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RATIONALISME. L’ITALIE DU XVie SIÈCLE


comme d’ailleurs l’âme humaine et l’âme de tous les êtres, sont des individuations de l’âme universelle grâce à la matière qui est « étendue ». Mais, tandis que, dans les âmes célestes, « la participation au divin est éternelle au même titre que la chose qui y participe », dans le monde sublunaire, les genres et les espèces jouissent seuls de la pérennité. L’âme humaine toutefois est proprement immortelle, grâce à sa puissance de concevoir l’universel puisque l’intellect agent s’assimile à Dieu. Césalpin admet aussi l’existence de démons, esprits privés d’un corps mais agissant néanmoins sur la nature par des moyens pris dans cette nature elle-même. La magie serait l’art de leur fournir ces moyens ou de les leur ravir. Cf. Charbonnel, op. cit., p. 100-101, 299-302 ; M. Derolle, Questions péripatéticiennes par A. Césalpin, traduction et introduction, Paris, 1929.

b) Vanini. — Pompeio Ucilio Jules-César Vanini (1586-1619) est le dernier disciple de l’école de Padoue. Ce Napolitain d’esprit souple, carme, théosophe et astrologue, péripatéticien selon Pomponazzi qu’il proclame son maître, familier du Louvre, dont on connaît les pérégrinations, l’apostasie en Angleterre, le retour en France comme catholique martyr de sa foi et la fin tragique, et qui aurait beaucoup écrit, si on l’en croit, a laissé deux livres : d’abord V Amphitheatrum leiermv providenlise, divino-magicum, cliristianophysicum, astrologico-calholicum adversus veteres philosophos, alheos, epicureos, peripaleticos, stoicos, etc., Lyon, 1615, in-12, qu’il écrivit pour se concilier les jésuites et par eux obtenir le droit de vivre en France, après son apostasie en Angleterre. Non sans de multiples attaques contre les idées et les méthodes scolastiques, « chimères nées de l’ignorance et nourries d’obstination », saint Thomas compris, il affirme : Dieu, non pour « la nécessité d’un premier moteur » — il n’accepte pas cette preuve aristotélicienne — mais parce que des êtres finis et contingents supposent un être infini et éternel ; la création : le monde, fini, n’est pas éternel, quoi qu’en disent Démocrite et certains commentateurs d’Aristote ; la providence : incorporel, donc intelligent, Dieu créateur a, de toute éternité, réglé toutes choses. Pour finir, Vanini proteste de sa soumission au jugement de l’Église. La censure ne trouva rien à blâmer dans ce livre, où, cependant, tout en réfutant, et parfois vigoureusement, les objections de Diagoras, de Protagoras, de Cicéron, contre la providence, il semble se complaire à les mettre en pleine lumière.

L’autre livre est intitulé : Julii Cœsaris, (heologi, philosophi et juris utriusque doctoris, de admirandis naturæ, reginas deseque morlalium, arcanis, libri quatuor, ou simplement Dialogues, Paris, 1616, in-12. Ce livre et le précédent, sous le titre A’Œuvres philosophiques de Vanini ont été traduits pour la première fois en français par X. Rousselot, Paris, 1842, in-12. Les Dialogues livrent la vraie pensée de Vanini, qui y affirme (trad. Rousselot, p. 426), « avoir écrit beaucoup de choses dans l’Amphithéâtre auxquelles il n’ajoutait pas la moindre foi ». Aucun doute n’est permis sur cette pensée : « Nous avons lu ce livre d’un bouta l’autre avec attention, écrit Cousin, et, dans l’ensemble comme dans le détail, dans le ton général comme dans les principes, nous le trouvons… coupable, envers le christianisme, envers Dieu, envers la morale. » Vanini. Ses écrits, sa vie et sa mort, dans Revue des Deux-Mondes, 1843, t. iv, p. 699 sq. Dans ces Dialogues, où, comme déjà le remarque Descartes, cité par Cousin, ibid., l’objection de l’athée annule la réponse, le monde est donné comme éternel, nécessaire, vivant de sa propre vie, Dieu, en quelque sorte ; il est gouverné par ses propres lois, les lois de la nature, « reine et déesse ». Qu’est-ce que l’âme ? Si Vanini

