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RAPT (EMPÊCHEMENT DE

IlitiS

deux siècles environ). Sans doute, la violation de la liberté matrimoniale était-elle chose rare parmi les chrétiens de cette époque, à moins que la sévérité des lois civiles en la matière fût jugée suffisante. Pourtant, à partir du iv c siècle. l'Église joignit ses elïorts à ceux des empereurs pour enrayer le mal croissant. Le 11e canon du concile d’Ancyre (314) ordonne la restitution au fiancé légitime, de la fiancée injustement ravie ; on peut lire une décision semblable dans la lettre canonique de saint Basile à Amphiloque, can. 22. Hef ele-Leclercq, ilist. des conciles, t. i, p. 313 ; (irai., caus. XXVII, q. ii, c. 46. Le concile, de Chalcédoine (451) prononce contre les ravisseurs et leurs complices, la déposition s’ils sont clercs, l’anathème ou excommunication s’ils sont laïques, can. 27. (irai., caus. XXXVI, q. II, c. 1. Môme peine portée par le pape Symmaque en 513, ibid., q. ii, c. 2.

Dans le droit des peuples germaniques, le rapt d’une femme, fiancée ou non, constituait un délit dont la punition ne dépassait ordinairement pas l’amende ou la composition pécuniaire. Le ravisseur, après avoir composé avec les parents, les tuteurs ou le fiancé, pouvait ensuite librement contracter mariage avec la femme qu’il avait enlevée. Chez les Wisigoths cependant se retrouvent, relativement au rapt, les sévérités du droit romain. Le caractère généralement bénin de la loi germanique en cette matière, explique que, dans les contrées où elle était en vigueur, l'Église et le pouvoir civil, spécialement chez les Francs, se soient unis pour édicter des prescriptions plus sévères contre les ravisseurs. Le 2e canon d’Orléans (511) suppose que la peine capitale pourrait être prononcée contre ceux qui enlèvent une femme ou essayent de contracter mariage avec elle. Le concile de Paris de 557 prononce l’anathème contre ceux qui oseraient enlever ou obtiendraient du roi la permission d’enlever une veuve ou une fille contre le gré de ses parents. (irai., caus. XXXVI, q. H, c. 3, 6. Voir aussi le 20e canon de Tours (567). Hcfele-Leclercq, Hisl. des conciles, t. iii, p. 190. C'était une réaction contre l'ère de violences qui commença à la chute de l’empire romain et alla s’accentuant jusqu’au xe siècle ; de cette réaction, les écrits d’Hincmar sont un précieux témoignage. Cf. De coercendo rnplu viduarum, puellaram et sunclimonialium. P. L., t. c.xxv, col. 1007 sq.

A partir du IXe siècle, dans l'Église d’Occident, le mariage est interdit de façon absolue et perpétuelle entre le ravisseur et sa victime, et même toute autre femme. Cette prohibition, qui avait un caractère pénal, emportait-elle également la nullité du mariage ainsi contracté? Beaucoup d’auteurs anciens l’ont pensé, impressionnés qu’ils étaient par certains textes cités par Gratien : par exemple, le capitulaire 23 du concile d’Aix-la-Chapelle (817), que Gratien attribue à tort au concile de Chalon, et qui s’exprime ainsi : ad conjugia légitima raplas sibi jure vindicare nullalenus possunt . (irai., caus. XXXVI, q. ii, c. 4. Le 24e capitulaire de ce même concile parlant du ravisseur dit encore : sine spe conjugii maneat. Ibid., caus. XXVII, q. il. c. 34. Cependant le synode de Ver (in palatio Vemo, 844) ne fait que reproduire, dans son 6< canon, les prescriptions du concile d’Ancyre. Hef ele-Leclercq, op. cit., t. iv, p. 117-118. Mais c’esl sur tout le concile de Meaux-Paris (845-846), llefeleLeclercq, op. cit., t. iv, p. 124-125, qui dans ses 64 « el 65e canons, semble porter un empêchement dirimant Gral., caus XXXVI, q. ii, c. 10 el 11 ; cf. caus. I, q. vii, c. 17. Il se trouva pourtant des canonistes an riens pour penser que ces textes pouvaient parfaitement s’entendre dans le sens d’une simple prohibition. C'était l’avis de Sanchez, De malrimonii sucra mento, I. VII. disp. XII, n. Il : Non video in as feano nibus) verbum, pet quod laie matrimonium denoteiur

