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RATRAMNE
SU

de diverses questions soulevées plus ou moins directement par l’affaire de Godesealc. La seconde de ces questions aurait eu pour objet la nature de l’âme. » P. 208. Ratramne démontre donc, à l’aide de textes patristique set de raisonnements personnels, que l’âme humaine n’est pas corporelle, il suit de là qu’elle n’est pas localisée. Ce dernier point demande des précisions ; Ratramne semble dire que l’âme n’est pas circonscrite et comme enfermée dans son corps, puisque la pensée humaine n’est limitée ni par le temps ni par l’espace : son argumentation et les témoignages allégués démontrent, dit-il, inlocalitatem animée et incircumscriptionem. Cette philosophie ne fut pas du goût de tout le monde, et de Reims, peut-être d’Hincmar lui-même, partit une réfutation de ce second point : on doit admettre que l’âme est incorporelle, mais elle n’en est pas moins « dans son corps » et elle en subit la limitation.

4° De nativilate Christi (P. L., t. cxxi, col. 81-102).

— Cet opuscule se présente encore sous un autre titre : De eo quod Christus de Virgine natus est. Il étudie non pas le problème de la conception virginale de Jésus par l’opération de l’Esprit-Saint, mais le « comment » de la « naissance » virginale de Jésus. Ratramne nous avertit en effet dans son introduction qu’une opinion étrange venait de se répandre en Allemagne, d’après laquelle Jésus, pour respecter la virginité de sa mère, serait sorti de son sein d’une manière tout à fait extraordinaire (quelques-uns disaient : par l’aisselle). Ratramne estima que cette opinion, si elle se répandait, pourrait provoquer une véritable hérésie : on conclurait en effet, de ces considérations fabuleuses, à la non-naissance du Christ et la vérité de l’incarnation serait compromise. Pour lui, puisque le Christ eut réellement un corps humain, une nature humaine, il dut naître à la manière des hommes : per uleri / « nuarn, aperlo utero. Autrement, Marie ne pourrait pas être sa mère ; il n’y a d’ailleurs rien d’impur et de choquant dans l’œuvre de Dieu, là où le péché n’est pas intervenu. La virginité perpétuelle de Marie consiste donc en ceci qu’elle ne connut jamais le commerce charnel, ni avant ni après la naissance de Jésus. On peut voir à l’article Radbert comment cette opinion ne satisfit point l’ancien abbé de Corbie, et comment il y répondit, dans le sens conforme à la doctrine catholique.

5° De prædeslinalione Dei libri duo (P. L., t. cxxi, col. 13-80). — La controverse prédestinatienne est certainement, parmi les controverses théologiques du ixe siècle, celle qui présenta la plus vive ardeur, dura le plus longtemps et mit aux prises le plus d’antagonistes. Parmi ceux-ci, Ratramne tient une place importante aux côtés de Gottschalk contre l’archevêque de Reims Hincmar. Nous n’avons pas à raconter en détail et à suivre toute l’histoire de la querelle, mais seulement à situer les interventions de Ratramne. Voir l’art. Prédestination, § IV, La controverse du IJP siècle, t.xii, col. 2901-2935.

Gottschalk, livré à Hincmar par l’archevêque de Mayence Raban Maur, condamné par un synode de Mayence et par un synode de Quierzy, était emprisonné au monastère de Hautvillers, sous la garde de l’archevêque de Reims. La surveillance sans doute n’était pas très stricte, puisque le prisonnier, utilisant ses loisirs à étudier les problèmes théologiques, pouvait communiquer avec quelques-uns des meilleurs théologiens du moment, et ainsi, au désespoir d’Hincmar, continuer à répandre ses idées. Parmi ses correspondants et amis figurait en bonne place Ratramne. Nous en avons pour témoignage le Carmen ad Ratramnum de Gottschalk qui montre une amitié ancienne qu’il faut faire remonter à l’époque où Gottschalk était à Corbie. Texte de Gottschalk dans Mon. Germ.