n’ose soutenir ouvertement « qu’esprit vient de respirer et que respirer est un phénomène qui tient fort à la matière », car il a fait vœu, dit-il « de ne pas traiter cette question, avant d’être vieux, riche et Allemand », Dialogues, p. 492, du moins sa pensée est claire. D’ailleurs, la vertu et le vice sont non les fruits de notre liberté mais les fruits nécessaires de la nourriture, « les esprits animaux dépendant d’elle, les esprits animaux étant les instruments de l’âme, et tout agent opérant conformément à son instrument », ibid., p. 147 ; du climat, du tempérament hérité, et surtout des astres. Il n’y a d’autre loi morale que celle de la nature ; les autres sont les inventions intéressées des princes et des prêtres. Jésus-Christ n’est qu’un habile : on le voit à ses réponses à propos de la femme adultère, du tribut à César… Que l’on n’invoque point ses miracles : des miracles, les religions païennes en invoquent tout autant et il n’y en a pas, au sens strict du mot : tous sont ou des impostures ou les effets de puissances occultes mais naturelles. Ibid., p. 227. Au reste, le christianisme n’a rien de divin : il est né à l’heure marquée par la conjonction de Jupiter avec le soleil. Ibid., p. 218. Cf. Charbonnel, loc. cit., p. 302-383.

c) Le courant issu de la Réforme. — Mais déjà deux courants se mêlaient au padouan et emportaient les esprits vers la religion naturelle, telle que vont la comprendre les modernes : le protestantisme et le progrès scientifique.

Après une alliance de courte durée, les humanistes et les réformateurs s’étaient opposés, ceux-ci reprochant à ceux-là de s’en remettre à la nature humaine et de faire mésestimer la révélation et la rédemption. Mais, sous l’influence du principe qu’a posé la Réforme de la libre interprétation de l’Écriture — dont Luther et Calvin se sont efforcés de limiter les effets, en proclamant « orthodoxes », c’est-à-dire, exigées par la pensée même du Christ, d’essentielles doctrines traditionnelles, car ils sentent bien que c’en est fait de toute croyance, si, après avoir anéanti l’autorité de l’Église, on laisse les livres saints au libre examen — l’on voit alors apparaître, après les anabaptistes et les mystiques à eux apparentés, héritiers des mystiques allemands des xme et xive siècles, que Calvin appelle « la secte fantastique et furieuse des libertins dits spirituels », cf. ici t. ix, col. 703-705, les achristes, qui, venus de la Réforme, interprétant l’Écriture à leur fantaisie, ou même en niant l’inspiration, ressuscitent l’antitrinitarisme ou l’arianisme. Ils rejoignent ainsi le rationalisme existant et lui donnent un nouvel aspect.

a. Le prophète de la libre interprétation est alors Caslellion (1515-1563). Passé jeune de l’humanisme à la Réforme, élève de Calvin à Strasbourg en 1540, directeur du collège de Genève, il devenait vite suspect au réformateur qui l’écartait du ministère paroissial. Se basant en effet sur le droit proclamé du libre examen, il refusait de reconnaître pour inspiré le Cantique des cantiques et pour article de foi la descente du Christ aux enfers. Il dut quitter Genève. Il fut le principal rédacteur de l’ouvrage paru en 1554 sous le pseudonyme de Martin Ballie, intitulé, en latin : De hærelicis, an sinl persequendi, Magdebourg (Bàle) ; en français : Traité des hérétiques, ù savoir si on doit les persécuter, Rouen (Lyon), où, à propos du supplice de Servet, 27 octobre 1553, il soutient la thèse de la liberté absolue des croyances. D’après l’Évangile, dit-il, ce qui fait le chrétien, ce ne sont pas les croyances positives mais l’esprit. Nul ne doit donc être puni pour ses croyances. Dans un ouvrage non publié, De arte dubilandi, il soutiendra le principe fondamental du futur protestantisme libéral : la règle dernière des croyances est la raison individuelle. « C’est… de la lettre des textes à la raison que Jésus-Christ amène les hommes, dira-t-il, comme plus tard saint Paul les renverra à la