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RATIONALISME. LE DEISME ANGLAIS


Dieu, comme le prouvent les miracles du Nouveau Testament — les autres miracles, « ceux qu’acceptent les papistes, les juifs, les brahmanes et les mahométans », il ne les accepte pas. Par ailleurs, la raison est la lumière que Dieu nous a donnée. La révélation n’en est pas une autre, mais un moyen d’information. Nous devons donc l’interpréter avec notre raison, la dépouillant de tout ce que n’accepte pas cette raison.

Mais il va dépasser cette position relativement conservatrice. Dans sa Vie de Millon, 1698, il jette le doute sur l’authenticité de l'Écriture et dans VAmyntor, 1699, qu’il écrit pour se défendre, devançant l'école de Tubingue, il répand sur les Évangiles canoniques l’ombre des apocryphes. Ses Lettres à Séréna, 1704, que traduira d’Holbach en 1768, sont pires encore. Il soutient dans la première, Origine et force des préjugés, que les prêtres trompent sciemment les peuples ; dans la seconde, que l’immortalité de l'âme et la vie future sont des dogmes » inventés chez les païens », à une époque tardive : les Égyptiens les ont professés tout d’abord ; dans la troisième, qu'à l’origine la religion était très simple, c'était la religion naturelle, mais « on l’a chargée de fables qui l’ont rendue mystérieuse, d’offrandes qui l’ont rendue lucrative, de sacrifices et de spectacles qui permirent aux prêtres de faire bonne chère ». En 1709, L' Adeisidœmon sioe Titus Liuius a superslitione vindicalus. Annexée sunt Origines judaïæ soutient que, < le mouvement étant essentiel à la matière », il ne saurait y avoir un Dieu, premier moteur. Les religions, la juive comme les autres, sont donc des inventions humaines et le Pentateuque n’est pas même un livre à prendre à la lettre : où il met le surnaturel, il n’y a que du très simple. Il attaquera de même les miracles de la Bible dans son Tetradymus, « les quatre jumeaux », 1720. Mais il ira plus loin encore. D’une part, dans le Nazarenus, 1718, trompé par une traduction apocryphe de l'Évangile dit de saint Barnabe, il soutient ce paradoxe que les musulmans ont du christianisme une notion plus saine que les chrétiens. Le véritable christianisme en effet est celui des ébionites et des nazaréens, où Jésus était représenté comme un simple homme et auquel l’islamisme a emprunté. D’autre part, dans le Panlheisticon, 1720, il aboutit au panthéisme le plus formel. Il avait combattu Spinoza : il le rejoint. C’est même lui qui met en usage le mot panthéiste. Le monde est comme un immense animal dont tout ce qui existe est une sorte d’organe. Toland dans son évolution avait ainsi touché à tous les thèmes dont vivra le déisme anglais.

b) Sha/lesbury. — Différent est Shaftesbury (16711713). Cet élève de Locke, correspondant de Bayle et protecteur de Toland, que Voltaire appellera cependant « l’un des plus hardis philosophes de l’Angleterre », Homélies prononcées à Londres, 1765, est un homme du monde. Aimant les stoïciens et Platon, il les concilie avec un christianisme large, quelque peu idéaliste. Luimême a réuni ses œuvres sous ce titre : Caractéristiques, 1713, 3 vol. in-8°. Se plaçant sur le terrain des principes, parlant plutôt sous une forme ironique, c’est au nom du scepticisme qu’il fait la guerre au christianisme et à l'Écriture. Protestant qu’il se soumet « aux opinions établies par la loi », il se réserve le droit de les juger intérieurement. Or, il n’accepte pas une religion fondée sur des témoignages historiques ou des spéculations métaphysiques ; il ne croit avec Locke qu'à l’expérience personnelle. D’autre part, il ne reconnaît pas au miracle une valeur démonstrative : la contemplation de l’univers est une preuve autrement convaincante de Dieu ; le miracle porterait plutôt à l’athéisme, puisqu’il suppose un Dieu corrigeant ce qu’il a fait. Enfin les auteurs des Livres saints ne sont pas inspirés autrement que ne le sont les autres écrivains. Leurs œuvres n’ont donc pas une valeur spéciale. D’autre

