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RATIONALISME. LE XVIIle SIÈCLE. CARACTÈRES GÉNÉRAUX


8. La querelle des anciens et des modernes (16901720) : la nolion du progrès naturel indéfini. — Cette fameuse querelle où Fontenelle, Digression sur les anciens et les modernes, 1688, intervint aux côtés de Perrault, fut autre chose qu’une querelle purement littéraire. Elle traduit ce sentiment du progrès, qu’autorisaient les découvertes scientifiques et autres du temps, que Pascal exprimait déjà dans l’image bien connue : « Toute la suite des hommes doit être considérée comme un même homme… qui apprend continuellement », Fragment d’un traité sur le vide. Mais aussi ce sentiment de progrès, qui faisait descendre sur la terre l’objet de l’espérance chrétienne, se tournait contre la tradition et par conséquent contre le christianisme, l’homme, ayant pris confiance en ses facultés, a non seulement perdu le sentiment de la déchéance originelle, mais des limites et des contradictions de sa nature, sur lesquelles Pascal encore avait tant insisté. Et l’homme entend poursuivre ce progrès indéfini en dehors du christianisme et même contre lui. Tout cela est senti au moins confusément. Cf. H. Rigault, Histoire de la querelle des Anciens et des Modernes, Paris, 1859, in-8° ; A. Comte, Cours de philosophie positive, t. iii, 47e leçon ; Brunctière, L'évolution des genres, Paris, 1890, in-12, 4e leçon. Ce dernier

I signale comme conséquence de la querelle, « l’idée d’une certaine relativité des choses littéraires ». On verra plus loin l’idée de relativité s’introduire dans les questions de religion. Sur l’ensemble de cette période cf. Busson, op. cit. ; Coxirnot, op. cit ; A. Monod, l>e Pascal à Chateaubriand. Les défenseurs français du christianisme de 1670 à 1802, Paris, 1916 ; (i. I.anson, Origines et premières manifestations de l’esprit philosophique dans la littérature française de 1675 à 1748, dans Revue des cours et conférences, déc. 1907-avriI 1910 ; La transformation des idées morales et la naissance des morales rationnelles de 1680 à 1715, dans Revue du mois, janvier 1910 ; Questions diverses sur l’histoire de l’esprit philosophique en France avant 1750 dans Revue d’histoire littéraire, 1912 ; P. Hazard, op. cit., t.i ; D. Mornet, Les origines intellectuelles de la Révolution française, Paris, 1933.

V. Au xviii c siècle (1715-1815). Le philosophisme. — 1° Les principes et les caractères généraux du xviiie siècle ; 2° Première période, de 1715 à 1750 ; 3° Deuxième période, de 1750 à 1780 ; 4° Troisième période, de 1780 à 1815.

C’est vers 1750 seulement que se manifestera dans toute son étendue, sa force et son ardeur au combat Le philosophisme antichrétien du xviiie siècle. Mais, dès 1715, les principes du siècle sont fixés et ses caractères généraux.

1° Les principes et les caractères généraux du XVIIIe siècle.— 1. La souveraineté de la raison. — Ce mot, on l’oppose à préjugé, ignorance, crédulité, superstition, en réalité à la révélation et à l’autorité. Aucune conciliation mais une irréductible opposition entrela raison et la foi. Pas de « double vérité ». La raison décide. N’est-elle pas la lumière donnée par la nature ? « Partout où nous avons une décision claire et évidente de la raison, nous ne pouvons être obligés d’y renoncer sous prétexte que c’est une matière de foi. Nous sommes hommes avant d'être chrétiens. » Encyclopédie, art. Raison. « Qu’importe que d’autres aient pensé de même ou autrement que nous, pourvu que nous pensions selon les règles du bon sens. » Ibid., art. Philosophie. « Philosopher, c’est rendre à la raison toute sa dignité et la faire rentrer dans ses droits. » Ibid. « La philosophie consiste à préférer…la raison à l’autorité. » Ibid. On est loin du « Taisez-vous, raison imbécile ».

