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PURGATOIRE. LES THÉOLOGIENS GRECS


à certains personnages, surtout celles que rapporte Bède (voir col. 1227), il est probable qu’il y a deux lieux du purgatoire : l’un, selon la loi commune, est contigu à l’enfer ; l’autre, pour les cas exceptionnels, est réserve aux âmes dont Dieu permet les apparitions pour donner des leçons aux vivants ou demander des prières. Il est improbable toutefois cpie les âmes soient là OÙ elles ont commis le péché : sur ce point saint Thomas et [es sentent iaires contredisent Hugues de Saint-Victor, Voir col. 1238. A quelle distance de l’enfer seront ces lieux exceptionnels ? Saint Bonaventure aflirme que ce peut èl re en des lieux moyens, jamais en des lieux supéricurs. La théologie sera longue à se dégager de ces spéculations assez puériles.

Sans doute le feu sera l’instrument de la purification, mais Dieu se scrvira-t-il également des démons pour faire souffrir les âmes ? Saint Thomas et saint Bonaventure répondent négativement. S. Thomas, ibid., a. 2, qu. 3 ; S. Bonaventure, ibid., q. v. Pour ce dernier, les âmes sont conduites au purgatoire et au ciel par leurs lions anges. ld., ibid. Albert le Grand avait été hésitant sur ce point, tout en penchant pour la négative. Dist. XXI, a. 9. Les théologiens postérieurs suivent l’opinion de saint Thomas.

Il est assez difficile de dégager d’une manière bien nette ce que les théologiens du xme et du xive siècle considèrent comme relevant de la foi catholique, et ce qu’ils proposent comme simple opinion expliquant le dogme. L’existence du purgatoire, c’est-à-dire de peines purificatrices après cette vie, paraît bien, dans leur esprit, appartenir au dogme lui-même, puisqu’ils appuient cette doctrine sur la nécessité d’une satisfaction donnée à Dieu pour le péché véniel ou pour la peine due au péché pardonné. Le caractère temporaire du purgatoire, la libération des âmes, aussitôt leur expiation terminée, voilà deux autres vérités sur lesquelles il ne paraît pas y avoir la moindre hésitation. L’existence d’un feu réel au purgatoire est proclamée, par Alexandre de Halès, une vérité certaine appuyée sur le témoignage de tous les docteurs, sauf Augustin. La restriction que le théologien franciscain est obligé d’apporter à son affirmation est déjà par elle-même significative. Les autres théologiens se contentent d’affirmer le feu réel ou corporel, mais il semble bien que leur conviction intime soit celle d’Alexandre. Pour tout le reste, il apparaît nettement que ce soient simples opinions plus ou moins probables.

2. Les suffrages pour les morts.

La meilleure synthèse, la plus représentative de la pensée des théologiens au xme siècle, est celle de saint Thomas. Nous

nous y appliquerons presque exclusivement. Le Docteur angélique livre son enseignement sur ce sujet dans les Sentences, dist. XLV, reproduite dans la Somme, Suppl., q. lxxi. Nous citons d’après le Supplément.

L’art. 1 rappelle le fondement théologique de l’efficacité des suffrages pour les défunts : en raison de la charité qui unit les membres de l'Église et de l’intention qui permet au chrétien d’olïrir ses œuvres pour autrui, les suffrages faits par l’un peuvent profiter aux autres, quant à leur valeur impétratoire et quant à leur valeur méritoire ou satisfactoire. Saint Thomas rapporte expressément au dogme de la communion des saints cette vérité fondamentale.

