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1733 RATIONALISME. LES PRECURSEURS DU XVIII* SIÈCLE 1734

naire historique et critique, 1697, « qui a peut-être été la plus grande œuvre de la première moitié du xviiie siècle » (D. Moinet, La pensée française au xviiie siècle, Paris, 1926), vaut à lui tout un groupe. Il ne formule pas une doctrine : il détruit en jetant le doute. Ses armes sont la critique rationnelle. « La raison, a-t-il écrit dans le Commentaire, est le tribunal suprême et qui juge en dernier ressort et sans appel. » Il ruine toute démonstration a priori des thèses métaphysiques, spiritualistes et religieuses, en montrant toutes les contradictions, les incertitudes de la raison quand elle s’attaque à ces problèmes, toutes les contradictions aussi des croyants, catholiques et protestants, qui ne cessent de se combattre. Sa tactique est celle-ci : il expose les thèses avec toute leurforec, puis il s’efforce d’y découvrir des contradictions philosophiques ou historiques, des impossibilités et les privant ainsi « de tout point d’appui dans la nature et dans la raison humaine, il les renvoie à la seule autorité divine ». É. Bréhier, loc. cit., t. ii, p. 300. Mais alors, interprétant les faits que lui fournissent l’expérience et son érudition qui est immense et ramenant le problème du christianisme à un problème historique, il ruine par le doute également les preuves externes de la croyance. Il est donc impossible, soutient-il, d’établir d’une façon incontestable : l’existence de Dieu, aux preuves de laquelle la raison peut opposer d’insolubles objections ; la providence — il y revient toujours — inconciliable avec la permission du mal et la liberté de l’homme, et par conséquent, l’incarnation et la rédemption : l’immortalité de l’âme : le péripatétisme, Pompanace l’a prouvé, ne l’établit pas et aux preuves de Descartes Gassendi a opposé une réplique que l’on n’invoque pas en faveur des dogmes ; le miracle : il y a affinité entre les miracles auxquels croit l’Église et les comètes au pouvoir de prédiction desquelles croit le vulgaire. En réalité, il n’est pas arrivé plus de malheurs que d’ordinaire dans les années à comètes. La croyance universelle n’y fait rien : c’est « une illusion… de prétendre qu’un sentiment qui passe de siècle en siècle ne peut être faux ». De même le miracle répugne à la raison. Rien n’est plus digne de Dieu que de maintenir l’ordre du monde. Que l’on n’invoque pas non plus en faveur des dogmes leur utilité morale. L’immoralité la plus flagrante ne se concilie-t-elle pas dans la pratique avec la religion et des athées ne sont-ils pas d’honnêtes gens ? C’est un fait. On peut concevoir d’ailleurs une société d’athées supérieure à une société de croyants : de véritables chrétiens ne formeraient pas un État qui pût subsister. « C’est que… les motifs religieux sont loin d’être nos seuls motifs d’action », Art. Sadducéens, rem. E., et la nature doit être réhabilitée. Dans le domaine moral et pratique, la raison, qui, dans l’ordre métaphysique, est impuissante, est pleinement et positivement souveraine. Elle pose, indépendamment de toute religion, la loi morale, éternelle qui fixe le bien et le mal, le vice et la vertu. Cette loi fait partie de notre nature. « S’il y a des règles certaines pour les opérations de l’entendement, il y en a aussi pour les actes de la volonté. Ces règles ne sont pas toutes arbitraires ; il y en a qui émanent de la nécessité de la nature. » La conscience est donc juge de la foi, juge de l’Écriture, dont bien des récits prouvent la relativité ; la morale est indépendante de tout credo, heureusement, car le christianisme est anti-social. D’une part, il a inspiré d’atroces violences ; d’autre part, il a livré ses tenants sans défense. Enfin, comme les passions, non les idées, conduisent les hommes, dit-il, il faut réhabiliter les passions.

Bayle, on le voit, fut non pas un sceptique mais un rationaliste, plus près de l’athéisme que du déisme. Cf. J. Delvolvé, Essai sur Pierre Bayle (religion, critique et philosophie positive), Paris, 1919 ; L. Lévy Bruhl, Les tendances générales de Bayle et de Fontenelle, dans Bévue d’histoire de la philosophie, janviermars, 1927 ; Ducros, Les Encyclopédistes, 1900 ; Bruneti ^re, Études critiques, v.

