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    1. RATIONALISME##


RATIONALISME. LES DEBUTS DE LA RENAISSANCE

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L’averroïsme est en opposition avec la pensée chrétienne sur les points suivants : 1. il affirme la supériorité de la philosophie sur la théologie et par conséquent de la raison sur la révélation. Pour Averroës, dit Renan, loc. cit., p. 131-132, « la philosophie est le but le plus élevé de la nature humaine : … la révélation prophétique y supplée pour le vulgaire ». Et le prophète n’est pas un personnage surnaturel. « Le prophétisme n’est pas l’inspiration divine mais une faculté de la nature élevée à sa plus haute puissance. » Id., ibid., p. 134. Renan ajoute : Cette théorie « se retrouve dans tous les philosophes arabes et forme un des points les plus importants et les plus caractéristiques de leur doctrine ». Ibid. ; 2. Il tend à mettre sur le même pied d’infériorité en regard de la philosophie les trois religions que connaissent les Arabes : christianisme, judaïsme, islamisme. D’où le Moyen Age fera d’Averroës le symbole de l’incrédulité et du blasphème, et lui attribuera le livre des Trois Imposteurs. Voir plus loin. 3. Il donne cette explication du monde : le monde n’a été créé ni dans le temps, ni ub asterno ; la matière est éternelle par elle-même ; 4. Il n’y a pas de providence : Dieu est confiné dans la sphère suprême qui couronne les sphères inférieures ; 5. Il n’y a pas d'âme individuelle immortelle. L'âme individuelle est matérielle ; elle meurt avec l’homme. L’intellect actif, qui crée en chacun l’intelligence des choses et le savoir, à l’action de qui l'âme individuelle se trouve prédisposée, est immortel, mais il est un pour tous les hommes. L’intellect actif est aux âmes humaines ce qu’est la lumière aux objets par lesquels elle se réfléchit sans rien perdre de son unité. Ainsi sont ruinées l’immortalité de l'âme, telle que l’entend l'Église, l'éternité des peines et des récompenses. L’orthodoxie musulmane coupa court à ces doctrines dans le monde arabe.

Mais il y eut bientôt des averroïstes latins. Vers le milieu du xme siècle, en effet, presque tousles ouvrages importants d’Averroës ont été traduits de l’arabe en latin. Ces averroïstes dépassèrent même la position d’Averroës. Ils enseignèrent l'éternité du monde, l’unité de l’intellect, la négation de la transcendance du christianisme, de l’immortalité et de la providence mais aussi le déterminisme (la volonté est une faculté passive) et le principe de la double vérité qui fournira à l’averroïsme padouan sa grande tactique : il peut y avoir opposition entre la philosophie et la foi, mais une chose peut être vraie en philosophie qui ne l’est pas selon la foi. Ces choses s’enseignèrent dans la seconde moitié du xme siècle à l’Université de Paris, où elles rencontraient les tendances héritées de Scot Érigène et d’Abélard. Leur principal tenant y fut Siger de Brabant, à côté de qui l’on voit figurer Boèce de Dacie ; cf. t. ii, col. 922-924 ; P. Mandonnet, O. P., Siger de Brabanl et l’averroïsme latin au XIIIe siècle, 2e édit., Louvain, 1911, 2 vol. in 4°. Ce mouvement, combattu par saint Albert le Grand et par saint Thomas d’Aquin, fut condamné une première fois en 1270 par l'évêque de Paris, Etienne Tempier, et une seconde fois en 1277. Cf. Renan, loc. cit. ; Mandonnet, loc. cit., 1. 1, p. 196 sq., et 231 sq. ; Ehrle, Der Kampfum die Lehre des hl. Thomas von Aquins, dans Zeitschr. f. kath. Theol., t. xxxvii, 1913, p. 266, et Stephen d’Irsay, Histoire des universités françaises et étrangères, t. I, Moyen Age et Renaissance, p. 169-170. C'était le triomphe de saint Thomas, que, deux siècles après, le peintre Benozzo Gozzoli représentait foulant aux pieds Averroës. Ses erreurs ne sont point mortes cependant. Pierre d’Abano (12501320) les introduira à Padoue, où elles trouveront un terrain favorable. II y professera également des doctrines occultistes qu’enseigneront encore au xvie siècle plusieurs rationalistes italiens et qui se rattachent plus ou moins à la métaphysique néo-platonicienne. L’univers est vu divisé en deux sphères, la sphère céleste et

