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RATIONALISME. LES DEBUTS DE LA RENAISSANCE


ramenait à l'étude des textes. Ainsi les adversaires du Moyen Age s’elTorceroiit de prouver que l’Aristote incorporé dans la synthèse scolastique n’est pas l’Aristote authentique, celui des textes, en opposition avec la pensée chrétienne, en attendant qu’ils contestent à Aristote son titre de Magister ; 3. on ramenait aussi à l'étude des textes sacrés, prônant leur révision, jetant ainsi une suspicion sur l’enseignement de l'Église : la révision des textes semblait appeler la révision des doctrines ; puis, subordonnant en fait, le théologien et même l'Église aux philologues, assimilant l'Écriture dans la manière de l'étudier aux textes antiques, les humanistes feront descendre vers l’humain les textes sacrés et les croyances qui naissent d’eux. Par tout cela ils se rapprocheront d’un côté de la Déforme et de l’autre, ils aideront au rationalisme ; 4. enfin et surtout, l’antiquité n'étant pas seulement « une littérature mais une philosophie », autrement dit, une conception de la divinité, du monde, de l’homme, de l’idéal moral où l’homme peut s'élever, n’offrant pas seulement des modèles du bien-dire mais des types d’action, le contact prolongé avec les textes ne pouvait pas être « sans action sur l’idéal religieux ou moral dont avait vécu l’F.urope ». Certains passeront de l’admiration pour le style à l’admiration pour les idées. Surtout qu'à ce moment l'Église ne cesse d'être dénoncée comme inférieure à sa tâche. Cf. Imbart de La Tour, Les origines de la Informe, t. ii, L'Église catholique, la crise et la Kenaissance, 1909, t. III, La culture nouvelle, p. 334. Dès la première heure, ce fut la crainte de quelques-uns que l'étude des auteurs antiques ne conduisît les âmes mal affermies dans la foi à l’incrédulité. Au début du xve siècle, Florence eut sa querelle du Ver rongeur. Voir ici, t. vi, col. 1170. Contre le chancelier Salutati qui a vanté la culture nouvelle, le livre intitulé Lucula noclis du dominicain Dominici soutiendra que l'étude des textes antiques faisant courir un péril à la culture chrétienne, ces textes ne peuvent être remis aux mains des jeunes gens indifféremment. Le xvr 3 siècle ne s’y trompera pas non plus : il désignera les premiers rationalistes de noms qui rappellent leurs maîtres païens : cicéroniens, lucianistes…

Toutefois, si un Gémisthe Pléthon (1350-1152) nourri de Platon, préfère en somme le paganisme au christianisme, dont il annonce la disparition, les premiers humanistes ne se crurent pas condamnés à choisir entre le christianisme et la culture antique, il était impossible d’ailleurs de revenir à la seule culture antique après quinze siècles chrétiens : ils tentèrent de les concilier ; ils furent des « humanistes chrétiens ». Mais alors où les situer sur le plan chrétien ? Un moment, ils auront avec les réformateurs une apparente communauté d’aspiration : comme les réformateurs, ils parleront d’un christianisme renouvelé, retrempé à sa source primitive, l'Écriture : ils attaqueront les théologiens qui faussent la religion, les moines qui la corrompent, les pratiques qui nuisent au sentiment religieux. Mais, comme ils ont une haute idée de la raison, de la bonté de la nature humaine, de la sagesse et de la volonté humaines, ils se heurteront à la protestation passionnée des réformateurs, convaincus de la corruption radicale de la nature humaine et de l’inutilité des prétendues vertus morales acquises par l’homme. Si l’on excepte, car son orthodoxie est à tout le moins douteuse, ce Lefèvre d'Étaples (1450-1536), dont « la pensée demeure l’expression la plus haute de l’humanisme français ». Renaudet, Préréforme et humanisme, Paris, 1910. p. 384, les humanistes, loi Érasme (1464 1530) qui fut « dans lo premier tiers du xvie siècle, comme le chef et le guide do l’humanisme International », H. Sée et Reblllon, Le i /e siècle, Paris, s. d. (1934), p. 4, tel John Colet (1467-1519), qui introduisit le platonisme dans les cercles universitaires d’Ox ford », Stephen d’Irsay, loc. cit., p. 270, et bien d’autres restent dans l'Église. Ce n’est pas cependant sans quelque dommage pour l’orlhodoxie. L’un des premiers effets de leur contact plus complet avec les anciens avait été la restauration du platonisme, qui avait paru « le résumé de la sagesse humaine, la clef du christianisme et le seul moyen efficace de rajeunir et de spiritualiser la doctrine catholique ». Lefranc, Le platonisme et la littérature en France à l'époque de la Renaissance. Paris, 1890, p. 3. Marsile Ficin (14331499) qui traduisit Platon, Plotin, Porphyre, etc. et l’Académie de Florence, cf. A. Délia Torre, Storia dell' Academia platonica di Firenze, Florence, 1902, inclinaient à un mysticisme où se mêlaient avec l'Évangile, le platonisme, le néoplatonisme et quelques vues d’astrologie et de magie. Pic de la Mirandole (1409-1553), tentera également de fondre le platonisme et les philosophies antiques dans un christianisme plus ou moins interprété à la lumière de la Cabale, puisque l’une de ses neuf cents Conclusiones philosophicse, cabalisticse, theologicæ, est : « Nulle science ne peut nous convaincre plus fermement de la divinité du Christ que la Cabale » ; cf. T. G. H. Box, Les éludes juives au temps de la Réforme, dans le Legs d’Israël, études de sir G. A. Smith, traduit de l’anglais par.1. Rabillot et J. Marty, Paris, 1931, p. 300-305. Érasme et ses semblables donnent à leurs croyances l’allure d’une philosophie, se mettent, eux, savants, philosophes, érudits, au-dessus des théologiens et même de TËglise et, s’ils ontun désirsincère de réveiller le sentiment religieux, c’est en laissant volontairement tomber les dogmes sur lesquels on se divise et en ne voyant dans les cérémonies qu’un moyen d’agir sur le peuple.

