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RADBERT (PASCHASE]


vant être coupés, le sang pouvant couler, etc. Est-ce vraiment la pensée de Radbert ? Ce serait le cas de rappeler le proverbe « comparaison n’est pas raison » ; il ne faut jamais trop presser une image ou une historiette destinée à illustrer une thèse difficile ; aux textes dogmatiques de Radbert, il n’y a rien à redire : spirilalia jure intelliguntur. Il eût été préférable qu’il s’en tînt là : les « additions » qui, d’ailleurs, se séparent bien du texte auquel les rattache une quelconque formule de transition, laissent une impression assez trouble.

Sous l’action des paroles divines un changement se produit dans le pain et dans le viii, en vertu de la consécration. Quelle est la nature de ce changement ? Ce pain et ce vin restent-ils du vrai pain et du vrai viii, puisque les apparences demeurent ? Le changement est-il « transsubstantiation » suivant la formule du concile de Trente ? Peut-être, sous diverses influences, a-t-on eu tendance, même chez les catholiques, à exagérer l’importance de Radbert dans l'élaboration de la doctrine de la « transsubstantiation ». On trouve en effet chez lui une belle formule, toute proche de la « transsubstantiation », mais cette formule est une citation, Radbert lui-même note sa référence, il s’agit d’un texte emprunté à Fauste de Riez. (Radbert dit : Eusèbe d'Émèse ; il se trompe sur l’attribution, mais peu importe ici). Cette citation se trouve dans la lettre à Frudegard : (Christus) invisibilis sacerdos, visi biles creaturas in substantiam corporis et sanguinis sui, verbo suo, sécréta potestate, convertit. Col. 1354 R. A la vieille idée de « mutation », de « conversion » s’est ajoutée cette précision extrêmement intéressante, qu’il s’agit d’une mutation substantielle. A cette thèse, qu’il n’a pas inventée, Radhert adhère pleinement, comme nous pouvons le constater par les textes suivants.

Licet figura (plutôt que in figura) panis et vtni maneat, hœc sic esse omnino, nihilque aliud quam caro Christi et sanguis, post consecralionem credenda sunt . Col. 1269 R. Après la consécration, il n’y a donc plus ni pain ni viii, mais seulement la figure, l’apparence du pain et du vin. Sans chercher là une théorie, à laquelle Radbert ne songe certainement pas, il est permis cependant de constater que les termes employés excluent « l’impanatinn » et la < consubslantiation » : nihil aliud quam caro Christi. Comme saint Ambroise et d’autres l’avaient dit, une mutation s’est produite. Radbert, qui a emprunté sa formule à Fauste de Riez, s’exprime ainsi pour son compte personnel : Substantiel panis et vini in Christi carnem et sanguinem effleæiter (effectivement, en réalité) intérim eommiilutur. Col. 1287 C. Le changement porte sur la substance du pain et du viii, il est réel, mais sous le voile des apparences qui, elles, ne changent pas. Nous avons noté plus haut, à propos d’un texte qui précède immédiatement celui-ci, comment cette chair et ce sang du Christ sont mis dans un mode d'être spirituel : spiritalia hœc : toute cette réalité qui est spirituelle n’a vraiment pas besoin d'être transportée in sublime, devant le trône de Dieu, n’a-t-elle pas été « sublimisée » de la manière la plus merveilleuse qui soit, puisque un être corporel a été changé en la chair et au sang du Christ. Cogita igitur si quippiam corporeum potest esse sublimius, cum substantia panis et vini in Christi carnem et sanguinem efficaciler interius commulatur. Col. 1287 C.