le monde sublunaire. Celui-ci dépend de celle-là. Qui connaîtrait à fond la nature intime des astres, leurs mouvements, leurs conjonctions aurait le chiflre de tous les événements. Et, après l’astronome arabe, Aboul Nazar, Pierre d’Abano tirait de ce principe cette application où le blasphème des Trois Imposteurs recevait une forme nouvelle : « par la conjonction de Saturne et de Jupiter au commencement du signe du Bélier, … tout le monde inférieur est bouleversé, comme cela eut lieu à l’avènement de Moïse, … du Nazaréen, de Mahomet. » Concilialor controversiarum quæ inler philosophos et medicos versantur, in-fol., Venise, 1565. Ainsi étaient résolus le problème de l’origine des religions et la question de l’incarnation. Sur Pierre d’Abano, voir Tiraboschi, Storia délia letteratura italiana, t. v, Milan, 1823, et les ouvrages qui vont être cités de V. Rossi et de J. Burckhardt.

3° Dès la fin du XI Ie siècle, l’humanisme et, au XVe, la Renaissance, modifiant la mentalité et les mœurs, favorisent l’apparition du rationalisme.

L’humanisme, cet effort passionné pour mieux connaître les littératures antiques, la latine d’abord, puis et surtout la grecque, pour mieux imiter leur art et même leur langue, n'était en soi ni croyant ni rationaliste. Certes, il y eut parmi les premiers humanistes, des Italiens, des personnages scandaleux, le Pogge (13801459), Laurent Valla. Ce dernier (1405-1457) esprit critique, ne ménagea ni les textes sacrés dont se sert l'Église, dénonçant dans ses Adnotationes in novum Testamentum les erreurs de la Vulgate, ni les ordres religieux, blâmant leur institution et le vœu de chasteté dans son De professione religiosorum dialogus, ni la tradition, faisant rentrer la Donation de Constantin au nombre des légendes ; dans son De voluplate et vero bono, il fit même du plaisir le but de la vie, mais il ne songera nullement à nuire à l'Église et il s’elTorcera de concilier sa doctrine du plaisir avec le christianisme. Cf. son Antidoton in Poqgium et son Apologia pro se et contra calumniatores, ad Eixgenium IV, dans ses Opéra, Bâle, 1543, 1. IV. En fait ces premiers humanistes, à peu près tous, furent des littérateurs et des érudits qui s’inquiétaient moins de ce qu’ils disaient que de la manière de le dire. Ils sont « indifférents au contenu ». Erancesco de Sanctis, Storia délia letteratura italiana, t. i, Naples, 1873, p. 3<iK, cité par Brunetièrf, qui ajoute : « Cela ressemble beaucoup à ce qu’on appelle la théorie de l’art pour l’art. "Histoire de la littérature française classique, t. i, p. 18-19. Ils ne pensent pas au dogme ; derrière Pétrarque, leur maître à tous, ils se montrent même hostiles à l’averroïsme. Cf. Pierre de Nolhac, Pétrarque et l’humanisme, Paris, 1907, 2 vol. in-8° ; V. Rossi, Il Quattrocento, Milan, 1897, in-8°, dans la Storia letleraria d’halia ; J. Burckhardt, Die Kultur der Renaissance in Italien, 10e éd., Leipzig, 1910 ; G. Voigt, Die Wiederbelebung des classischen Alterthums oder dus erste Jahrhundert des Humunismus, 3e éd., Berlin, 1893 ; R. Charbonnel, La pensée italienne en France au XVIe siècle et le courant libertin, Paris, 1911, et encore Renan, loc. cit.

Cependant, il y avait dans le principe même de l’humanisme — l’admiration pour les littératures antiques — quatre choses qui devaient provoquer un ébranlement des croyances traditionnelles : 1. on proclamait la supériorité de la culture antique sur les formes habituelles de la pensée chrétienne et sur ses méthodes. Comment ne pas préférer aux dures règles de l'École les formes d’exposition simples et naturelles des anciens — ars disscrendi — de Cicéron, par exemple, qui pour cette raison jouira de toute vogue. Cf. Marius Nizolius, 1 198-1576, Antibarbarus sive de veris principiis et vera ralione philosophandi contra pseudophilosophos, Parme, 1553. D’aucuns iront jusqu'à un véritable esprit de combat contre le Moyen Age ; 2. on