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RÉALISME. LES PHILOSOPHIES GRECQUES


teur de vie et la vie tout entière étant suspendue à l’intention implicite d’être heureux, c’est toute une biographie concrète que deviendra la métaphysique de chaque activité humaine irréductible (en un certain sens au moins) aux autres activités humaines.

Un tel discernement des esprits, une telle explication par des causes spirituelles concrètes, voilà ce qui dans la Bible est plus important que les détails du récit lui-même. C’est que ce spiritualisme n’est pas seulement philosophie qu’on admet, mais religion à laquelle on croit. Le P. Laberthonnière fait observer, p. 51 : « A cause de cela, au lieu de dire que la Bible est une histoire, ce qui peut induire en erreur, il serait plus juste de dire simplement qu’elle est historique. » On pourrait peut-être aller jusqu’à conjecturer (ce serait aux théoriciens de l’inspiration biblique à nous fixer sur ce point) que, même si des erreurs historiques de détail se trouvent disséminées dans la Bible, l’appareil métaphysique et théologique que suppose la rédaction de ces détails douteux — fût-elle conçue en termes tmthropomorphiques — reste d’un bout à l’autre des Livres saints un appareil métaphysique et théologique toujours semblable à lui-même. Il n’y a pas nécessairement là le seul objet de l’inerrance biblique. Mais qui sait si ce ne serait pas avant tout l’objet ultime et principal de cette inerrance ?

Avec le dogme de la création, cette métaphysique est celle de la distinction des essences et des existences, les essences analogiques des espèces subsistant. Le chrétien sait, comme le païen que, pour recourir à des exemples vulgaires, le petit d’une grenouille n’est jamais un je.ne éléphant. Les êtres sont réalisés selon de-> types doués d’une certaine fixité. Mais l’individu ne se réduit pas à son type spécifique : « Les existences ne découlent pas d’une essence, comme le remarque le P. Laberthonnière, p. 53 ; elles ne sont pas déduites, elles sont faites, elles sont créées. Ce n’est pas logiquement ou statiquement qu’elles s’expriment, c’est historiquement ou dynamiquement. « Chaque être sera comme une extension originale selon son temps. L’épanouissement sera plus visible encore aux frontières matérielles de l’être que du côté de sa source spirituelle où l’unité est plus durable. On reconnaît là un point essentiel de la philosophie explicitée par Plotin et par saint Augustin.

L’histori’| L ie et le transitoire sont ainsi révélateurs du transcendant et de l’immuable. Il faut donc que l’historique et le transitoire soient vrais, suivant une certaine vérité absolue, afin que des récits historiques, comme ceux par exemple de la Genèse, aient assez de consistance p.mr mouvoir la piété et aussi pour mériter l’assentiment. Il reste que, si cette matérialité des faits est un absolu nécessaire, cet absolu est peu en comparaison de l’absolu transcendant divin ou même humain.

Ce qui ainsi est vrai de la Genèse et de l’Ancien Testament l’est plus encore de l’Évangile ; et il est difficile sur ce point nouveau de donner tort au P. Laberthonnière lorsqu’il affirme p. 55-56 : « La métaphysique de la Genèse et de l’Ancien Testament en général est une interprétation de la nature et de l’humanité… pour y découvrir la présence et l’action d’un Dieu Créateur et Providence ; la métaphysique de l’Évangile et du mouveau Testament est une interprétation directe du Christ lui-même pris dans sa réalité et ses manifestations temporelles pour découvrir par lui la présence et l’action en nous d’un Dieu Père. » Il faut insister sur le caractère de données obvies, indépendantes des interprétations qu’one i peut faire, que représentent les scènes si concrètes des évangiles. Elles n’ont rien à voir avec une construction de l’esprit en chaque lecteur. Le P. Laberthonnière lui-même n’insiste pas assez sur ce réalisme profond ; et trop tôt il oblique à considérer le rôle sentimental ou psychologique que le