Mais comment une réalité corporelle peut-elle avoir un mode d'être spirituel ? N’y a-t-il pas contradiction ? D’autre part que sont ces apparences qui demeurent ? Si l’intérieur est « substance », ne seraient-elles pas des « accidents » ? C’est beaucoup trop demander à Radbert. A la première question, il ne répond que par ce qui a été dit avant lui : hsec spiritalia sunt, et l’on peut croire qu’il n’hésite pas là-dessus malgré l'étrangeté de quelques-unes des histoires qu’il rapporte. L'élé ment corporel est spiritualisé, sublimisé, mais nous ne savons pas comment. Il ignore le mot « accident » ; dans l’expression : speciem et colorem non mulavil, col. 1306 A, speciem signifie aspect extérieur, et, rapproché de colorem, il désigne plus spécialement la forme. Si nous cherchons ensuite le mot désignant cette action qui rend présents le corps et le sang du Christ, nous trouvons plusieurs fois celui de « création » : Quia Christian vorari fas denlibus non est, voluil in myslerio hune panem et vinum vere carnem suam et sanguinem consecratione Spirilus Sancti potentialiter creari, creando vero quolidie pro mundi vita myslice immolari. Col. 1277 CD. Ailleurs il écrit : Neque ab alio caro ejus creatur et sanguis, nisi a quo creata est in utero virginis. Col. 13Il A. L’Esprit-Saint opère-t-il donc une nouvelle création à chaque consécration ? Il ne s’agirait donc plus de mutation ni de transsubstantiation, mais, à chaque fois, d’annihilation de la substance du pain et du vin et de création du corps du Christ ? Non, le fond de la doctrine de Radbert est la « mutation substantielle », mais il s’exprime mal. t Créer » ne signifie pas chez lui : faire quelque chose de rien, ex nihilo ; il emploie souvent l’expression : creare ex aliquo ; il suffit d’ailleurs de se rappeler que la formation du corps de Jésus dans le sein de Marie ne fut pas une « création », et l’on verra qu’il n’y a pas lieu de presser l’analogie.

Conclusion.

Si, en achevant cet exposé, nous

cherchons la raison qui a pu engager Radbert dans ce réalisme eucharistique, si fortement marqué — presque trop marqué — nous constaterons que ce n’est pas une pensée spéculative, une nécessité purement logique. Radbert n’est pas un philosophe et sa contribution à l’explication philosophique du mystère eucharistique est fort mince. Mais il a été très frappé par la grande idée du corps mystique du Christ, qu’il lion vait magnifiquement développée dans saint Augustin et, mieux encore peut-être à son point de vue, dans saint Hilaire. L’incorporation au Christ de chaque fidèle régénéré par le baptême, nourri par l’eucharistie, telle est son idée dominante, explicative. l’A cnuil duo in carne una, dit-il en un sens accommodai ice mais très expressif. Saint Hilaire trouvait insuffisante la pensée d’une union simplement morale du Adèle avec le Christ ; pour lui « l’incorporation » suppose une union » physique » (cf. Mersch, Le corps mystique du Christ, Louvain, 1933, t. i, p. a.") 1.)), un rattachement. une adhérence, non pas charnelle, certes, mais réelle, de chaque fidèle à la personne même du Christ Jésus, fils de Marie, toujours vivant et le même. Ainsi, pour Radbert, il apparaît tout à fait insuffisant que l’eu charistie nous donne « quelque chose » du Christ, une vertu, une puissance. Elle le donne lui-même : luimême nourrit notre vie par communication directe de sa propre vie, en multipliant spirituellement sa propre chair et son propre sang, comme il a multiplié les pains : Pullulât ergo illa uberlas carnis Christi, et manet inleger Christus. Col. 13Il H. Et, parce que nous sommes faibles, cette nourriture doit nous être fréquemment donnée ; c’est ce qui explique le renouvellement, à la discrétion de l'Église, de l’acte de Jésus à la Cène. L’effet extraordinaire de cette nourriture est de nous assimiler à elle-même : de même que la substance du pain et du vin a été merveilleusement « sublimisée. « spiritualisée », en devenant réellement la chair et le sang non plus charnels mais spiritualisés du Christ, ainsi, pauvres êtres charnels, nous nous acheminons vers une spiritualisation, qui d’ailleurs ne se réalisera parfaitement qu’après la vie présente. Constat igitur quia, etsi tria (panis, l’inum et aqua) prius poniintur. non nisi caro et sanguis poslea recte creditur, dans indicium quod animalis homo totus de beat Iransire in spirilum et spirilalis fleri. Col. 1309 C.