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plonge, mais, outre cela, il y a au dedans de cette eau une vertu de vie, une vertu de sanctification, une vertu d’immortalité : virlus vitalis, virlus sunctificationis, virlus immortaliledis. Col. 136 A. Cette vertu qui est dans l’eau vient directement de l’Esprit-Saint, lequel, à la prière du prêtre, a communiqué à l’eau cette efficacité surnaturelle. Dj 711ême le corps et le sang du Christ considérés dans leur extérieur et en surface sont des créatures sensibles et corruptibles ; mais si on les considère par rapport à la vertu du mystère qui est en eux, ils sont aliment de vie immortelle. Si mysterii per pendus virtutem, vita est parlicipantibus se tribuens immoTialitatem. Col. 136 A. H y a donc dans le baptême une vie mystérieuse qui nous est communiquée, cette vie est entretenue par l’eucharistie ; pour indiquer l’origine de cette vie, et aussi sa nature, un mot revient comme un leit-motiv : virlus divina : c’est une réalité divine, toute spirituelle.

Interprétant à la lettre le texte de saint Paul : omnes in Mose baptizali sunt in nube et in mûri, et omnes eamdem escam spiritualem manducaverunl… (I Cor., x, 1-14), Ratramne n’hésite pas à affirmer que les Hébreux participèrent réellement à cette « puissance spirituelle » qui est contenue dans nos sacrements, quonium inerut corporeis illis substantiis spiritualis Verbi potestas, col. 137 B ; …nimirum ipsam qunm hodie populus credentiun in Ecclesia mundu : al et bibit. Col. 138 A.

Dans ces conditions, il n’est plus nécessaire de parler de « mutation » ou de « conversion ». Le pain et le vin ne subissent aucun changement, ils restent ce qu’ils sont, l’eucharistie n’est aucunement un miracle matériel, mais sous le voile de ces créatures matérielles se réalise le mystère divin auquel on a donné le nom de corps et de sang du Christ. Il suit de là également que la messe sans la présence corporelle du Christ ne peut être qu’une action de grâces, une commémoraison du sacrifice passé, un rappel de l’unique oblation offerte au Calvaire. Voir art. Messe, col. 1014 sq.

Étant données les idées qu’il soutenait, le petit traité de Ratramne devait avoir une destinée assez complexe. Au xe siècle, il est encore cité sous le nom de son auteur par l'écrivain anonyme de l’opuscule : Sicut unie nos dixil quidum supiens. Après avoir rappelé la composition du traité de Paschase Radbert, l’anonyme marque en effet l’opposition que celui-ci rencontra de la part de Raban Maur, dans sa lettre à l’abbé Égilon, et de Ratramne dans un petit livre adressé au roi Charles. P. L., t. c.xxxix, col. 179 D. L’anonyme s’efforce d’ailleurs d’atténuer la différence entre les thèses soutenues de part et d’autre. A partir de ce moment, le De corpore… de Ratramne ne sera plus cité sous son nom que par deux auteurs du Moyen Age. Sigebert de Gembloux († 1112) lui fait une place dans ses Scriptores ecclesiastici, a. 95 : Bertrumus (des mss. lisent Ratramus) lihrum scripsit « De corpore et sanguine Domini > et ud Carolum librum « De prædeslinutionc ». P. L., t. c.i.x, col. 569. Peu de temps après l’Anonymus Mellicensis, vers 1135, s’exprime ainsi : i son sujet : Rulrumnus, vir dodus, scripsit libellum cuidam principi « De corpore et sanguine Domini », a cujus llbelli intérim laude cessamus, donec perlecto a. si furie ud manum veneril, an sanæ et callwlicæ fidei concordel agnoscamus. P. L., t. ccxiii, col. 961. Cette notice semble indiquer que l’anonyme a eu vent de quelques discussions sur le compte de l’ouvrage.

