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1725 RATIONALISME. LA PRÉPARATION DU XVIIie SIÈCLE 1726

1. Descartes (1596-1650) et le cartésianisme. — Depuis Huet, Censura philosophiæ carlesianæ, 1689, et Alnetanee quæstiones sive de concordia rationis et fldei, libri III, 1690, et depuis Bossuet qui écrivait à ce même Huet, le 18 mai 1689 : « Ce que je pense de la doctrine de Descartes ? Il y a des choses que j’improuve fort, parce qu’en effet je les crois contraires à la religion t, cf. Brunetière, Études critiques, 5e série, Jansénistes et cartésiens, p. 176 sq., jusqu’à nos jours, personne — à l’exception de L. Dimier, Descartes, 1917, p. 303, qui apporte des réserves — ne croit pouvoir nier que le philosophisme et par conséquent le rationalisme contemporains se rattachent au cartésianisme. Pourtant, quoi qu’en aient dit après sa mort quelques-uns de ses contemporains et récemment M. Leroy, Descartes, le philosophe au masque, Paris, 1929, 2 vol., Descartes n’est pas un libertin qui, par crainte des sanctions ecclésiastiques et civiles, cache son incrédulité, ni, quoi qu’en ait dit C. Adam, Vie de Descartes au t. xii et dernier de l’édition Adam-Tannery des Œuvres de Descaries, 1897-1910, 12 vol. in-8°, p. 553, un catholique « demeuré de la religion de sa nourrice », parce que « c’était là quelque chose d’extérieur qui tenait surtout aux circonstances et ne valait pas la peine qu’on en changeât ». Sans doute, il ne fut pas « un saint qui n’est que dévotion », comme dit le même M. Leroy, résumant le livre d’A. Espinas, Descartes et la morale, Paris, 1925, 2 vol. ; il scandalisa même des catholiques en allant vivre en Hollande, 1628-1649, cf. G. Cohen, Écrivains français en Hollande pendant la première moitié du.xviie siècle, Paris, 1920, p. 357-692 ; il en irrita quelques autres par ses attaques contre la scolastique ; mais, s’il fut un croyant banal en regard de Pascal, il fut néanmoins un croyant sincère. Au début, dès 1626, il donna même à ses travaux un but apologétique et si, suivant le mot de L. Blanchet, Les antécédents historiques du : Je pense donc je. suis, Paris, 1920, « les projets du savant prirent bientôt le pas sur les visées de l’apologiste », jamais, il n’écrivit rien que pussent condamner les théologiens

— on sait le soin avec lequel il leur soumit ses Médilaiioncs de prima philosophia, in quibus Dei exislenlia et animæ immortalitas demonslrantur, 1641, par crainte sans doute après la condamnation de Galilée, mais aussi par conviction sincère. Évidemment, il ne philosophe pas en tant que croyant ; mais, comme il se refuse à « la sceptique chrétienne », qui, exagérant la défiance envers la raison en choses de foi, détourne la religion de la pensée et lui confie la direction de la vie, comme il se refuse à la théorie de la double vérité, convaincu qu’entre la foi et la raison bien conduite

— sa philosophie par conséquent — il ne peut y avoir de conflit, « il ne lui déplaît pas de penser que son système philosophique… donnera à la foi une précieuse confirmation. Il fait même de la philosophie la préface de la théologie… en ce sens qu’il met Dieu au point de départ de sa physique ; sa mathématique est interdite aux athées ; sa métaphysique prouve l’existence de Dieu d’une manière aussi certaine que 2 fois 2 font 4°. H. Gouhier, La pensée religieuse de Descartes, Paris, 1924, p. 235. Elle montrait aussi que l’âme, pensée, et le corps, étendue, étaient irréductibles l’un à l’autre. La philosophie de Descartes apportait donc à la religion un précieux appui contre les libertins sceptiques et négateurs. Or, au premier moment, cela passa inaperçu ; on se passionna pour des questions de détail, les tourbillons, les animaux-machines, mais l’influence profonde fut restreinte. Cinquante ans plus tard, tout est changé : le cartésianisme travaille en faveur du rationalisme. On a rejeté la métaphysique cartésienne — on sait les critiques qu’en formulait déjà Pascal — mais on a gardé la méthode du cartésianisme et ses tendances favorables au rationalisme.

