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RATIONALISME. L’ECOLE DE PADOUE


ser de la puissance à l’acte. Ce Dieu est vraiment le Dieu « des philosophes et des savants ». Après cela, peut-on parler encore de la providence ? De la providence générale, peut-être, à la condition de ne pas serrer de trop près la question. De la providence particulière, assurément non : dans le monde ainsi conçu, quelle place pourrait-il y avoir pour le miracle et même pour la prière ? D’autant plus que, dans leur désir d’expliquer naturellement toutes choses, les I’adouans invoquent l’influence des astres et des forces occultes : l’astrologie et la magie sont des pièces essentielles de leur système philosophique. Il y a, disent-ils, des forces mystérieuses ; qui les connaît obtient des effets merveilleux. Et comme l’homme est un microcosme, en lui peuvent se retrouver les mêmes forces mystérieuses. Bien mieux : par son imagination, il est lui-même une force qui peut agir sur la nature. D’autre part, ils distinguent avec Aristote le monde céleste, au centre duquel est Dieu, et distribué en plusieurs sphères commandées chacune par une intelligence ou par une force mue elle-même par l’appel de l’Absolu, et le monde sublunaire qui subit lui aussi l’attrait de l’Absolu, mais par l’intermédiaire de ces intelligences et de ces forces, si bien que tel homme agit sous l’influence de tel astre qui met en branle son activité, tel grand événement surgit dans la conjonction de tels astres : ainsi l’apparition d’un fondateur de religion, ainsi tel prodige. Les mouvements des astres expliquent même les révolutions des empires et leurs alternances de grandeur et de décadence. Cf. Ragnisco, Carattcre délia filosopa palavina, dans Alti del Istiluto Veneto, t. v, ser. vi, disp. 3, 1886-1887 ; Charbonnel, La pensée italienne en France au a y i° siècle et le courant libertin, Paris, 1 919 ; H. Busson, Les sources et le développement du rationalisme dans la littérature française de la Renaissance, Paris, 1922, et Rabelais et le miracle, dans Revue des cours et conférences, 1929, p. 385-400.

2. Principaux représentants.

a) Le prophète principal de ce rationalisme est le professeur de Padoue, Pietro Pomponazzi (1462-1525). Il n’est pas un philosophe de premier plan, mais, par l’intermédiaire des étudiants qu’il attire, il exercera une incroyable influence en France comme en Italie. Cf. L. Picot, Les Français italianisants au XVIe siècle, Paris, 1906-1907 ; Busson, loc. cit., c. iii, iv, v. Il consacre à la question de l’âme son fameux traité De immortalitate animée, Bologne, 1510, dont il faut rapprocher les deux livres où, en 1520, il justifie ce traité du reproche d’incrédulité que lui ont adressé Contarini et Niphus : Apologia adversus C.onlarinum et Defensarium adversus iXiphum, ainsi que son De nutritione et auctione, Bologne, 1521. Il y rejette comme nedum in se falsissima, verum inintelligibilis et monstruosa l’opinion d’Averroés que soutient son collègue Achillini († 1512). Mais, s’il juge concluants les arguments de saint Thomas contre Averroës, il n’admet point avec saint Thomas une pluralité d’âmes immortelles. Sans se prononcer très nettement, et pour cette raison que la pensée ne pouvant s’exercer sans images est liée au corps, il penche pour la solution d’Alexandre d’Aphrodisias que l’âme est matérielle et mortelle. Voir dans Charbonnel, loc. cit., p. 245-249, et p. xxxii-xxxix, la controverse élevée entre les deux historiens italiens Fîorentino et L. Ferri, le premier soutenant que Pomponazzi est matérialiste, le second qu’il s’en tient au doute. Pomponazzi insiste sur ce point que les preuves morales et sociales de l’immortalité de l’âme lui paraissent sans valeur pbilosophique. 1. Preuve par le consentement universel. Des masses d’hommes peuvent être dans l’erreur. Des trois religions, judaïque, musulmane et chrétienne, deux au moins ne sont-elles pas fausses ? (L’on voit, ici pourquoi Pomponazzi figure parmi les auteurs des Trois Imposteurs. ) Ce n’est pas sans raison d’ailleurs que la