part, il était optimiste. La vie doit donner le bonheur. Comment ? Une condition est de ne pas prendre au tragique la religion, comme le font « ces prophètes français », les Camisards, réfugiés en Angleterre, et qui se livrent à de ridicules excentricités. Lettre sur l’enthousiasme, 1705. Dieu n’est pas le Dieu tragique du pari de Pascal, ni le Dieu injuste que suppose la prédestination, ou chargé de ressentiment que crée la crainte de l’enfer. Il n’oblige pas non plus les hommes à être des égoïstes, faisant le bien en vue de récompenses futures. Il faut sourire de ces imaginations ; faisons appel à notre raison et à l’expérience. Nous sommes portés à rechercher notre bonheur et aussi le bonheur des autres. Mais nous éprouvons encore des sentiments d’estime ou de mépris pour la beauté ou la laideur morales et ces sentiments sont accompagnés d’impressions de joie ou de déplaisir. Nous avons donc une sorte de sens moral du bien et du mal. La vertu consiste non dans la contrainte ou l’ascétisme, mais dans l’accord de notre amour du bonheur et de nos penchants bienveillants sous la direction de ce sens moral. La vertu ainsi entendue et le bonheur se confondent. Essai sur le mérite et la vertu. Diderot le traduira librement en 1745. Hutcheson dans ses Recherches sur l’origine des idées que nous avons de la beauté et de la vertu, 1725, a donné un tour plus systématique aux idées de Shaftesbury et ramené davantage la vertu au bien social.

c) Collins (1676-1729), reprend bien des idées de Shaftesbury, mais il réclame d’une façon plus pressante le droit à la pensée libre. C’est l’objet de son Discours sur la liberté de penser, 1713, d’où naquirent les mots de libre pensée et de Libres penseurs. Pour Collins, la lumière naturelle de la raison doit juger les vérités de la foi comme les autres. Il attaque l’autorité des Livres saints : leurs innombrables variantes, dit-il, les rendent « douteux autant qu’on veut l’imaginer ». Que l’on n’invoque pas les miracles en faveur du christianisme : les autres religions en invoquent également. Enfin dans les Discours sur les fondements de la religion chrétienne 1724, il s’attaque spécialement aux prophéties. S’il y en avait de véritables, dit-il, elles prouveraient l’origine divine du christianisme, mais il n’y en a pas. Il en étudie cinq ; il les discute et il conclut qu’on ne peut les prendre dans le sens prophétique qu’en les interprétant d’une manière allégorique et mystique. Enfin, dans des Lettres à Dodwell, 1707, — un théologien qui soutenait en 1706 que « l'âme est un principe naturellement mortel » et qu’avait combattu Clarke, — il montre l’union du matérialisme et du sensualisme. « La pensée étant une suite de l’action de la mal iére sur nos sens, c’est là une propriété ou affection de la matière, occasionnée par l’action de la matière, i

d) Thomas Woolston (1669-1731) aura ceci de spécial, qu’il interprétera d’une façon allégorique les miracles de l'Évangile, y compris la résurrection de Notre-Seigneur. Dans son premier ouvrage. L’ancienne apologie, 1705, il soutient que, si le christianisme est attaqué, c’est qu’on entend dans un sens littéral ce que l’on ne devrait entendre que dans un sens figuré, et il cite en exemple les miracles de l’Exode. Vingt ans plus tard, dans le Modérateur, où il se posait en médiateur entre Collins et ses adversaires, il soutenait que c’est par la seule interprétation allégorique des prophéties que l’on peut établir que le Christ est le.Messie, les miracles de Jésus, même sa résurrection pouvant être mis en question. De 1727 à 1729, en six Discours sur les miracles de Jésus-Christ, accumulant contre l’interprétation littérale des récits évangéliques concernant les miracles toutes les objections, parlant d’impossibilité, d’absurdité, il conclut : « L’histoire de Jésus-, telle qu’elle est racontée par les évangélistes, est une représentation emblématique de sa vie spirituelle dans l'âme de l’homme, et ses miracles sont les figures de ses