Descartes, dira Fontenelle, « a amené cette nouvelle manière de raisonner beaucoup plus estimable que sa philosophie même ». Cf. P. Hazard, op. cit., p. 171-173. Non seulement, le cartésianisme a achevé de discréditer les arguments et les positions traditionnels des théologiens, mais son esprit est la confiance en la raison. Cette confiance, Descartes ne la créa pas sans doute, cf. G. Lanson, Le héros cornélien et le généreux selon Descaries, dans Revue d’histoire littéraire, 1894, p. 397, mais il a fait de la raison l’instrument unique de la connaissance certaine, l’instrument tout-puissant du progrès indéfini. Et, comme les vérités de la foi sont d’un autre ordre, il s’ensuit qu’elles sont rejetées du nombre des vérités certaines : leur acceptation ne dépendra que de la volonté. D’autant plus que, par respect plus encore peut-être que par crainte, Descartes les a mises lui-même en dehors de son doute. Même conclusion de son principe de l’unité de la science, de la méthode, laquelle a sa première application dans les mathématiques, et de cet autre que l’évidence est dans l’idée claire et distincte. Il n’y a plus de préparation rationnelle à l’acte de foi. Par ailleurs, le doute méthodique, qui n’est pour Descartes qu’un procédé, faisait appel à l’esprit de libre examen et de critique. Reste sa conception mécanique du monde, où tout, jusqu’à l’animal, devient machine. Dans ce monde, Pascal le signalait déjà, il n’y a plus de place pour la providence particulière et Dieu, vraiment le Dieu des philosophes et des savants, n’est plus que l’explication de l’ordre universel. Sa morale enfin est une sagesse purement humaine. D’abord donnée comme une « morale par provision », Discours sur la méthode, 1037, IIIe partie, puis comme définitive, Lettres <i la princesse Elisabeth, Correspondance avec Chanut, Traité des passions, reposant sur une conception raisonnée de l’homme eu tant qu’homme, à travers Charron, du Vair, Montaigne même, elle rejoint les morales antiques. Elle est en somme une morale du bonheur et île la tranquillité. Étudiant l’homme du point de vue social, elle lui commande le conformisme social et le juste milieu, un pur relativisme donc ; l’étudiant en lui-même, elle lui commande la constance dans la volonté : une fois une décision [irise, s’y tenir ; la modération dans les désirs et la soumission aux choses, puisqu’elles sont réglées par l’ordre du monde. Cf. P. Mesnard, La monde de Descartes, Paris, 1936, in-8°, et sur Descartes en général .1. Chevalier, Descartes, Paris, 1921 ; G. Sortais, op. cit., t. iii, 1929 ; Larberthonnière, Éludes sur Descartes, 2 vol. in-8°, Paris, 1935 ; G. de Giuli, Carlesio, Florence, 1933 ; Louis Berthé de Bésaucèle, Recherches sur l’influence de la philosophie de Descartes dans l’évolution de la pensée italienne aux dix-septième et dix-huitième siècles, Paris, 1920 ; M. Nicholson, The early stage of Cartesianism in England, dans Sludies in philology, t. xxvi, 3 juillet 1929.

2. Spinoza (1632-1677) « le premier qui ait réduit l’athéisme en système », dépasse de beaucoup Descartes — à qui le rattachent certains caractères ; cf. P. Lachèze-Rey, Les origines cartésiennes du Dieu de Spinoza, 1932 — dans ses ouvrages, dont les principaux sont le Tractatus theologico-polfticus, 1 [ambourg, 1670, in-4°, et VEthica ordine geomelrico demonstrata, qui parut dans les Opéra posthuma, ibid., 1677. Cf. délivres de Spinoza, traduction Saisset, l’aris, 1870, 3 vol. in-12 ; traduction Ch. Appuln, Paris, 1904, 3 vol. in-8° ; Spinoza Werke, édition Gebhardt, Heidelberg, 1923, 4 vol. in-8°. Juif élevé dans toutes les traditions de sa race, ayant traversé des milieux chrétiens, surtout ceux affranchis de la théologie et animés de l’esprit socinien, connaissant la physique et la philosophie de Descaries, ’Spinoza a fait une critique destructrice des religions révélées. Il n’y a pas d’autre révélation que la lumière naturelle de la raison. La Bible n’est donc pas l’exprès-