croyance à l’immortalité est née et a vécu : les chefs des peuples, avaient tout intérêt à l’insinuer et à la conserver. 2. Preuve par la nécessité des sanctions de l’au-delà. Philosophiquement, l’homme n’a pas à chercher un idéal et un bonheur qui le dépassent. Qu’il accomplisse sa tâche humaine : là est un bonheur dans la logique de sa nature. D’ailleurs agir pour une récompense ou par crainte d’un châtiment venant du dehors est irrationnel. La vertu est à elle-même sa récompense et le vice à lui-même son châtiment. Ainsi, après avoir séparé la raison de la foi spéculative, il sépare la religion de la raison pratique et appelle une morale sinon sans obligation du moins sans sanction.

Son De Fato, qu’il date du 25 novembre 1520, examine la question du libre arbitre en face de la providence et de la prédestination. Comment les concilier ? A la manière d’un Bayle, il expose les solutions proposées, les objections soulevées et finalement se rallie au déterminisme stoïcien qui soumet toutes choses à la loi de cette nécessité interne que crée Dieu, âme du monde. Cette solution explique, mieux que toute autre, l’enchaînement nécessaire de causes et d’effets qu’offre la nature. Si l’on objecte : Dieu est donc l’auteur du mal ; que l’on y réfléchisse : le Dieu stoïcien est impersonnel et, dans l’ordre universel, le mal est comme la rançon du bien. Seulement le stoïcisme se heurte à ce fait que nous sommes libres. Force nous est donc de regarder ailleurs et, dans la carence d’une solution rationnelle indiscutable, d’accepter les solutions de la foi.

Fnfin dans son De naturalium effectuum causis seu de incantationibus liber, terminé en 1520 mais publié seulement en 1550, il traite du gouvernement de ce monde par la providence, autrement dit, du miracle. Tous les phénomènes ont des causes naturelles, il y a des phénomènes ordinaires : leurs causes sont connues de tous ; des phénomènes extraordinaires : on les explique par l’intervention de Dieu, de la sainte Vierge, des saints et par des incantations. Rien de plus irrationnel. Il n’y a pas de miracle au sens théologique du mot, mais des insueta et rarissime fada… in longissimis peracta, qui ont leurs causes dans la nature tout comme les autres : parfois ces forces mystérieuses mais naturelles rayonnent des êtres, des plantes, des hommes et de l’imagination de l’homme : ainsi s’expliquent, quand ils ne sont pas le fruit de la supercherie des uns et delà naïveté des autres, les miracles qui sont à l’origine de toutes les religions, qui caractérisent les thaumaturges, et aussi les effets indiscutables obtenus par la prière ; la prière agit à la manière d’une force de la nature. Une réserve toutefois : nous devons croire l’Église, dit Pomponazzi, quand elle proclame que certains faits sont des miracles. Voltaire a fait de semblables réserves mais ont-elles, au XVIe siècle, le même sens qu’au xviiie ? Sur Pomponazzi, cf. ici I. xiii, col. 2545-2546 ; Charbonnel, loc. cit.. p. 227-231, 245-248, 267-270 ; Busson, loc. cit., p. 32-56, 60-63 ; du même, L’influence du De incantationibus sur la pensée française, 156016f>0, dans Revue de littérature comparée, 1929, p. 308347.

b) Hériteront de ses idées, à l’adoue même, Lazaro Bonamico, (1479-1552), professeur non de philosophie niais de littérature latine et grecque, tout pénétré des théories de Pomponazzi et qui eut Dolet pour élève ; cf. Busson. lor. cit., p. 58-62 ; Zarabella (1533-1589), mathématicien, astrologue et qui enseigna la philosophie. H traita des mêmes questions que son maître dans son De rébus naturalibus libri triginla, Cologne, 1589, in-fol. ; 1594, in-4° ; ses Opéra logica, Cologne, 1579, in-4° ; Commentaria in A ristotelis libros Physicorum, Francfort, 1601, in-4° : In A ristotelis libros De anima, Padoue, 1606, in-4° ; De inventionc interni motoris ex operibus, Francfort. 1618 ; cf. Charbonnel, loc. cil., p. 384, n. 1. Et surtout Cremonini, (1550-1631), que ses contemporains