Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.2.djvu/139

Cette page n’a pas encore été corrigée

L691

    1. RATIONALISME##


RATIONALISME. LES ORIGINES, Xllie SIÈCLE

1692

p. 183. Mais d’où le xme siècle à son tour tira-t-il « ses mauvaises idées » ?

1° // y a du ¥ine au XIIe siècle — de la renaissance carolingienne à lu renaissance du xme siècle — un travail de réflexion philosophique, qui avec Scol Érigène et Abélard prépare un terrain favorable. — Sans doute le Moyen Age eut ses enfants perdus, ses libertins de mœurs et de paroles, que l’on devine à la lecture des fabliaux et de ce Renard le contrefait, qui ne ménage guère les gens d'Église, même les plus hauts en dignité et dont Rabelais, sous plusieurs rapports, ne sera que le continuateur. Mais la chrétienté a alors une façon commune de penser et qui est chrétienne et, durant cet intervalle de quatre siècles, on ne saurait indiquer aucun rationaliste, pas même Jean Scot Érigène et Abélard, dont quelques-uns ont fait les pères du rationalisme moderne.

Érigène (ixe siècle), cf. t. V, col. 401-434, principalement col. 422-426, « lettré…, érudit…, logicien et surtout penseur », F. Picavet, Esquisse d’une histoire générale et comparée des philosophies médiévales, Paris, 1 907, p. 134, est un mystique qui se rattache au pseudo-Deny s l’Aréopagite ; spéculant d’après Platon sur le principe du plus pur réalisme, esprit complexe, « sphinx placé au seuil du Moyen Age », Real-Encyclopâdie, t. xiv, 1861, p. 155, il a inspiré directement ou indirectement les mystiques plus ou moins hétérodoxes, « et pour les panthéistes modernes depuis Spinoza, il en est de même que pour les mystiques ». Picavet, loc. cit., p. 140. B. Hauréau, dans son Histoire de la philosophie scolaslique, Paris, 1872, t. i, p. 153-154, l’appelle « un très libre penseur dont le nom doit être inscrit le premier sur le martyrologe de la philosophie moderne ». Or, si Érigène fut condamné, ce fut : au xie siècle, pour ses doctrines touchant l’eucharistie (on lui attribua par erreur le traité sur l’eucharistie de Ratramne) et la grâce ; au xiii c pour son panthéisme, sur lequel Amaury de Chartres et David de Dinant avaient ramené l’attention, cf. G. Théry, Autour du décret de 1210, t. i, David de Dinant, Paris, 1925, mais nullement parce que rationaliste. Deux de ses paroles sembleraient cependant justifier cette qualification : l’une de son De divisione naturie, t. I, c. lxix, P. L., t. cxxii, col. 513, où il paraît faire bon marché de l’autorité en matière d’enseignement : Omnis auctoritas quæ vera ralione non approbatur infirma vidctur esse ; l’autre de son De prædestinalione, c. i, n. 1, col. 357, où il paraît identifier la philosophie, recherche de la sagesse, et la théologie : Quid est aliud de philosophia traclare nisi vene religionis… régulas exponere. Mais il suflit, pour voir que c’est là une fausse interprétation, de lire le contexte et de connaître le fond même de la pensée d'Érigène : s’il tente, et d’une manière très personnelle et très indépendante, la philosophie de la doctrine révélée, il n’est pas tenté de nier la valeur surnaturelle de cette doctrine. Cf. Dom Cappuyns, Scot Érigène, Louvain, 1933.

Abélard (1079-1142), cf. t. i, col. 37-55, dont Cousin fait l'égal de Descartes : « Ce sont incontestablement les deux plus grands philosophes qu’ait produits la France », Introduction aux ouvrages inédits d' A briard, 1836, p. 6, passe également pour un rationaliste avant l’heure. « Tous deux, continue Cousin, ils doutent et ils cherchent ; ils veulent comprendre le plus possible et ne se reposer que dans l'évidence. » L’historien d' Abélard, Ch. de Rémusat, écrit de son côté : « Chrétien de cœur, orthodoxe d’intention, il était rationaliste par la nature et les antécédents de son génie. » Abélard. t. ii, p. 355.