fuisse irrilum ; et il est appuyé par Schmalzgrueber, Jus eccl. uniu., I. V, tit. xvii, n. 10. On peut dire tout au plus que ces canons, s’ils statuent la nullité, ne sont que l’expression d’une législation particulière à l'Église franque, mais ne représentent pas la discipline de l'Église universelle. En effet, les canons 10 et 1 1 du synode romain de 721 ne mentionnent d’autre peine que l’excommunication. IIcfele-Leclercq, op. cil. t. iii, p. 597. D’autre part, dans la discipline de l'Église d’Orient instaurée par le concile QuiniSexte (692), il n’est pas question d’irritation du mariage par le rapt, can. 92. Cf. Wernz-Vidal, Jus mulr.. p. 'Mu, note 13.

A côté de la tendance rigide cjui interdisait sévèrement, annulait peut-être, le mariage entre le ravisseur et sa victime, il nous faut noter un courant, plus enclin à l’indulgence, qui cherche à favoriser le mariage même dans le cas de rapt, au moins sous certaines conditions. Déjà le pape Gélase (494) avait déclaré qu’il n’y avait pas rapt lorsque l’enlèvement avait été précédé des fiançailles ou de toute autre tractation matrimoniale, Gral., caus. XXXVI, q. i, c. 2. De là un axiome qui fut plus tard reçu dans le droit : Non fil raplus proprise sponsee. Le consentement subséquent donné par les parents ou l’accomplissement par le coupable de la pénitence prescrite pouvaient également rendre le mariage possible. Cf. caus. XXXV I, q. ii, c. 7-8. C’est cette seconde tendance, favorable au mariage, qui finit par l’emporter à partir de Gratien (xii c siècle), ibid., q. ii, c. 11.

Déjà le pape Lucius III (1181-1185) avait déclaré qu’il ne pourrait y avoir de rapt si la femme était consentante, encore que l’enlèvement fît violence aux parents. Decr., t. V, tit. xvii, de raploribus, c. 6. Et cette discipline fut authenliquement confirmée par Innocent III en ces termes : La jeune fille enlevée pourra légitimement contracter avec le ravisseur lorsqu’en elle le désaveu aura fait place au consentement, …pourvu que par ailleurs les deux parties soient aptes à contracter. Décret., t. V, tit. xvii, c. 7. Point n'était donc nécessaire que la femme fût rendue à la liberté ; il suffisait qu’elle donnât son libre consentement tout en restant au pouvoir du ravisseur ; on alla môme jusqu'à se contenter d’un consentement tacite, selon le commentaire de Panormitanus sur ce passage des décrétâtes : Sed quæro, numquid sujjlciat lacilus consensus ad inducendum matrimonium inler istos ? Doctores quod sic et bene. Ainsi, dans le droit canonique, le rapt avait cessé d'être un empêchement de mariage en tant que distinct de celui de vis et melus. Et cependant, dans le droit civil de l'époque, au moins en France, le rapt constituait un empêchement dirimant. L'Église, qui à la vérité, détestait ce crime et le frappait de peine variées, semblait vouloir défendre avant tout la liberté du mariage.

Le concile de Trente, principalement à la demande des évêques et des envoyés du roi de France, réagit contre ce droit complaisant, voulant également sauvegarder la liberté du mariage, mais d’une meilleure manière. Après avoir examiné et discuté plusieurs projet s, cf. Esmein, Le mariage en droit canonique, t. n. p. 250-252, les Pères décidèrent « qu’il ne pourrait y avoir mariage entre le ravisseur et sa victime, tant ((lie celle-ci demeurerait au pouvoir du ravisseur ; mais, une fois séparée et remise en lieu sûr, elle pouvait, si elle y consentait, devenir l'épouse de celui qui l’avait enlevée. Sess, xxiv, De réf. malr., c. vi. Le concile statuait en outre contre le ravisseur des peines 1res graves, qui sont pour la plupart un rappel de la discipline des anciens conciles. Enfin, il obligeait le coupable à doter convenablement, au gré du juge, la femme qu’il avait enlevée, soit qu’elle consentit à l'épouser, soit qu’elle refusât