Une société de vrais chrétiens, avait dit Bayle, ne saurait subsister, étant donné l’état présent du monde, sans le luxe et le vice. L’idée fut reprise par Mandeville, 1670-1733, dans la Fable des abeilles, publiée d’abord en 1705, puis en 1716 et en 1723, accompagnée alors de Hemarques, en tout 2 vol. in-8°. Des abeilles prospèrent parce que vicieuses ; elles deviennent vertueuses : c’est la misère et la dispersion. « L’orgueil, source des dépenses, est une source de félicité publique ; l’envie et la vanité sont des ministres de l’industrie ; la frugalité n’est pas autre chose qu’une suite de la pauvreté. » Il y a donc accord parfait entre l’égoïsme naturel et l’utilité sociale. Le Mondain de Voltaire répondra au mondain dont Mandeville dessine le portrait et montre l’utilité sociale. Cf. A. Morize, L’apologie du luxe au xviir siècle. Le Mondain et ses sources, Paris, 1909.

4. Fon.ten.elle : lu notion de loi et le déterminisme. — -Fontenelle (1657-1757), auteur d’une tragédie, deDi’alogues des morts, d’Opéras, de Pastorales, sans grande valeur, publia en 1686 une œuvre de vulgarisation scientifique dans le goût du temps. Entretiens sur la pluralité des mandes ; en 1687, son Histoire des oracles. Secrétaire de l’Académie des sciences de 1697 à 1740, il donnera une Histoire de V Académie royale des sciences depuis le règlement fait en 1699 et des Eloges historiques des Académiciens de 1708 à 1739. Son Histoire des oracles, suite des Pensées sur la comète, émut beaucoup le monde chrétien. Ces l’ères de l’Église, estimant que les oracles païens étaient rendus par les démons et qu’ils avaient cessé a la venue du Christ, avaient tiré de ce fait un argument en faveur du christianisme. Mais, en 1683, le Hollandais, Van Dale, De oraculis veterum ethnicorum dissertationes duo, Amsterdam, avait soutenu que les oracles anciens étaient une imposture des prêtres et avaient cessé non à l’apparition du Christ, mais sous les empereurs chrétiens. Fontenelle, le Cydias de I.a Bruyère, avait repris ce livre très lourd pour en faire une œuvre très claire. La thèse des Pères, soutient-il, est une explication commode des miracles du paganisme, mais par là même elle est suspecte. La vérité est que les oracles n’ont point cessé à l’avènement du Christ. Ils n’avaient même pas à cesser, n’étant que des impostures sacerdotales, Lt une assimilation s’insinue tout le long du livre entre le christianisme et les religions antiques. Et ainsi, non seulement est enlevé à l’apologétique un de ses arguments et atteinte l’autorité des Pères, mais l’action de Dieu dans l’histoire est niée : donc ni prophéties, ni miracles, ni surnaturel : niée aussi l’existence des démons, assimilés les prêtres chrétiens aux prêtres païens, les fidèles à des dupes et encouragé l’esprit de critique. Mais plus grave peut-être est la leçon qui découle de la Pluralité des mondes et de l’œuvre scientifique de Fontenelle. Cartésien convaincu, il voit le monde soumis à un unique système de lois et la connaissance du monde pouvant être ramenée à une science unique de forme déductive. Évidemment on est loin de cela, mais l’on y tend. C’est la loi de l’esprit humain, dit Fontenelle, de chercher, dans le connu, l’explication de l’inconnu. Les mythes, les fables ne sont que cela. A mesure que l’homme connaîtra mieux les faits, à mesure ses explications entreront dans la science. On peut même concevoir une histoire a priori, où, de la nature humaine scientifiquement connue, on pourra déduire les faits historiques à venir. Fontenelle a l’idée complète du déterminisme. Cf. Maigron, Fontenelle, 1906 ; Laborde-Milaa, Fontenelle, 1905 ; Faguet, Dix-huitième siècle ; Brunetière, Éludes critiques, v ; Fontenelle, Œuvres,