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RATIONALISME. L’ITALIE DU XVI* SIÈCLE


dire tout ce qu’il pense, c’est-à-dire, presse Rabelais d’exprimer sans réserve l’idée qu’il a du christianisme. Mais J. Delaruelle, dans un article de la Revue d’histoire littéraire, janvier-mars 1925, p. 1-23, intitulé : Étude sur le problème du Cymbalum mundi, n’admet pas cette interprétation. Pour lui, le Cymbalum est « l’œuvre d’un aimable esprit qui n’a eu en l’écrivant aucun dessein pernicieux ». Sans doute, des Périers s’est moqué des moines, de certaines pratiques religieuses, mais quel est l’humaniste qui n’a pas fait cela ? Il n’y a qu’un endroit « où la satire indique un dessein suivi » ; c’est dans le dialogue second, les passages où Mercure démontre à Rhetulus (Luther) la vanité de ses prétentions réformatrices. « Le Cymbalum n’est donc pas un « monstre » qui ait, du premier coup, révolté à la fois catholiques et protestants. Il a dû trouver de l’écho chez tous ces laïques éclairés qui ne voulaient pas quitter les pratiques de leurs frères et qui voyaient dans les chefs luthériens des novateurs dangereux. » La Sorbonne lui paraît avoir jugé comme lui, à l’apparition du livre, puisqu’en le condamnant, elle déclara qu’il ne contenait pas « d’erreurs expresses ». En tous cas, un écrivain autrichien, Ph. A. Becker, dans son Bonaventure des Périers als Dichler und Erzâhler (publié en 1924 dans les Silzungsbericlite de l’Académie de Vienne, t. ce, arrive aux mêmes conclusions que lui. Cf. Busson, loc. cit., p. 193-201, 374-375. Sur la vie de des Périers, voir A. Chenevière, op. cit.,

3. Etienne Dolet (1509-1546), élève des Padouans mais aussi des Anciens — - « il est le chef du cicéronianisme français », Busson, loc. cit., p. 121 — et qui appartint successivement aux groupes humanistes de Toulouse et de Bordeaux, se posa, dès 1533, à Toulouse, en défenseur des droits de l’intelligence et du savoir en face de ce qu’il jugeait l’intolérance et la crédulité. Cf. St. Doleti oraliones in Tholosam, ejusdem epistolarum libri duo, s. 1. (Lyon, 1531). De bonne heure, donc, il eut une réputation d’impiété et Calvin dans le passage déjà cité dira : Dolelum et similes vulgo nolum… Evangelium semper fastuose sprevisse. Dans son De imilatione ciccroniana, Lyon, 1535, il affirme qu’aux yeux de beaucoup, à la suite des discussions religieuses, les dogmes, tels ceux de la providence et de l’immortalité, ont perdu toute valeur. Si maintenant l’on ouvre ses deux livres Commentariorum linguælalinæ, Lyon, 1535 et 1536, 2 vol. in-f°, où il fait un commentaire de chaque mot, l’on voit au mot Fatum, par exemple, qu’il est bien de ceux qui ne croient plus à la providence. Le monde est un enchaînement nécessaire de causes et d’effets et il n’y a pas de place ici pour le miracle. La vraie paix de l’âme est de voir les choses sous cet aspect. Il n’est pas athée cependant ; il croit en un Dieu indifférent. Croit-il à l’immortalité de l’âme ? Il ne semble pas. C’est d’ailleurs à propos de cette question qu’en raison de sa traduction du dialogue Axioclius, faussement attribué à Platon, Lyon, 15 44, on l’accusa de nier l’immortalité. Comme il avait imprimé et vendu à Lyon des livres proscrits et comme, l’année précédente, il avait déjà été condamné pour crime de droit commun, mais gracié par François I or, tout permit cette fois d’en finir avec lui. Il fut en somme un libre-penseur à la pensée parfois flottante. Cf. J. Boulmier, Esiienne Dolet. Sa vie, ses œuvres, son martyre, Paris, 1857 ; B. Coplet Christ ie, Etienne Dolet, martyr de la Renaissance (traduction Stryenski), Paris, 1886 ; Galtier, Etienne Dolet, sa vie, son œuvre, son caractère, ses croyances, in-12. Paris, 1907.