L’humanisme se fondra finalement dans le mouvement de la Renaissance, qui, sous l’influence du développement économique, emportait les peuples vers une vie facile, amie des arts, du luxe, des plaisirs, raffinée, éloignée de l’ascétisme chrétien. Cf. Burckhardt, op. cit. En même temps les progrès de la science et de l’esprit scientifique, à la suite de Roger Bacon, (1210-1294), ainsi que les découvertes maritimes font voir les choses sous un autre aspect que le traditionnel, bouleversent certaines conceptions arrêtées, posent des problèmes nouveaux et augmentent la confiance de l’homme individuel en lui-même.

Sur Lefèvre, cf. ici t. ix, col. 131-159 ; sur Érasme, t. V, col. 388-397 ; l'.-S. Allen et Mme H.-M. Allen, Opns epistolarum Dr. Erasmi, Oxford et Londres, 1 904-1 026, 5 vol. ; W.-K. Ferguson, Erasmi opuscula, La Haye, 1933 ; P. -S. Allen, The Age of Erasmus, Oxford, 1914 ; Erasmus, Lectures, Oxford, 1934 ; P. Mestwerdt, Die An/ange des Erasmus ; Humanismus und Devotio moderna, Leipzig, 1917 ; Renaudet, Érasme, sa nie et son œuvre jusqu’en 1517. dans Revue historique, 1912 et 1913 ; Érasme, sa pensée religieuse et son action, 1518-1521, Paris, 1926 ; Pineau, Érasme, sa pensée religieuse, et Érasme et lu papauté, Paris. 1924 ; M. Mann. Érasme et les débuts de la Réforme française, 1517-1536, Paris, 1033 ; Th. Quoniam, Érasme, Paris, 1035 ; St. Zweig, Érasme. Grandeur et décadence d’une idée, traduit par A.IIella, Paris. 1935. Sur Colet. ici t. iii, col. 362-363 ; F. Seebohm, The Oxford Reformers, John Colet, Erasmus and Thomas More, 1° éd., Londres, 1911 ; Daniel Sargent, Th<>mas More, traduction de M. Rousseau. Paris, s. d. (1035).

Sur ces humanistes en général, voir Voigt, op. cit. : Renaudet, Préréforme et humanisme : Paquier, L’humanisme et la

Réforme. Jérôme Méandre, Paris, 1000.

4° La Réforme. Est-elle à l’origine du rationalisme moderne ? — Héritière des mystiques allemands du xiv c siècle, sortie do l’expérience religieuse de Luther, répondant à certains besoins religieux qui ne trouvaient plus satisfaction, la Réforme paraît à l’opposé du rationalisme. Telle que la voulurent les grands réformateurs, cela est certain. S’ils rejettent en effet le primat de rivalise, ils proclament le primat sans