La foi en la raison remplace la foi en la révélation et enl'Église. La raison est commune à tous, puisqu’elle vient de la nature universelle : rien n’est hors de son domaine ; elle se suffit à elle-même : « il n’y a plus lieu

de parler des raisons du cœur », et pour qu’elle puisse prononcer en toute sécurité sur toute matière, il ne saurait plus être question de dispositions morales nécessaires au jeu de l’intelligence. « Toutes les sciences réunies, dit le Discours préliminaire de l’Encyclopédie, ne sont autres que l’intelligence humaine, toujours une, toujours la même, si variés que soient les objets auxquels elle s’applique. » Et cette raison souveraine, ce n’est pas la puissance spéculative qui édifie la métaphysique : Newton et Locke ont détrôné Descartes ; c’est le bon sens. Une chose est vraie qui est évidente pour le bon sens ou qu’a rendue évidente l’expérience. « Le philosophe… aime mieux faire l’aveu de son ignorance toutes les fois que le raisonnement ne saurait le conduire à la vraie raison des choses… Il ne se rend qu'à la conviction qui naît de l'évidence. » Ibid. « Le xviiie siècle, dira Brunctière, Histoire et littérature, a cru à deux choses : ayant nié ce qu’il y a de fixe et de solide, il a mis sa complaisance dans ce qu’il y a de plus trompeur et de plus changeant dans l’homme, l’expérience de l'œil et de la main, et dans ce qu’il y a de plus illusoire et de plus faillible au monde, la raison raisonnante. »

Ce principe a pour corollaire les droits absolus de la libre discussion et de l’esprit critique. Les dogmes que Descartes a soustraits soigneusement à son doute seront de toute nécessité soumis à la critique rationnelle. « Notre âge, écrira Kant, est vraiment l'âge de la critique ; rien ne peut échapper à son tribunal, ni la religion avec sa sainteté, ni le législateur avec sa majesté. »

2. La morale fixée par la raison pratique ou la conscience. L’hédonisme et la morale sociale. Le progrès moral lié au progrès de la raison. — La morale est indépendante de la religion, antérieure et supérieure à elle. « Toutes les nations civilisées s’accordent sur les points essentiels de la morale, autant qu’elles diffèrent sur ceux de la foi. » Encyclopédie, art. Morale. D’ailleurs les athées ne peuvent-ils pas être aussi vertueux que des croyants ? Enfin, « la foi tire sa principale sinon sa seule vertu de l’influence qu’elle a sur la morale ». Ibid. La crainte des sanctions annoncées par la religion peut en effet retenir dans le devoir ceux qui ne pensent pas. C’est donc la raison pratique ou la conscience individuelle qui fixe la loi morale. La vertu n’est autre chose que l’habituelle soumission à la conscience. « La grâce détermine le chrétien à agir ; la raison détermine le philosophe. » Ibid., art. Philosophie. Or, d’une part, la conscience éclairée par la nature invile l’homme a chercher le bonheur : « Le vrai philosophe ne se croit pas en exil en ce monde ; il veut jouir en sage philosophe des biens que la nature lui ofïre… Il n’est pas tourmenté par l’ambition, mais il veut avoir les commodités de la vie, …un honnête superflu. » l’as d’ascétisme. Suivre la nature ; obéir même à ses passions, mais soumises à la raison. « Les autres hommes sont emportés par leurs passions ; ils marchent dans les ténèbres ; …le philosophe, dans les passions mêmes, n’agit qu’après la réflexion ; il marche dans la nuit, mais un flambeau le précède. » Ibid. « L’homme est fait pour le bonheur et il n’est point vrai que l’homme passe infiniment l’homme. » D’autre part, il vit en société, c’est un fait ; quelle que soit l’origine de ce fait, « la raison exige du philosophe qu’il travaille à acquérir les qualités sociales. La société civile est, pour ainsi dire, une divinité pour lui ». Ibid. Il sait en effet que les autres hommes ont des droits qu’il doit respecter, s’il veut que ses droits soient respectés, et lui rendent des services qu’il doit reconnaître, s’il veut en profiter. En somme, l’homme n’a qu'à suivre sa na-' turc ; il n’a de devoirs pour le contraindre qu’envers ses semblables ; le droit de la nature s’arrête où commence le droit de la société. La loi morale est uniquement