. 263 ; t. ii, p. 502). Curieuse et vraiment sophistique équivoque. Car d’abord, au point de vue logique, « absolu » désigne, d’après l’usage courant, en un sens nullement métaphysique, mais seulement propre et exact, ce qui est terminé, achevé (absolutus), quelque chose à quoi on n’aura plus besoin de revenir pour le modifier ou le corriger. C’est ainsi qu’on parle de certitudes absolues, qu’on dit d’une proposition qu’elle est absolument vraie, qu’elle exprime une vérité absolue : et cela signifie non pas qu’elle est Dieu, mais simplement qu’elle est vraie sans restriction, qu’elle ne requiert aucune distinction, ne comporte aucune réserve et ne craint aucun démenti. Secondement, au point de vue métaphysique, l’absolu s’oppose au relatif : être absolu c’est n’être point rapporté à autre chose, ne pas dépendre. Mais il y a plusieurs espèces de relations, plusieurs manières de dépendre. Dieu seul n’a aucune relation à quoi que ce soit, ne dépend de rien en aucune façon. Mais beaucoup d’autres êtres possèdent une indépendance limitée, définie par des titres spéciaux. L’auteur de La pensée confond sans cesse dans son ouvrage divers modes de dépendance et par exemple le rapport causal avec le rapport d’inhérence. La substance créée est un absolu, non point en ce sens qu’elle ne dépend pas de ses causes et d’abord de la cause première, mais parce qu’elle existe en elle-même (ens in se) et non pas par elle-même (ens a se). (La scolaslique, soucieuse de ne rien embrouiller et de parer à toute équivoque, divisait, même les accidents en absolus et relatifs : les premiers étant tous ceux qui enferment un élément distinct du simple rapport). M. Blondel commet ici la même confusion qui a conduit Spinoza au panthéisme. » L’infirmité de son idéalisme lui vient de ce qu’il n’a su trouver d’être absolu qu’en Dieu. « Pourtant, lui explique le P. de Tonquédec, op. cit., p. 87-88, les choses sont : vraiment, à la lettre, dans l’acception propre et rigoureuse du mot et, si lointaine qu’elle soit, leur analogie avec le type divin de l’existence est une analogie strictement réelle. En effet, les créatures possèdent un être qui leur appartient en propre, un « en soi » et, quoi qu’en dise M. Blondel, une « subsistance entitative » (t. ii, p. 474), non. pas « séparée », mais distincte de celle de Dieu. Leur être n’est pas une apparence : il a en lui-même une valeur ontologique. Bien plus, le cœur du créé est formé d’éléments stables, solides, reposant en eux-mêmes, « substantiels ». Or, la notion de la subsistance finie semble échapper tout à fait au philosophe de La pensée : il la confond, souvenons-nous en, avec l’indépendance causale. Cependant des êtres cosmiques qui ont une cause ne sont pas pour cela réductibles à un « devenir » pur, et il n’est pas vrai que la pensée, ignorante de Dieu « ne s’appuie que sur le fieri sans se « suspendre à un être » (t. ii, p. 228) : car il y a d’autres êtres que Dieu. Il n’est pas vrai qu’en dehors de Dieu n’existe qu’un mouvement fuyant à l’infini, un miroitement de phénomènes sans consistance intrinsèque, que, par exemple, « notre pensée apparaisse non comme « un être subsistant en soi mais comme un devenir (t. ii, p. 46). »

M. Blondel semblait avoir mis au point certaines imprécisions de sa doctrine, dans un article de la Revue