Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.1.djvu/665

Cette page n’a pas encore été corrigée

131 !

PU RG V.T01 RE. QUESTIONS Dl VERSES

1316

On voit par là quelle circonspection s’impose quand il s’agit d’accueillir des révélations privées touchant le purgatoire. Dans son traité l><ts Fegfeuer, Haut/, a recueilli les assertions les plus intéressantes de sainte Brigitte, de sainte Mechtilde et de quelques personnes recommandables. Les révélations privées qu’on peul accueillir avec le pins de laveur sont a coup sur celles de sainte Catherine de (iènes, dont le Traité du purgatoire a reçu en 1666, les approbations de la Sorbonne. Au cours du procès de canonisation de la sainte, la doctrine de ce traité a été pleinement approuvée par le P. Martin d’Esparza, S. J. Or les « révélations » de la sainte sont bien éloignées des matérialisations (pue certains prédicateurs apportent sur le purgatoire ; elles ne tentent pas de pénétrer les secrets de l’au-delà. Les théologiens leur font généralement bon accueil. Le P. Ch. Pesch a jugé bon d’en faire le résumé dans son traité du purgatoire, Prælect. theol., t. ix, n. 605 ; c’est d’après l’aperçu qu’en donne le P. I’aber dans son Tout pour Jésus, que nous l’avons cité à plusieurs reprises. En dehors de ce petit traité qui a reçu une sorte de lr.issez-passer ofïiciel de la part de l'Église, on ne connaît guère de révélations privées sur le purgatoire qui puissent être de quelque utilité à la théologie.

Il faut donc accueillir avec beaucoup de réserve les précisions apportées, dans des révélations privées (ou prétendues telles), à la durée, à la gravité des peines du purgatoire. L'Église n’ayant sur ces deux points, aucun enseignement ferme, il convient de demeurer prudent avec l'Église.

La dévotion aux âmes du purgatoire.

Il ne s’agit

pas ici de la dévotion qui consiste à prier pour les âmes du purgatoire, mais de celle qui consiste à prier les âmes du purgatoire afin qu’en retour elles prient Dieu pour nous. Les deux éléments de cette dévotion sont corrélatifs : si nous prions les âmes du purgatoire, c’est qu’elles entendent nos prières et peuvent les transmettre à Dieu avec l’appui de leurs propres suffrages.

Deux courants d’opinions se sont fait jour sur ce problème. Les anciens théologiens répondaient plutôt par la négative. Saint Thomas paraît avoir nié la possibilité d’invoquer les âmes du purgatoire et de recourir à leur intercession. « Ceux qui sont dans ce monde ou dans le purgatoire, dit saint Thomas, ne jouissent pas encore de la vision du Verbe pour qu’ils puissent connaître ce que nous pensons ou ce que nous disons. Et c’est pour cela que nous n’implorons pas leurs suffrages par la prière. » Sum. theol., Ila-II^, q. lxxxiii, a. 4. Voir Prière t. xiii, col. 227. D’ailleurs les âmes du purgatoire, en raison de leur état d’expiation, ne sont pas en état de prier pour nous, elles ont plutôt besoin que l’on prie pour elles. A. 11, ad 3um. Telle était l’opinion des anciens, dit Suarez, De oratione, t. I, c. x, n. 25, Opéra, t. xiv, p. 44. Et Suarez cite avec saint Thomas, Alexandre de Halès, saint Antonin, Alphonse Tostat, Navarrus, Pierre de la Palu, Richard de Médiavilla et, en général, les sententiaires, In IV am Sent., dist. XV. Sur l’opinion de saint Thomas, voir J. Ernst, Der heil. Thomas und die Anru/ung der armen Seelen, dans Der Katholik, 1916, t, ii, p. 217 sq.. 31.9 sq. Voir également plusieurs articles de revues ( Kitholik, Franziskanische Studien, Divus Thomas de Fribourg, Theol. prakt. Quartalschrift), signalés par Diekamp, op. cit., p. 526. De nos jours, la thèse a été reprise par le P. Gerlaud, O. P., dans La vie spirituelle, 1923, p. 130 sq., et avec plus de nuances, par le P. Mennessier, La religion, trad. fr. de la Somme théologique, t. i, Paris, 1932, p. 264-267. On peut citer aussi J. Didiot, Morale surnaturelle spéciale, vertu de religion, Lille, 1899, n. 162.