hist., Poetæ, t. iii, p. 735 sq. Vn autre moine de Corbie, Gislemar était en relations avec lui et nous savons par Hincmar lui-même que Gottschalk lui écrivit au sujet de la prédestination. Hincmar crut donc nécessaire de mettre en garde les « simples » de son diocèse contre les erreurs de son prisonnier ; puis il consulta plusieurs théologiens. Il n’est pas probable que Ratramne fut consulté : mais, ayant eu connaissance de l’écrit d’Hincmar et de la réponse que Gottschalk lui avait déjà faite dans sa Confessio prolixior, il entra dans la querelle par une lettre ad amicum, c’est-à-dire à Gottschalk. Cette lettre est perdue, mais nous savons* qu’elle déplut vivement à Hincmar qui en écrivit à Raban Maur. Cf. Raban Maur, Epislola ad Hincmarum, P. L., t. cxii, col. 1522 R. Charles le Chauve était au courant de l’affaire de Gottschalk, il eut donc l’idée de s’informer auprès de Loup de Ferrières, et aussi de Ratramne qu’il avait déjà consulté sur l’eucharistie. La réponse de Loup fut défavorable à Hincmar et celle de Ratramne plus encore.

Hincmar sans doute ne se faisait pas d’illusion sur les dispositions de Ratramne à l’égard de sa doctrine et il ne voyait pas d’un très bon œil le crédit dont ce moine jouissait auprès de Charles le Chaîne. Un peu auparavant, en 819. la nomination de l’évêque d’Amiens, Hilmerade, avait provoqué le mécontentement de l’archevêque ; la compétence doctrinale de l’évêque était en effet quelque peu douteuse, aussi Loup de Ferrières écrivit-il à Ratramne pour lui recommander de lui rendre tous les services qu’il pourrait dans cet ordre, et il avait déjà écrit à Hincmar dans le même sens, P. L., t. exix. col. 540 ; il est probable que l’archevêque ne fut rassuré ni sur l’orthodoxie de son suffragant, ni sur celle du théologien qu’on lui donnait comme conseiller.

Ratramne donc, consulté par Charles le Chauve, rédigea en 850 les deux livres De prædeslinatione. Cet ouvrage nous montre clairement sa méthode de travail habituelle. Tout d’abord, il s’efforce de suivre la ligne de la tradition par une suite de citations choisies avec soin. C’est ainsi que nous voyons figurer dans l’argumentation non seulement saint Augustin, comme il est naturel de l’attendre, mais saint Grégoire le Grand, Prosper d’Aquitaine, Salvien, Fulgence de Ruspe et Isidore de Séville. Après qu’il a fait le recensement des textes, il pose en manière de conclusion sa synthèse personnelle, et elle est toute favorable à Gottschalk : Il faut croire à une double prédestination, l’une pour les élus, l’autre pour les réprouvés. La prédestination de ces derniers n’est pas au péché mais à la peine due au péché qu’ils ont commis librement. En effet, tout ce qu’il peut y avoir de bon dans les actes humains doit être attribué à la grâce de Dieu : les bonnes œuvres et le salut qui en est la suite sont le résultat de sa bienveillance toute gratuite, Dieu ayant voulu d’un vouloir éternel, immuable, antécédent à la prévision de tout mérite, tirer tel et tel de la masse de damnation dans laquelle la faute originelle a jeté tous les hommes. Les autres, les réprouvés ont été simplement laissés à eux-mêmes, à leur libre arbitre, à leurs péchés volontaires, mais ils ne sauraient échapper a Dieu qui, connaissant de toute éternité les péchés qu’ils commettent librement, dispose en conséquence leur sort éternel et ses propres plans sur le monde. La querelle prédestinatienne se prolongea, mais nous ignorons si Ratramne y intervint encore.

6° Contra Grsecorum opposila libri quatuor (P. L, t. cxxi, col. 223-346). — En 867, au lendemain de la violente offensive de Photius contre Rome, le pape Nicolas 1 er avait envoyé une lettre simultanément aux évêques des Gaules et à ceux de Germanie pour leur demander la solution des difficultés théologiques, soulevées par les Orientaux et spécialement la question