4. Quelques noms moins importants sont à citer : Antoine Govéan qui enseigna la philosophie à Paris en 1541 et 1542 et qui fut choisi avec Vicomcrcato pour défendre Aristote contre Bamus. Calvin le cite avec Babelais et des Périers comme étant passé au ratio nalisme après avoir goûté à l’Évangile ; cf. Mugnier, Antoine Govéan, professeur de droit, Paris, 1901, et I tusson, loc. cit., p. 114-116. — Briand Vallée, président au tribunal de Saintes, puis conseiller à Bordeaux, ami de Govéan, que celui-ci accusera d’athéisme. Id., ibid. — Sadolet, né à Modène, que Léon X nommera en 1517 évêque de Carpentras, qui sera cardinal en 1536 et qui publiera un traité De liberis recle instituendis, Lyon, 1532, et Plucdrus, sive de laudibus philosophiæ libri duo, Lyon, 1538. Il écrira dans ce dernier livre : « La raison est notre maîtresse et notre reine ; tout ce que nous sommes, nous le devons à la raison, en sorte que la raison est tout l’homme. Comme le propre objet est de rechercher la vérité et que la vérité est surtout dans les choses religieuses, la recherche des vérités religieuses appartient à la philosophie. » P. 640 et 652. Id., ibid., p. 105-109.

5. Les adversaires.

Cette philosophie qui oppose les solutions de la raison aux solutions de la foi et même la raison à la foi, a tellement pénétré les esprits que les croyants eux-mêmes s’en inquiétaient. Ou bien comme Postel (1510-1581), dans son De ralionibus Spirilus sancti libri duo, Paris. 1542, in-8° et surtout dans son De orbis terræ concordia liber primus, 1542 ? et De orbis terræ concordia libri quatuor, in-8°, Bàle, 1544, ils soutiennent que, la raison étant la voix de Dieu en nous, les vérités de la religion loin de lui être opposées sont au contraire démontrées par elle. Sur Postel, voir ici, t. xii, col. 2658-2662, et Busson, loc. cit., p. 288296. Ou bien, considérant que l’incrédulité s’autorise du nom d’Aristote, qu’en s’appuyant sur ce philosophe, saint Thomas en conséquence s’est trompé et qu’Aristote conduit tout droit à nier les dogmes, ils s’attaquent au Stagirite. Ainsi Bamus (1515-1572), qui, dans sis Animadversiones in Dialecticam Arislotelis et ses Dialecticæ insliluliones, 1543, inaugure contre Aristote et son influence philosophique une lutte fameuse au profit du platonisme. Voir son Pro philosophica Parisiensis Academiæ disciplina, Paris, 1551, in-8° ; sa Prœfalio physica 7 a, en tête des Scolarum physicarum libri oclo, 1565, sa Præfalio physica II*, en tête des Scolarum metaphysicarum libri qualuordecim, 1566, après son Somnium Scip’ionis… explicatum, Lyon, 1556, et où il aura en face de lui P. Gallain, professeur au collège de France, voir son Pro scola parisiensi contra novam academiam P. Rami oralio, Paris, 1551, in-8°. Ainsi encore Vicomercato. Sur Bamus, cf. Waddington. De Pclri Kami vila, scriptis, philosophia, Paris, 1848 ; Lefranc, Le Collège de France, 1893 ; A. Darmesteter et A. Hatzfeld, Le XVIe siècle en France, Paris, 1887, p. 14 sq., et Gassendi, Exercitaliones peripatetiese adversus Aristotelem, Paris, 1624, Préface. — Enfin certains abandonnaient la raison, passaient aupyrrhonisme et se réfugiaient dans le fidéisme. Bunel, Reginald Pôle commenceront ; les controverses entre philosophes, l’exaltation de la foi par le calvinisme, achèveront de pousser les esprits dans cette voie. Cf. Busson, op. cil.

La seconde partie du siècle.

1. En Italie. —

a) André Césalpin (1519-1603), discute les mêmes questions que les Padouans et dans le même esprit. Dans ses Quæsliones peripaleticæ et Dœmonum invesligalio, Florence, 1569 et 1580, en effet, à l’abri derrière cette idée qu’il développe la pensée même d’Aristote — et non, comme les scolastiques, cette pensée ordonnée à la théologie — il expose ainsi la question des rapports de Dieu et du monde : le monde est éternel et tout y est régi par la nécessité. Dieu, intelligence première, est le premier moteur. Par son seul attrait, il imprime aux sphères célestes, par l’intermédiaire des intelligences qui en sont L’âme, un mouvement nécessaire qui passe des cicux aux éléments (Bayle rapprochera pour ces vues Césalpin de Spinoza). Ces intelligences,