Deux motifs principaux, on l’a vii, incitent ces théologiens à nier le pouvoir d’intercession des âmes du purgatoire et, par voie de conséquence, l’utilité des

prières que nous pourrions leur adresser : aj Elles ne connaissent pas nos prières : » Si les bienheureux connaissent les événements qui concernent ceux qu’ils aiment, c’est que leur béatitude exige qu’ils ne soient frustrés d’aucun désir légitime… Rien de tel pour l'âme livrée à la douloureuse purification. » Mennessiei, op. cit., t. i, p. 266. — b) Leur expiation, leur souffrance les met hors d'état de prier pour nous, non que leur souffrance leur enlève la liberté de leurs pensées (voir col. 1299), mais parce qu’elle enlève à leur prière toute efficacité normale impétrative. Cf..Mennessier, loc. cit. Le P. Gerlaud ajoute un troisième motif : « La prière liturgique est une prière parfaite ; jamais nous n’y rencontrons un appel aux âmes du purgatoire. » Loc. cit., p. 132.

On conçoit facilement que, si la liturgie se prononçait en ce sens, la controverse n’existerait même pas : lex orandi, lex credendi. L’argument du silence ne vaut rien en l’espèce. On peut facilement lui opposer la tacite approbation accordée par l'Église à un enseignement opposé à celui de saint Thomas et qui est devenu pour ainsi dire l’enseignement commun des modernes, mnderni jere omnes, dit le P. Prummer, O. P., Manuale theol. moral., t. iii, n. 334. Aux autorités des « anciens » Suarez pouvait déjà opposer l’autorité de multi recenliores. L’initiateur de l'évolution doctrinale en un sens opposé à l’opinion de saint Thomas paraît être Jean .Médina († 1516), De oratione, q. v. Après Médina les théologiens partisans de la prière aux âmes du purgatoire sont devenus légion. C’est Suarez, loc. cit. ; Grégoire de Valencia, Commentarii theol., t. iii, disp. VI, q. ii, punct. 7 ; Sylvius, In // « ^// « q. lxxxiii, a. 11 ; Bellarmin, op. cit., t. II, c. xv ; Lessius, De juslilia, t. II, c. xxxvii, n. 23 ; Bonacina, De horis canonicis, disp. CXCII, part. I, n. 8 ; Elbel, Theol. moralis, t. ii, n. 398. Aujourd’hui, comme l'écrit le P. Prummer, c’est la presque unanimité des théologiens qui défend l’opinion que Bellarmin qualifiait déjà de commune. Citons chez les moralistes, Lehmkuhl, op. cit., t. i, n. 482 ; Noldin, De præceptis, n. 141 ; Scavini, Theol moral., t. ii, n. 203 (qui écrit : hoiie videtur sententia communis evasisse, maxime Romse) ; chez les auteurs dogmatiques, Ch. Pesch, op. cit., t. ix, n. 619 ; Palmieri, op. cit., § 21, n. 2 ; Jungmann, De novissimis, n. 120 ; Mazzetla, De Deo créante, n. 1356 ; Billot, De novissimis, q. vi, § 1 (qui qualifie l’opinion contraire : communi fidelium sensui plane répugnât, p. 127) ; Mgr Chollet, La psychologie du purgatoire, c. vi, n. 20 ; Bartmann, Das Fegfeuer, § 10, p. 130 sq., etc.

Aux arguments de Suarez, résumés ici, t. xiii, col. 227, on ajoutera les considérations suivantes :

1. Il n’est pas exact que les âmes du purgatoire ne puissent s’occuper de nos besoins sans les connaître et qu’elles ne connaissent pas ces besoins au moins dans une certaine mesure : « les âmes des morts peuvent s’occuper des intérêts des vivants sans connaître leur état, comme nous nous occupons des morts en leur appliquant nos suffrages, bien que nous ne sachions pas quelle est leur destinée. Elles peuvent aussi connaître les actions des vivants, non par elles-mêmes, mais par les âmes de ceux qui vont de cette vie dans l’autre, ou par les anges et les démons, ou par l’esprit de Dieu qui le leur révèle. » Saint Thomas, I a, q.Lxxxix, a. 8, ad lum. cf. Hugon, O. P., Réponses théologiques…, p. 240 sq. D’ailleurs on peut avec Bellarmin apporter une réponse péremptoire à l’argument tiré de l’ignorance où seraient les âmes souffrantes par rapport à nous en raison de l’absence de vision béatilîque : le IIe livre des Machabées, xv, 11-16, rapporte une vision de Judas touchant les prière. » d’Onias pour le peuple juif. Or, Onias ne pouvait être que dans les limbes et ne jouissait pas encore de la vision béatifique, ce qui ne l’empêchait pas de prier pour son peuple.