Qu' Abélard ait jugé supérieure à la foi du charbonnier la foi s’appuyant sur l’intelligence personnelle des Choses : i Seuls les ignorants recommandent la foi avant de comprendre » Inlroductio, I. 1 1, n.3, P. L., t. CLXXVIII,

col. 1046-1047, qu’il ait tenté de faire rentrer tout le donné révélé dans ses conceptions philosophiques, cela paraît incontestable. On lui a reproché d’avoir : 1. subordonné la théologie à la philosophie, d’avoir glorifié les représentants de la raison, les philosophes antiques, à l'égal des prophètes et les sages « dont les vertus reproduisent la perfection à l'égal des saints », Theol. christ., P. L., t. clxxviii, col. 1179-1206 ; 2. d’avoir reconnu des droits excessifs à la critique, en interprétant dans ce sens le mot de saint Paul aux Thessaloniciens : Omnia probaie, quod bonum est lenete, I Thess., v, 21, disant dans le prologue du Sic et non : « Non doctoris opinio sed doctrime ratio ponderanda est », ibid., col. 1318 D, et opposant dans ce livre que l’on a rapproché du Dictionnaire de Rayle, les raisons pour et contre 158 affirmations religieuses importantes, ibid.. 3, d’avoir faussé le dogme pour le faire rentrer dans le cadre de sa pensée philosophique, si bien que sa théologie fut condamnée par l'Église, et d’avoir interprété les mystères de la manière où il les voyait plus accessibles à la raison, si bien que saint Bernard pourra dire : Cum de Trinilale loquitur sapit Arium, cum de gratia Pelagium, cum de persona Christi Nestorium, cf. art. Abélard, t. i, col. 43-47. Mais de tout ceci et de la grande confiance qu’il eut en son sens personnel, on ne saurait conclure qu’il fut un rationaliste. Si l'Église le condamna, ce fut pour des erreurs théologiques et non pour une erreur fondamentale comme le rationalisme. Il fut un homme de son temps ; il eut la foi, mais il crut aussi à la philosophie et au savoir et son Sic et non est tout simplement un de ces exercices de disputation, familiers à ses contemporains. En somme, Abélard fut un croyant qui s'égara parfois. Cf. P. Lasserre, Un conflit religieux au XIIIe siècle. Abélard contre saint Bernard, Paris, 1930.

Érigène et Abélard, s’ils ne furent pas des rationalistes pour leur compte, créèrent cependant un état d’esprit favorable au rationalisme : confiance en la raison, droit supérieur de la raison par rapport à l’autorité enseignante, interprétation personnelle des doctrines religieuses, ces principes latents en leurs théories ne demeurèrent pas sans influence.

2° Au XIIIe siècle, la philosophie arabe prépare la doctrine et les méthodes du rationalisme. Averroës et l’averroïsme. — Du viiie siècle, après la conquête, au xiie, il se fit chez les Arabes un grand travail intellectuel. Il porta sur le Coran et la théologie, sur les sciences : les Arabes cultivèrent les mathématiques, la chimie, l’astronomie et l’astrologie et, à ce point de vue, ils influèrent déjà sur la formation de l’esprit moderne. Quand, par l’intermédiaire des traducteurs syriens, ils connurent les œuvres d’Aristote, du moins interprétées par les néo-platoniciens, il naquit chez eux et se développa une philosophie qui ne se rattache pas au Coran. Son ambition est « de bien connaître Aristote », que « souvent elle altère par des éléments pris aux néoplatoniciens, aux gnostiques, aux médecins grecs et à leur psychologie matérialiste ». Picavet, loc. cit., p. 302. Cette philosophie, on l’appelle arabe, alors qu’elle n’est guère qu’un emprunt à la Grèce » irf., ibid., et averroïsme encore qu’elle ne soit pas du seul Averroës. Averroës (1126-1198), cf. t. i, col. 2007-2638, ne fut pas en effet une sorte de Descartes ou de Kant déterminant en son pays un mouvement philosophique original. « Il ne fut nullement une étoile de première grandeur au ciel de la philosophie arabe » ; d’autres philosophes arabes plus grands que lui l’avaient précédé, mais après lui s'éteignit le mouvement. Et lui, le commentateur, il a résumé les résultats de la philosophie arabo aristotélique dans ses commentaires sur Aristote. Lange, Geschichte des Materialismas, Solingen, 1866, traduction française par H. Pommerol, t. i, Paris, 1877, p. 166.