texte évangélique doit remplir pour la satisfaction du cœur humain. Par cette considération de l’ordre affectif, il néglige le réalisme de base postulé et proposé dans l’Évangile. Il faut agréer à plein tout le réalisme des anecdotes de la vie de Jésus pour pouvoir porter le réalisme plus hautement spirituel concernant la psychologie réelle humaine et divine du Christ. Sans quoi l’on aboutirait à la position encore trop moderniste de H. Bergson dans Les deux sources de la morale et de la religion. L’Évangile y est réduit en effet à être — que le Christ ait existé ou non — une recette valable d’expériences intérieures prestigieuses. Il est exact de dire avec Laberthonnière que l’Évangile n’est pas qu’un témoignage historique, puisqu’il est dans son fond le livre d’une religion métaphysique. Mais, encore une fois, il ne réussit à être proprement le livre de cette religion liée à une métaphysique qu’à la condition d’être d’abord ce qu’il prétend être dans les termes immédiats de sa lettre : un témoignage historique. On peut conserver à l’Évangile une très grande estime en lui faisant commettre le mensonge de s’affirmer comme témoignage objectif quand il ne serait pas témoignage objectif. En ce cas, on possède une sorte de religiosité de forme apparemment chrétienne. On ne peut cependant plus dire qu’on est chrétien radicalement, intégralement ; et l’on devient idéaliste-moderniste dans la mesure même selon laquelle, comme on l’a dit plus haut, on quitte la lettre et l’esprit réalistes des textes. Aussi, parmi les réflexions plus ou moins pertinentes que le P. Laberthonnière fait en cet endroit de son livre, il en est une qui est incontestablement saine, c’est celle où il attache finalement l’assentiment de son esprit au réalisme concret impliqué par l’Évangile, p. 63-64 : " On ne pourra jamais dire par exemple, sans méconnaître complètement la doctrine chrétienne, que la conception virginale ou la résurrection sont des symboles, parce qu’alors le Christ perdrait son caractère et cesserait d’apparaître comme la vie de Dieu s’insérant dans la vie de l’humanité : les dogmes ne seraient plus que des mythes au lieu d’être des réalités. Et la doctrine chrétienne, s’évanouissant elle-même dans un idéalisme sans consistance, se superposerait encore au réel au lieu d’en être l’explication. Elle deviendrait à son tour une doctrine abstraite. Si dans les récits qui servent de véhicule à la doctrine chrétienne il y a lieu de distinguer L’essentiel de l’accidentel, ce n’est donc pas du tout que cette doctrine puisse se détacher de la réalité historique. Et ce qui ressort au contraire de ce que nous venons de dire, c’est qu’elles sont inséparablement unies. »

Le P. Laberthonnière oppose trop violemment le Dieu d’Arislote au Dieu des chrétiens. Mais il faut reconnaître avec lui que toute la métaphysique relative à Dieu, à la création, etc., devient, de par le fait du christianisme, singulièrement plus développée et concrète. La même doctrine de personnalisme-realisme, va se développer tout aussi bien dans la philosophie naturelle, p. 71 : « Les êtres de la nature, en tant que réellement et individuellement existants, n’ont pas pour principe et pour fondement l’union transitoire d’une matière avec une essence éternelle qui découlerait logiquement de l’essence de Dieu ; mais ils ont pour principe et pour fondement la volonté de Dieu qui les pose librement dans son éternité. « Cet hiatus entre les phénomènes mouvants de ce monde et les vérités éternelles, les Grecs n’avaient d’abord pas su l’expliquer. Pour trouver l’explication, du moins l’explication valable, il fallait arriver à l’époque de Plotin et à l’époque chrétienne. Ici encore le P. Laberthonnière voit juste, p. 75 : « L’éternité n’est pas hors du temps, ce qui’était avant le temps et ce qui sera après. Ainsi conçue, elle ne serait toujours que du temps. Elle est dans le temps même pour en susciter et en soutenir le devenir.