En fait l’opuscule de Ratramne avait été condamné une centaine d’années auparavant, mais sous un autre nom. Lors de la controverse bérengarienne, il circulait en effet sous le nom de Jean Scot (Érigène). Bérenger dans son argumentation s’appuyait sur lui, et tout naturellement le livre était pris à partie par les

adversaires catholiques de l'écolàtre de Tours, en particulier par Lanfranc. Aussi fut-il condamné au concile de Verceil, tenu par le pape saint Léon IX, en septembre 1050. Voir les références dans Jafîé, Regesta PP. RR., post n. 4233.

Au début de la Renaissance, Trithème fait mention du livre et de l’auteur, qu’il appelle Rertrame ; mais la façon dont il en parle ne semble pas indiquer qu’il ait eu en main l’ouvrage ; il recopie simplement la notice de Sigebert de Gembloux. Voir P. L., t. c.xxr, col. 11-12. Comment le bienheureux Jean Fisher, évèquc de Rochester, en eut-il connaissance, c’est ce que nous ne saurions dire : le fait est qu’il allègue au moins le nom de Ratramne et de son traité dans la préface de son De verilale corporis et sunguinis Christi in eucliarisliu, Cologne, 1527. Mais, quand le texte de Ratramne eut été publié à Cologne, en 1532, et que des traductions en langue vulgaire en eurent facilité la diffusion, les protestants s’en emparèrent, trouvant dans Ratramne un de ces premiers « témoins de la vérité », comme ils disaient, entendons un précurseur de leurs négations. Les catholiques lui firent, on le comprend, mauvais accueil et plusieurs émirent l’idée que l’on avait affaire soit avec un faux d’origine protestante, soit avec l’ouvrage perdu de Jean Scot, lequel, ayant laissé une réputation assez fâcheuse, pouvait être plus facilement réputé coupable. Le traité fut inscrit à l’Index de 1559. Le xviie siècle amena une réaction. En 1655, Jacques de Sainte-Beuve, professeur royal en Sorbonne, entreprit dans son cours la réhabilitation de Ratramne. Profitant de ses travaux, l’abbé Jacques Boilcau (frère du poète), donna en 1680 une édition du traité avec une traduction française et des notes copieuses. C’est une traduction latine de cette édition, parue en 1712, et complétée par une série de dissertations dirigées contre Hardouin, qui est reproduite dans P. L., t. cxxi. Le souci de retirer aux protestants l’appui de Ratramne — - nous sommes, il ne faut pas l’oublier, à l'époque de la Perpétuité de In foi catholique — a empêché l’abbé Boileau de saisir la vraie pensée de l’auteur qu’il commente. Sa thèse essentielle, à savoir que Ratramne polémique non contre Radbert, mais contre un auteur inconnu (où lioileau veut voir l'Érigène), est radicalement fausse et les efforts qu’il fait pour ramener les dires du moine de Corbic aux alignements de la théologie moderne se révèlent inopérants. C’est donc avec beaucoup de défiance — le conseil n’est pas inutile — qu’il faut lire les notes copieuses qui encombrent le bas des colonnes de l'édition de Migne et plus encore les dissertations ex professo qui suivent. Même en tenant compte du développement normal du dogme chrétien, il est difficile non seulement de concilier le point de vue de Ratramne avec celui de Radbert, ce qui n’aurait somme toute qu’un intérêt secondaire, mais de décerner à Ratramne un brevet d’orthodoxie : alors qu’il croit rester fidèle a saint Augustin, Ratramne apparaît en dehors du mouvement de croissance, d’explicitation par la pensée chrétienne du mystère eucharistique.

De unima.

Deux ouvrages de Ratramne sont

connus sous ce titre. Le premier a été signalé par Mabillon qui nous en a conservé quelques extraits. Voir Mon. Germ. hist., Epist., I. vi, p. 153, 154. Le manuscrit que put lire Mabillon est perdu : nous savons que Ratramne combattait une théorie suivant laquelle une seule àme serait commune à tous les hommes.

Le second De unima a élé publié pour la première fois par dom Wilmart dans la Revue bénédictine, juillet 1931, d’après un ms. de Corpus Christi Collège à Cambridge. Le destinataire de ce traité semble avoir été Charles le Chauve. « Le roi des Francs, dit dom Wilmart, vers l’année 850, au lendemain du synode de Quierzy, doit avoir consulté les gens d'Église au sujet