En conséquence les morts peuvent être aidés par les vivants. A. 2. Saint Thomas s’appuie sur II Mac, xii, 46, et sur l’autorité de l'Église universelle déjà invoquée par saint Augustin dans le traité De cura pro mortuis gerenda. La tradition est ici représentée par le pseudo-Damascène (voir col. 1203) et le pseudo-Denys (voir col. 1206), Enfin la raison théologique invoque les liens de charité qui unissent les vivants non seulement aux vivants, mais aux morts en état de grâce..Même les suffrages offerts par des pécheurs ont une certaine

valeur, au moins ex opère opernto. A. 2 ; cf. Sum. theoL, III a, q. lxxxii, a. 6, et ici Messe, col. 1061 ; II a -II », q. Lxxxin, a. 10 ; q. cxxxviii, a. 2, et ici Prière, col. 2.'18. Damnés et habitants des limbes sont exclus du bénéfice de ces suffrages. A. 5 et 7. Mais « il n’est pas douteux que les suffrages faits par les vivants ne soient utiles à ceux qui sont dans le purgatoire ». A. G. Avec Augustin saint Thomas énutnère les principaux moyens de secourir les âmes du purgatoire : prières de l'Église, sacrifice de l’autel, aumônes. A. 9. Les indulgences ne servent qu’indirectement et secondairement, si leur forme est telle qu’elles puissent leur être appliquées. Un certain nombre de questions accessoires sont abordées par saint Thomas, qui fait d’ailleurs écho à Pierre Lombard, sur l’utilité des obsèques, a. 11, la valeur respective des suffrages particuliers et des suffrages communs. A. 12-14.

On retrouve la même disposition et les mêmes enseignements chez la plupart des autres sententiaires, notamment saint Bonaventure, dist. XLV, a. 2, q. i-m. Dans son commentaire sur la dist. XX, saint Bonaventure, a. 1, q. v, envisage la manière dont la remise des dettes peut être faite aux âmes du purgatoire en raison des suffrages des vivants. Il formule la réponse qui deviendra traditionnelle dans la théologie catholique ; la remise des dettes au purgatoire ne peut se produire per modum judiciariæ absolutionis ; elle est toujours per modum suffragii. Cette doctrine laisse intact l’enseignement commun des théologiens sur la possibilité qu’ont les justes encore en vie d’offrir à Dieu en justice des satisfactions véritables les uns pour les autres. Elle s’est compliquée dans la suite de plusieurs controverses accessoires. Voir plus loin, col. 1308 sq.

Enfin, les sententiaires se sont demandé si les saints du ciel pouvaient intervenir en faveur des âmes du purgatoire. La réponse affirmative est commune ; voir les commentaires In IVum Sent., dist. XLV. Des controverses se produiront sur la manière dont les saints peuvent intercéder. Mais le fait lui-même est admis sans discussion par tous, sauf peut-être par Durand de Saint-Pourçain, dist. XLV, a. 1.

Quoi qu’il en soit des discussions sur les modalités des suffrages pour les défunts, il y a une unanimité telle parmi les théologiens sur le fait même de l’efficacité de ces suffrages et sur l’enseignement et 1? pratique de l'Église à cet égard, que leur doctrine nous apparaît bien comme le « lieu théologique » transmetteur delà foi elle-même. Aussi bien, les docteurs sont-ils sur ce point le fidèle écho des Pères, comme ceux-ci le sont du magistère lui-même.

II. L’ENSEIGNEUENI DES THÉOLOGIESS BYZANTINS DE LA FIN DE L' AGE PATR18TIQVE AU IIe CONCILE

DE LYON. — 1° La doctrine des peines positives. — Cette doctrine passe pour ainsi dire au second plan. On a exposé ici (voir t. viii, col. 1793) comment les perspectives eschatologiques sont devenues confuses avec la théologie byzantine, qui accuse un véritable recul sur l’enseignement des Pères des époques antérieures. Dans cette obscurité presque totale on ne peut que glaner quelques allusions aux peines purificatrices d’outretombe.

Faut-il voir une allusion à ces peines dans l’opinion de saint André, de Crète († 720), qui place certains pécheurs en enfer, mais avec la possibilité d’en sortir grâce aux suffrages des vivants ? C’est bien, semble-t-il, la forme que, de plus en plus, la doctrine des peines temporaires de l’au-delà prendra chez les Orientaux.

C’est bien la solution qui s’impose si l’on s’arrête à un fragment de Théodore Graptus (ixe siècle). Oratio de dormientibus, interprétant I Cor., iii, 15. Illud « salvabitur » aut intelligitw de condemnatis qui saloantur, hoc est, rémanent salvi et integri inler flammas illas adernas ; autintelligitur de illis qui spem salutis possident, quem-